Mieux vivre ensemble avec le label Chers Voisins

Habiter autrement n° 10

10 janvier 2019ContactLucile Mettetal, Olivier Mandon

Certains bailleurs ont misé sur la gouvernance participative en s’appuyant sur un label comme Chers Voisins créé par la société Récipro-Cité et 1001 Vies Habitat  en partenariat avec l’Université Lyon 3. Il s’agit d’une ingénierie sociale participative, qui prend la forme d’un accompagnement de proximité, d’une charte du vivre-ensemble, d’une maison des projets et de clubs à l’initiative des habitants.

L’histoire et le contexte

La société d’ingénierie sociale Récipro-Cité a été fondée en 2011 pour répondre aux enjeux du vieillissement, du lien social et du pouvoir d’achat dans l’habitat. Selon Serge Le Boulch, son président, il s’agit de lutter contre le délitement social en incitant les habitants à devenir acteurs de leur lieu de vie. En 2018, Récipro-Cité propose trois labels : Chers Voisins, Cocoon’Âges (un dispositif proposant des résidences intergénérationnelles alliant une architecture adaptée et des services-animation) et Récipro-Cité Rehab (destiné à promouvoir l’implication des habitants dans les programmes de réhabilitation). Chers Voisins est devenu opérant à Lyon en 2014, suite à la rencontre entre Récipro-Cité et le bailleur social Sollar (Groupe Logement Français, devenu 1001 Vies Habitat), dans le cadre de la réhabilitation de la résidence sociale Les Platanes à Saint-Germain-au-Mont-d’Or (69). Chers Voisins s’est ensuite exporté dans plusieurs autres villes telles que Marseille, Aix-les-Bains ou encore Lieusaint en Seine-et-Marne, à l’initiative du bailleur social 1001 Vies Habitat, désireux d’introduire de nouveaux rapports locatifs grâce au voisinage actif.
Aujourd’hui, Chers Voisins est soutenu par des partenaires tels que le Fonds de l’innovation sociale des entreprises sociales pour l’habitat (ESH) ou encore AG2R la Mondiale et le groupe Lourmel.
De manière à renforcer son rôle, Chers Voisins a initié des démarches afin d’être reconnu d’intérêt général.

Chers Voisins en quelques chiffres

  • 6 projets de 40 à 710 logements en cours et à des échelles différentes
  • 31 résidences prises en charge, soit 1 211 logements déjà accompagnés
  • 11 communes partenaires de la démarche en région PACA, AURA, IDF
  • 8 gestionnaires-animatrices
  • environ 2 600 bénéficiaires directs
  • 417 familles adhérentes en 2017
  • 35 partenaires locaux en 2017
  • 49 projets collaboratifs imaginés par les habitants

Les acteurs

Portés par l’association Chers Voisins et accompagnés par Récipro-Cité, les projets bénéficient notamment d’un accompagnement de proximité grâce à la présence d’un gestionnaire-animateur qui favorise une mobilisation et une autonomisation des habitants, mais aussi une collaboration essentielle avec le bailleur social et les acteurs locaux.
Pour la mise en œuvre du projet, un comité de pilotage local est créé, dans lequel chaque classe d’âge est représentée afin d’éviter la mainmise d’une génération sur une autre. L’association a pour objectif de développer et de favoriser le vivre-ensemble avec l’aide du gestionnaire-animateur et de s’ouvrir au quartier et à la commune en faisant participer les riverains à ses activités.

Les habitants

Le projet de vivre-ensemble est défini avec les habitants. Il s’agit de construire un engagement, des attendus communs et une gouvernance participative. Ils sont ainsi impliqués dans la vie de leur immeuble, voire même de son entretien. 
La participation active des habitants au ménage et à la prise en charge des espaces verts est en en effet un levier permettant de faire baisser leurs charges. À Saint-Germain-au-Mont-d’Or, ils économisent environ l’équivalent d’un mois de loyer par an. Le montant des charges dépend de la formule choisie dans le cadre de l’accord collectif, signé entre le bailleur et les habitants. Ces derniers peuvent effectuer l’entretien des parties communes (jardins, couloirs, entrée…) et en échange ne pas payer pour ces postes de charge. Cet accord propose trois choix aux locataires, les économies variant en fonction de leur investissement : 

  • Les « usagers » ne participent pas à l’entretien et ne réalisent pas d’économies.
  • Les « participants » contribuent à l’entretien de leur résidence et réalisent des économies équivalentes à 80 % de leurs charges.
  • Les « participants + » font plus que leur part et voient ses charges devenir nulles. 

Si un habitant est dans l’incapacité physique de réaliser ce travail de ménage et de jardinage, il peut toujours devenir participant et effectuer d’autres tâches pour ses voisins et l’association.

