Urgence des besoins versus stratégies de rééquilibrage
Alors qu’en Île-de-France la croissance des inégalités socio-spatiales et le constat de processus ségrégatifs rendent nécessaire la poursuite de politiques de mixité sociale et de rééquilibrage de l’offre sociale, la mise en œuvre de la loi SRU s’avère complexe. Après 20 ans d’application, une cinquantaine de communes concentrent encore 50 % du parc social francilien, tandis que 79 d'entre elles font l’objet d’un arrêté de carence, prononcé par le préfet, pour non-respect des objectifs sur la période triennale 2014-2016.
Un marché foncier tendu et un marché immobilier hyper segmenté et très concurrentiel conduisent, en effet, à ce que la construction neuve reproduise en grande partie les hiérarchies territoriales héritées, en matière de typologie, de niveaux de prix et de loyers. D’un côté, de nombreuses communes populaires continuent à produire une offre sociale alors qu’elles se situent au-delà des seuils SRU (près de 70 % des logements sociaux produits l’ont été dans des communes comptant des quartiers prioritaires de la politique de la ville). Mais elles offrent encore des opportunités foncières importantes à des prix compatibles avec le développement d’une offre abordable permettant de répondre aux besoins exprimés localement et régionalement (jeunes décohabitants, occupants du parc privé indigne, relogés du parc social démoli). De l’autre, des communes plus aisées, où le prix élevé du foncier, mais aussi des réticences locales à la mixité, conduisent à ce que les logements sociaux construits soient en majorité à loyer intermédiaire (PLS) destinés aux classes moyennes, ou des produits spécifiques (résidences pour étudiants, personnes âgées). En 2013, la loi Duflot renforçait le dispositif SRU en exigeant que les communes en rattrapage construisent au minimum 30 % de logements très sociaux. De l’autre côté du spectre, en arrêtant de subventionner les logements les plus sociaux dans les communes déjà au-delà des 30 %, la Région Île-de-France a souhaité donner un signal pour que cesse la concentration de la pauvreté.
Dans le contexte francilien, les objectifs de production d’une offre à la hauteur des besoins des plus modestes entrent ainsi en tension avec les enjeux de diversification territoriale. Côté face, cette situation est un moteur pour le développement de politiques de l’habitat d’échelle intercommunale, métropolitaine et régionale. Côté pile, elle constitue un point d’achoppement à la formulation d’un consensus politique entre territoires, pourtant clé pour les solutions à mettre en œuvre. Car si l’on stoppe les effets de concentration, quels seront les territoires prêts à prendre le relais pour produire du logement abordable, la pression sur l’offre locative la plus sociale s’accentuant ?
Et bientôt, l’après SRU
L’article 55 a apposé sa marque aux politiques locales de l’habitat et mobilisé l’État, à la manœuvre pour prononcer les arrêtés de carence et prélever les pénalités. Pour autant, les enjeux auxquels le secteur HLM est confronté dépassent de beaucoup la seule thématique de la production et de sa répartition territoriale : rénovation énergétique, maintien des capacités d’investissement dans le contexte de la réduction du loyer de solidarité (RLS), rééquilibrage des loyers au sein du parc existant, renouvellement urbain des quartiers prioritaires, réforme des attributions et des politiques de peuplement.
Alors que les objectifs fixés par la loi SRU arrivent à échéance en 2025, gageons que le renforcement de la mixité sociale, qui interpelle le parc social comme le parc privé, restera crucial dans les nouveaux dispositifs envisagés pour l’après SRU.
Chronique coécrite par Hélène Joinet, Philippe Pauquet et Anne-Claire Davy
Cartographie : Marie Pagézy-Boissier
Infographie : Sylvie Castano