Si loin, si proche… Ils ont quitté l'Île-de-France mais y ont gardé leur emploi

Les Franciliens - Territoires et modes de vie

11 mars 2021

Dans la continuité de l'article sur l'attractivité des franges de l'Île-de-France, retrouvez ici quatre portraits de ménages qui ont quitté l'Île-de-France mais continuent d'y travailler (le premier est revenu y vivre). Nous vous proposons un décryptage de leurs motivations et de leurs arbitrages.

#1 Une escapade dans l’Oise… et un retour en Seine-Saint-Denis

Sevran (93) → Boursonne (Oise) → Pavillons-sous-Bois (93)

Julia (38 ans) et Guillaume (39 ans)

« Une qualité de vie
trop chèrement payée en transport. »

Originaires de Sevran, Julia et Guillaume sont partis se « mettre au vert » avec le projet de fonder une famille. Les parents de Julia, retraités, avaient quitté la Seine-Saint-Denis pour s’installer dans l’Oise. Ils ont donc prospecté naturellement dans ce secteur. Guillaume était directeur artistique dans une agence de publicité située boulevard Haussmann. Julia, infographiste free lance, en télétravail principalement.
Ils réalisent en 2013 leur premier achat immobilier dans le village de Boursonne, à 12 km de Crépy-en-Valois (Oise) : une belle bâtisse qu’ils vont entièrement restaurer, sur 1 000 m2 de terrain. Guillaume se rend à Paris chaque jour pour rejoindre son agence : voiture, TER et métro. 
Leurs situations professionnelle et familiale évoluent simultanément. Julia est embauchée par son client qui développe son agence de communication digitale à Paris, dans le 19e arrondissement. Elle alterne une présence sur place deux jours par semaine avec le télétravail, en utilisant les mêmes modes de transport que son mari. 
Vivre à la campagne plonge dans « un tout autre état d’esprit », selon Julia. Guillaume prend goût au travail manuel et se lance dans une reconversion professionnelle pour devenir ébéniste. L’espace dont il dispose lui permet d’installer son atelier et de démarrer une activité d’artisan. 
Puis Julia attend des jumelles. Sa société, qui ne cesse de grandir, s’installe à Montreuil, requérant sa présence quotidienne. Pendant deux ans, elle devient une « navetteuse » Boursonne/Montreuil… jusqu’à l’épuisement : trois heures de transport quotidiennes sur un réseau TER très dégradé, un « sous-réseau » non prioritaire par rapport à celui du RER B, avec problèmes techniques récurrents et, parfois même, l’impossibilité de rentrer le soir à la maison. Le cadre de vie idyllique devient « trop cher payé ». 
Après de vives discussions, (le mari de Julia étant très attaché à son nouveau cadre de vie), le couple se résout à vendre sa maison en 2018 pour revenir en Seine-Saint-Denis. Les environs de Montreuil (Villemonble, Rosny-sous-Bois) restant hors budget, ils trouvent leur nouvelle maison à Pavillons-sous-Bois, commune choisie pour ses multiples écoles et sa desserte à venir par le TZEN. Guillaume installe son atelier dans une petite dépendance et redémarre son activité dans la région. Pour Julia, le temps de transport domicile-travail se réduit à une demi-heure de voiture matin et soir. 

Les plus, les moins

+

Espace, verdure, qualité de vie, conditions idéales pour scolariser ses enfants (classes de 20 élèves, environnement calme et bienveillant).
Des équipements municipaux toujours utilisés, même après le déménagement à Pavillons-sous-Bois (piscine de Crépy-en-Valois).

-

Aucune improvisation à la campagne. Toute sortie se programme : loisirs, courses.
Pas d’ancrage local possible du fait de la désertification du village : les achats s’effectuent dans les grandes surfaces alentours.
Espace de vie très rétréci : seul contact avec les voisins immédiats.
Réseau TER impraticable : retards et problèmes techniques incompatibles avec les contraintes horaires d’une vie de famille.