Les lieux

L’ingénierie sociale s’accompagne d’une réflexion architecturale lors de la conception ou de la réhabilitation de l’immeuble. Les programmes intègrent une flexibilité de composition pour adapter les logements aux besoins des futurs occupants et une organisation architecturale facilitant les échanges entre générations. Une maison des projets, lieu dédié à l’association au sein de la résidence et qui accueille les différentes initiatives des habitants, est systématiquement mise en place.
À Lieusaint, Les résidences sociales du Pyramidion et de l’Eau Vive se situent dans l’écoquartier de l’Eau Vive, à dix minutes à pied du RER D et à proximité immédiate de la coulée douce, un site propre qui serpente de la gare au centre-ville. Le Pyramidion est un immeuble livré en 2015, qui a la particularité d’être à énergie positive (Bepos), c’est-à-dire qu’il consomme moins qu’il ne produit. Un défi « Familles à énergie positive » est actuellement en projet afin de favoriser le bon usage du logement et permettre un gain de pouvoir d’achat. Des bacs à fleurs construits par les habitants ont été installés et un espace dédié à un futur jardin partagé est prévu sur la résidence de l’Eau Vive, livrée en juillet 2018. Une maison des projets a été  mise à disposition sur cette même résidence. Elle est constituée de deux salles d’activités, d’un coin cuisine et d’un bureau. Un point informatique sera également proposé aux habitants.

L’organisation

Un projet Chers Voisins se construit en deux étapes : 

  • L’assistance à maîtrise d’usage (AMU) : Récipro-Cité travaille avec le maître d’ouvrage afin de concevoir une résidence adaptée aux attentes et aux modes de vie de ses habitants. 
  • La gestion-animation : une fois le bâtiment achevé et habité, Chers Voisins œuvre à l’appropriation par les habitants de leur résidence (bon usage du logement et des parties communes). Le gestionnaire-animateur, salarié de Récipro-Cité, est au cœur de ce processus. À plein temps la première année, puis à 50 % la deuxième et 20 % à partir de la troisième, il permet la mise en place d’activités communes et propose une organisation pour l’entretien mutualisé de la résidence. 

Le comité de pilotage est l’instance qui permet de statuer sur les décisions concernant le projet : évolution des tâches dans l’accord collectif, validation des fiches-projets et des enveloppes financières, etc. Il est composé de deux représentants du bailleur, trois représentants des habitants, et d’un représentant de l’association. Le gestionnaire-animateur est également présent mais n’a pas droit au vote. 
Une charte est également élaborée avec les habitants. Elle établit quelques principes fondateurs tels que la solidarité, la tolérance et la réciprocité.
Au-delà de la mutualisation de l’entretien, le gestionnaire-animateur de Chers Voisins œuvre à créer des dynamiques solidaires dans l’immeuble. Pour développer les interactions et la dynamique de groupe, il propose des activités conviviales, solidaires et en faveur du pouvoir d’achat. Les activités sont structurées au sein de clubs (jardinage, festivités, etc.), qui ont chacun un référent bénévole qui coordonne l’activité et peut servir de relais. Certains services sont également proposés par des habitants : la couture, le bricolage, le dépannage informatique ou l’aide aux devoirs, par exemple.
À Lieusaint, au début du projet, la gestionnaire-animatrice jouait le rôle de relais entre les habitants en les mettant en contact et en les incitant à proposer leur aide. À présent, ce relais n’est plus nécessaire  et les personnes se contactent directement. Ainsi, l’entraide ne passe plus nécessairement par Chers Voisins. En plus de permettre de petits dépannages occasionnels, ces clubs proposent des activités collectives dans la maison des projets, un lieu de transmission des compétences, de valorisation individuelle et d’échanges. La nature des clubs dépend du lieu où il se trouve : par exemple, un café où des échanges sur l’emploi sont organisés, ne semblait pas nécessaire à Lieusaint, mais il en existe un dans la résidence des Platanes à Saint-Germain-au-Mont-d’Or où le taux d’inactivité est important. Dans les résidences où vivent davantage de personnes âgées, certains clubs sont plus centrés sur cette tranche d’âge. Dans le sillage de ces initiatives, des échanges de services se développent ensuite de manière informelle. 

Un outil numérique en faveur du vivre-ensemble

Plus qu’un simple espace numérique, la Ressourcerie Numérique, est un nouvel outil collaboratif au service de la gestion-animation. Il facilite les interactions locales et l’engagement citoyen sur le territoire. Il valorise et renforce l’accompagnement humain mis en œuvre depuis la maison des projets.
La Ressourcerie Numérique propose :

  • des échanges de services et d’objets,
  • des fiches recettes et de bonnes pratiques,
  • un agenda partagé et des cartes interactives,
  • un module collaboratif dédié aux projets et aux initiatives des habitants,
  • un espace de discussion en ligne.

