La loi SRU : avoir 20 ans en 2020

Chronique du logement n° 8

10 décembre 2020

Le 13 décembre 2000 était adoptée la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Son article 55 s’est affirmé comme une mesure phare de la politique du logement en imposant aux communes urbaines des territoires tendus de disposer d’un seuil minimum de logements sociaux, désormais fixé à 25 % de leur parc de résidences principales. Souvent décrié, contourné, retouché, ce dispositif a toutefois été conforté au fil du temps. En Île-de-France, 232 communes doivent encore atteindre ce taux légal.

Vingt ans après l’adoption de la loi, la crise sanitaire et économique que traverse le pays met en lumière, plus que jamais, l’importance d’un parc de logements à loyers abordables, susceptible de jouer un rôle d’amortisseur social. De plus, par son mode de financement spécifique, la production HLM joue un rôle contracyclique en temps de crise, un phénomène salvateur pour le secteur du bâtiment. Les fortes fractures territoriales, que connaît Île-de-France, continuent d’appeler des mécanismes de rééquilibrage, qui sont au cœur de la loi SRU.  

L’article 55, une mécanique complexe

En 2000, 593 communes franciliennes accueillaient des logements sociaux. En 2019, elles sont 691, accueillant au total 1 353 000 logements sociaux, une évolution en partie imputable à la mise en œuvre de la loi SRU. En effet, celle-ci soumet les communes n’atteignant pas le seuil requis à un prélèvement sur leurs ressources fiscales et leur impose un rattrapage en vue de combler leur déficit dans le cadre de périodes triennales pour atteindre le taux légal d’ici 2025.  
Pour autant, compte tenu du développement du parc de logements privés, une production soutenue de logements sociaux ne permet pas nécessairement d’atteindre le taux fixé par la loi. Depuis 2001, selon les années, la construction HLM représente en effet entre 18 et 40 % de la construction neuve francilienne.

L’article 55 a été régulièrement modifié : communes concernées, logements pris en compte, taux exigé, rythme de rattrapage, montant du prélèvement, déductions possibles, sanctions, etc. La réforme de 2013 reste la plus marquante avec le rehaussement du taux de logements sociaux de 20 à 25 % (maintien du taux à 20 % pour certaines communes en dehors des zones tendues - 10 en Île-de-France), ainsi qu’un rythme de rattrapage accéléré et des pénalités renforcées. Au fil du temps, l’article 55 s’est aussi adapté aux évolutions qui traversent la production HLM. La comptabilisation - à titre temporaire - des logements sociaux vendus à leurs locataires, comme des logements en location-accession après le transfert de propriété aux occupants, témoigne du recours plus fréquent à la vente HLM. Par ailleurs, la prise en compte des logements faisant l'objet d'un bail réel solidaire (BRS) reflète la faveur récente des montages fondés sur la dissociation de la propriété du foncier et du bâti et la percée des organismes de foncier solidaire (OFS). 

À quoi ressemble, dès lors, la production HLM en Île-de-France depuis l’adoption de la loi SRU ? Quelle est sa géographie et son impact sur les équilibres/déséquilibres territoriaux ? Correspond-elle aux capacités financières des ménages et à l’esprit de la loi ?

Retour sur la production HLM en Île-de-France depuis 2001

Entre 2001 et 2018, près de 345 500 logements sociaux ont été mis en location en Île-de-France, soit environ 19 000 par an. Cette production conséquente est caractérisée par le poids élevé des opérations d’acquisition-amélioration (achat de logements dans le parc privé), qui représentent un tiers du total sur la période (49 % à Paris) ; et par l’importance croissante, au sein des opérations de construction, de la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) : 5 % des logements sur la période 2001-2006, 17 % sur 2007-2012 et 26 % sur 2013-2018 (moyenne de 18 % entre 2001 et 2018). Une progression qui fait craindre à certains bailleurs sociaux une perte de compétence sur la maîtrise d’ouvrage directe. Le bilan des agréments de logements sociaux montre aussi la part non négligeable des résidences s’adressant aux étudiants, jeunes travailleurs, séniors : elles représentent 20 % de la production entre 2003 et 2018. 
L’effort de production n’a cependant pas suffi à tarir la demande qui est passée de 288 000 ménages demandeurs en 1999 à près de 720 000 en 2018. Une demande principalement alimentée par les niveaux élevés des prix et des loyers du parc privé, faisant du parc social une alternative recherchée par de nombreux ménages en quête d’un logement adapté à leur taille et à leurs capacités financières. Dans ce contexte qui freine la mobilité, le parc HLM est devenu un lieu d’installation durable et non plus une étape du parcours résidentiel, entraînant une baisse des attributions, passées de 99 000 en 2000 à 74 500 en 2018. 
La zone centrale totalise 62 % de la production (41 % en petite couronne, 21 % à Paris), contre 38 % pour la grande couronne. Des proportions à l’image du stock, situé pour 46 % en petite couronne, 19 % à Paris et 36 % en grande couronne. 
La production reste donc concentrée. Parmi les 650 communes qui ont accueilli des logements sociaux entre 2001 et 2018, seules cinquante d'entre elles ont produit en moyenne plus de 100 logements par an ; totalisant pour ces dernières près de la moitié (49 %) de la production régionale. Parmi les dix plus importants contributeurs, en dehors de Paris, se démarquent sept communes de petite couronne (Saint-Denis, Montreuil, Villejuif, Boulogne-Billancourt, Ivry-sur-Seine et Bagneux) et deux de grande couronne (Palaiseau et Cergy). 
La production récente compte une proportion importante de petits logements, avec 42 % de T1-T2 (dont 19 % de T1, en lien avec l’offre pour étudiants), 31 % de T3 et 27 % de grands logements (T4 ou +). Le stock s’articulant pour sa part autour des T3 et des grands logements : respectivement 36 % et 32 % du parc, contre 33 % pour les T1-T2. 
En termes de financement, les bailleurs sociaux ont majoritairement mobilisé le prêt PLUS (56 % du total). Viennent ensuite les financements permettant de produire des logements intermédiaires (PLS, PLI), avec un tiers du total. Et enfin le PLAI, destiné aux ménages les plus modestes, avec seulement 10,5 % du total, alors que 72 % des demandeurs sont éligibles à cette catégorie de logements. Cette faible proportion montre qu’il est devenu compliqué aujourd’hui de produire des logements sociaux à très bas loyers, notamment dans le centre de l’agglomération où le foncier est le plus cher. Des éléments confirmés par l’analyse des loyers : sur la période 2001-2018, le loyer moyen des logements produits atteint en moyenne 7,52 €/m²/SH, contre 6,48 €/m²/SH pour l’ensemble du parc.