#2 L'Eure-et-Loir, un compromis entre Paris et la province

Grand Est → Paris → Épernon (Eure-et-Loir)

Pascale et Igor (42 ans)

« L’ESPACE, LE CALME, LA RESPIRATION…
NOUS RAPPELLENT LA VIE DE PROVINCE. »

Pascale et Igor sont originaires de Franche-Comté et de Lorraine. Pascale est venue poursuivre ses études de géographie à Paris en 2001, puis y a trouvé un emploi. Igor l’a rejointe, malgré son aversion pour la capitale. La vie citadine convient peu en effet à ce couple originaire de province, habitué aux grands espaces. Logés dans un studio du 12e arrondissement, ils cherchent vite à s’installer dans une ville intermédiaire périphérique pour bénéficier de plus d’espace. Ils prospectent sur la ligne SNCF Paris-Chartres (TER), qui dessert Montparnasse où est située l’entreprise de Pascale, et Rambouillet (Yvelines) où Igor trouve un emploi d’éducateur spécialisé. Le couple s’installe à Rambouillet dans un appartement en location en 2008. Au bout de six ans, toujours en quête de « plus grand », ils continuent leur prospection immobilière sur la ligne Paris-Chartres, et songent également à l’acquisition.
En 2014, ils franchissent la frontière régionale en achetant une maison à Épernon (Eure-et-Loir), un T4 de 95 m2 avec deux terrasses. Un changement radical et une grande respiration, qui ne sont pas dépréciés par les navettes Épernon/Paris de Pascale : un temps de transport d’une heure de porte à porte tout à fait supportable. Épernon offre les services de première nécessité et de loisirs, et se trouve à 20 min en train de Chartres. Malgré l’effort de la municipalité en matière d’équipement : maison de santé, lycée, écoquartier en construction, centres sportifs, etc., le couple n’a pas d’attirance particulière pour la ville et ses environs. Tout comme ses attaches parisiennes sont strictement liées au travail, « l’ancrage » à Épernon est circonscrit à la maison, dans laquelle Pascale et Igor se sentent comme dans une « bulle ». Ils n’ont pas développé de véritable vie sociale, hormis les contacts avec les plus proches voisins. L’attrait se trouve encore ailleurs, en Franche-Comté ou en Bretagne, par exemple, où le couple part souvent se ressourcer.

Les plus, les moins

+

L’immobilier accessible.
L’espace d’habitation.
Le calme.
La proximité de Chartres.

-

Pas de « belle campagne ». Un peu de forêt.
Des problèmes de transport récurrents, compensés depuis peu par la possibilité du télétravail pour Pascale.
Peu de commerces. 

#3 Vivre dans une capitale régionale et travailler à Paris

Orléans (Loiret) → Paris → Orléans/Paris

Anne et Valentin (48 ans)

« La qualité de vie et les relations sociales
relativisent beaucoup la distance avec Paris.  »

Anne et Valentin sont originaires du Loiret. Valentin débute ses études à Orléans, les poursuit à l’ENS de Saint-Cloud, puis à Caen pour un 3e cycle. C’est à Paris qu’il trouve un premier stage, suivi d’un emploi en CDI en 1999 dans un bureau d’études. Anne le rejoint et le couple s’installe dans un appartement en location, dans le 15e, puis le 14e arrondissement. Plusieurs événements les incitent à déménager quelques années plus tard : la naissance de deux enfants et le manque de place dans leur 55 m; la mise en vente de leur appartement par le propriétaire ; la perte d’emploi d’Anne. Ils décident de trouver un logement plus spacieux dans un environnement plus agréable, mais le compromis de la « banlieue » ne les enthousiasme guère. Ils envisagent alors le « retour » à Orléans, située à 130 km de Paris, où se trouvent leurs attaches familiales et amicales.
En 2004, à 32 ans, ils s’installent en location dans une première maison de 100 m2 avec jardin en centre-ville et à proximité de la gare, pour un loyer équivalent à celui de leur 55 m2 parisien. Valentin entreprend les navettes quotidiennes en train entre Orléans et Paris. Temps de transport : 5 min à vélo pour se rendre à la gare + 55 min en train + 20 min en métro et 5 min de marche. Si la ville est bien desservie, le réseau ferré Intercités est dégradé et fait actuellement l’objet de travaux qui doivent être achevés en 2022. Lors des épisodes de grève, Valentin fait le voyage en voiture. Depuis peu, il a la possibilité de télétravailler régulièrement, un à deux jours par semaine. 
De son côté, Anne trouve un nouvel emploi dans les ressources humaines à Orléans, avant une reconversion professionnelle en 2013 qui déboucha sur un poste de commerciale dans le domaine médical en home office (télétravail et déplacements). La famille accueille aussi un troisième enfant. Après deux expériences en location et une première acquisition immobilière depuis leur installation à Orléans, Anne et Valentin font construire en 2012 une maison avec des matériaux écologiques en centre-ville.