La vie quotidienne

Chers Voisins permet aux habitants d’être acteurs de leur lieu de vie et favorise différentes formes de solidarité. Le dispositif pacifie et fluidifie les relations entre le bailleur et les locataires. Dans tous les cas observés, l’association joue un rôle de stabilisateur social. Elle complète parfois certains services publiques, comme lorsqu’elle développe l’entraide pour la garde d’enfants ou la recherche d’emploi. Sa méthode d’accompagnement dégressif (le temps de présence du gestionnaire-animateur se réduit jusqu’à n’être présent qu’un seul jour par semaine) permet aux habitants d’intégrer ces nouveaux modes d’échanges et de s’autonomiser progressivement. L’accompagnement de proximité se poursuit néanmoins, notamment en cas de litige ou pour redynamiser certaines activités. À Lieusaint, ce sont près de 72 % des ménages qui participent à Chers Voisins et à la vie de la résidence. 

Les « moins »

Chers Voisins ne parvient jamais à toucher toutes les familles d’un immeuble car il n’est pas imposé aux habitants, on reste alors dans une résidence sociale « classique ». Chers Voisins est un plus proposé pour faciliter et améliorer le quotidien de chacun, mais les locataires restent libres de ne pas y participer.
Par ailleurs, l’introduction de Chers Voisins dans des quartiers en politique de la ville est encore à l’état d’expérimentation.  

Les « plus »

La dynamique sociale induite par Chers Voisins se développe dans le temps et surtout s’autogénère. Une fois la démarche enclenchée, les habitants développent par eux-mêmes de nouveaux liens sans que l’association n’ait à intervenir. L’accompagnement de proximité est ici essentiel car il permet de bâtir un socle qui servira de base au développement ultérieur des activités collectives et de la solidarité.  
Par ailleurs, Chers Voisins est un créateur de liens intergénérationnels, un facilitateur des relations bailleur-locataire et une pérennisation des projets à moindre coût.  

Les conditions de réussite

L’accord et la motivation du bailleur sont indispensables. Chers Voisins ne peut pas s’imposer et se développer sans son adhésion. C’est la coopération entre les deux acteurs qui permet de créer une atmosphère favorable à l’entraide. Au-delà de sa participation financière, le bailleur social fournit un espace pour accueillir la maison des projets et participe au comité de pilotage. 
La coopération des habitants est bien sûr essentielle : Chers Voisins impulse et favorise leur participation à des activités collectives, mais rien ne peut les y contraindre, et sans leur implication, rien ne peut être fait. Ce sont eux qui représentent leurs intérêts au comité de pilotage et s’ils ne sont pas au moins 50 % à signer l’accord collectif, ce dernier ne pourra pas être mis en place. C’est également pour cette raison que le rôle du gestionnaire-animateur est crucial. Son accompagnement de proximité permet de poser les bases des relations solidaires entre habitants et de les maintenir. 

Témoignage de Johanna Tomasini, gestionnaire-animatrice de Chers Voisins à Lieusaint 

À propos de l’assistance à maîtrise d’usage (AMU)  

Je suis arrivée deux mois après les premiers habitants, donc dans une opération en milieu habité. J’ai rencontré les gens très rapidement pour engager la phase d’AMU qui a duré de décembre 2015 à février 2016. On travaille notamment avec des questionnaires dans l’objectif de recueillir la diversité des ressentis des habitants sur leur logement, l’immeuble, les relations avec le bailleur, si le quartier leur plaît, s’ils sont intéressés par Chers Voisins, s’ils ont des projets personnels ou collectifs qu’ils aimeraient monter… bref, on note tout, on prend un maximum d’informations pour pouvoir les réutiliser par la suite, même si tout ne sera pas mis en place.

À propos de la gestion-animation

Début février on a lancé la gestion-animation et on a commencé à initier des projets. Assez rapidement, des habitants sont venus pour signifier, soit leur intérêt  à participer à un club, soit leur désir d’en devenir réfèrent. Il faut absolument tenir compte de la diversité des profils, en matière d’engagement ou d’envie de partager. Au début il y avait un noyau de cinq habitants très impliqués et progressivement ce noyau s’est élargi. Pour certains il a fallu du temps avant de faire le premier pas et de participer aux activités collectives, mais il s’agit de respecter le rythme de chacun. Le premier évènement que j’avais organisé pour fédérer les habitants était une fête du printemps, un grand repas partagé. Les gens ne se connaissaient pas encore très bien mais finalement ça a très bien marché parce qu’on a eu une trentaine d’adultes et une quinzaine d’enfants.

Ça s’est fait très progressivement et c’est partout pareil, sur les sites. On commence par la convivialité […] et une fois que les liens sont tissés on peut passer à la vitesse supérieure. Au démarrage c’était vraiment moi qui étais force de proposition, par la suite les habitants émettent des envies, font des suggestions et au bout d’un an ils parviennent à s’organiser par eux-mêmes.

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