Urgence des besoins versus stratégies de rééquilibrage

Alors qu’en Île-de-France la croissance des inégalités socio-spatiales et le constat de processus ségrégatifs rendent nécessaire la poursuite de politiques de mixité sociale et de rééquilibrage de l’offre sociale, la mise en œuvre de la loi SRU s’avère complexe. Après 20 ans d’application, une cinquantaine de communes concentrent encore 50 % du parc social francilien, tandis que 79 d'entre elles font l’objet d’un arrêté de carence, prononcé par le préfet, pour non-respect des objectifs sur la période triennale 2014-2016. 
Un marché foncier tendu et un marché immobilier hyper segmenté et très concurrentiel conduisent, en effet, à ce que la construction neuve reproduise en grande partie les hiérarchies territoriales héritées, en matière de typologie, de niveaux de prix et de loyers. D’un côté, de nombreuses communes populaires continuent à produire une offre sociale alors qu’elles se situent au-delà des seuils SRU (près de 70 % des logements sociaux produits l’ont été dans des communes comptant des quartiers prioritaires de la politique de la ville). Mais elles offrent encore des opportunités foncières importantes à des prix compatibles avec le développement d’une offre abordable permettant de répondre aux besoins exprimés localement et régionalement (jeunes décohabitants, occupants du parc privé indigne, relogés du parc social démoli). De l’autre, des communes plus aisées, où le prix élevé du foncier, mais aussi des réticences locales à la mixité, conduisent à ce que les logements sociaux construits soient en majorité à loyer intermédiaire (PLS) destinés aux classes moyennes, ou des produits spécifiques (résidences pour étudiants, personnes âgées). En 2013, la loi Duflot renforçait le dispositif SRU en exigeant que les communes en rattrapage construisent au minimum 30 % de logements très sociaux. De l’autre côté du spectre, en arrêtant de subventionner les logements les plus sociaux dans les communes déjà au-delà des 30 %, la Région Île-de-France a souhaité donner un signal pour que cesse la concentration de la pauvreté.  
Dans le contexte francilien, les objectifs de production d’une offre à la hauteur des besoins des plus modestes entrent ainsi en tension avec les enjeux de diversification territoriale. Côté face, cette situation est un moteur pour le développement de politiques de l’habitat d’échelle intercommunale, métropolitaine et régionale. Côté pile, elle constitue un point d’achoppement à la formulation d’un consensus politique entre territoires, pourtant clé pour les solutions à mettre en œuvre.  Car si l’on stoppe les effets de concentration, quels seront les territoires prêts à prendre le relais pour produire du logement abordable, la pression sur l’offre locative la plus sociale s’accentuant ?

Et bientôt, l’après SRU

L’article 55 a apposé sa marque aux politiques locales de l’habitat et mobilisé l’État, à la manœuvre pour prononcer les arrêtés de carence et prélever les pénalités. Pour autant, les enjeux auxquels le secteur HLM est confronté dépassent de beaucoup la seule thématique de la production et de sa répartition territoriale : rénovation énergétique, maintien des capacités d’investissement dans le contexte de la réduction du loyer de solidarité (RLS), rééquilibrage des loyers au sein du parc existant, renouvellement urbain des quartiers prioritaires, réforme des attributions et des politiques de peuplement.  
Alors que les objectifs fixés par la loi SRU arrivent à échéance en 2025, gageons que le renforcement de la mixité sociale, qui interpelle le parc social comme le parc privé, restera crucial dans les nouveaux dispositifs envisagés pour l’après SRU.


Chronique coécrite par Hélène Joinet, Philippe Pauquet et Anne-Claire Davy
Cartographie : Marie Pagézy-Boissier
Infographie : Sylvie Castano
 

 
 

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