Les plus, les moins

+

Qualité de vie dans la capitale régionale du Centre-Val de Loire, ville « nature » (Loire, Sologne) à taille humaine, moins polluée, avec des déplacements plus faciles qu’à Paris.
Immobilier plus accessible.
Bons équipements (sport, culture, commerces, etc.).
Environnement familial des deux conjoints très important, ainsi que les amis.
Beaucoup de liens tissés au sein des établissements scolaires des enfants.

-

La distance avec Paris (relative).
Une vie culturelle moins intense.
Désert médical pour certaines spécialités (ophtalmologie, dentaire, etc.) malgré la taille de la ville.

#4 Un projet d’habitat participatif dans le Perche boosté par le télétravail

Paris → Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir)

Laure (41 ans) et Raphaël (44 ans)

« Le but est de redéfinir son rapport à l’espace,
au temps et au travail,
au profit de sa vie personnelle et familiale.  »

Raphaël, magistrat administratif et Laure, professeur, ont deux enfants de 5 ans et de 6 mois. En 2016, ils entament une réflexion sur un projet d’habitat participatif avec un groupe d’amis. Tous sont alors locataires, à Paris, Noisy-le-Grand, etc. Le déterminant : un quotidien compliqué avec de jeunes enfants dans des appartements de 70 m2. Afin de ne pas augmenter la dépense en logement, ils souhaitent « essayer autre chose », hors la zone dense. Un consensus « mou » se dégage concernant certains contours géographiques : la plaine de Beauce est par exemple écartée pour des raisons « esthétiques ». Les trajectoires professionnelles des uns et des autres n’étant pas encore pleinement déterminées, il était nécessaire de continuer à travailler à Paris. Y compris pour Laure, car la mobilité du personnel enseignant via le système des mutations reste très complexe. Le projet connaît des hauts et des bas, certains y renoncent même.
In fine, ce sont deux couples avec de jeunes enfants, et un célibataire, qui se lancent dans l’aventure, avec une stratégie géographique plus précise : les villes desservies par le TGV sont abandonnées au profit de celles jalonnant la ligne TER Montparnasse/Le Mans. En 2020, le groupe fait l’acquisition d’un corps de ferme près de Nogent-le-Rotrou, dans le Perche, déjà réhabilité aux standards de construction des années 1990, et qu’il faut adapter pour créer des logements indépendants. Si le prix de revient du bien est conséquent, l’acquisition en groupe permet de réduire considérablement le niveau d’endettement.
Le télétravail est venu sans conteste consolider le projet : une partie du groupe continue de travailler à Paris (1 h 30 en TER depuis Nogent), en alternance avec deux jours de télétravail par semaine. Raphaël, lui, peut exercer son métier de magistrat en télétravail à 80 %. L’idée est également de réduire ce temps de travail de 20 à 30 %, de « vivre mieux avec moins d’argent », une possibilité permise par un bon niveau de salaire de cadre. Pour sa compagne, une reconversion professionnelle locale peut être envisagée.

Les plus, les moins

+

Qualité de vie.
Aucun problème de scolarisation (école dans le village).
Mobilité : village à 7 km de Nogent, qui permet les déplacements à vélo.
Accueil très favorable des familles par les maires.

-

Des limites principalement d’ordre juridique. Le droit n’est pas adapté à la propriété collective. Si le concept d’habitat participatif est valorisé par la loi Alur (détermination du statut), les projets restent très marginaux. Une SCI a été créée, mais elle présente des limites : la sortie d’une SCI (cession de parts) est un exercice délicat qui requiert l’agrément des autres associés, etc.
Autres difficultés : la négociation d’un prêt auprès des banques dans le cadre d’une SCI non familiale ; le régime fiscal des travaux (pas d’éligibilité aux aides à la rénovation tant que les résidents ne sont pas dans les murs).

Portraits réalisés par Isabelle Barazza
département Habitat et société de L'Institut Paris Region

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