Pour les jeunes actifs, le défi de s'intégrer à distance

Article extrait du Cahier n° 181 « À Distance, la révolution du télétravail »

21 septembre 2023ContactOlivier Mandon

Si les premiers pas dans la vie professionnelle sont parfois anxiogènes, s’intégrer à distance est encore plus déstabilisant. Mais les jeunes diplômés apprennent plus vite l’autonomie et la responsabilité.

Pour les jeunes en début de carrière ou les étudiants en contrat d’apprentissage, la pratique du télétravail, devenue la norme, bouleverse l’appropriation de l’environnement professionnel, préalable à leur intégration, renforçant l’exigence d’une grande capacité d’adaptation de leur part.
Le sentiment d’isolement, systématiquement associé au télétravail, est sans doute la composante la plus délicate à gérer. C’est en observant et en tentant d’analyser les codes et les interactions que les jeunes professionnels réussissent à s’intégrer. Comprendre les modes de fonctionnement d’un employeur et les spécificités de la vie collective en entreprise devient difficile lorsque le télétravail est largement pratiqué. Le manque de socialisation peut aussi entraîner une perte de motivation et d’énergie chez les jeunes télétravailleurs, pouvant les pousser jusqu’à s’interroger sur le sens de leur travail, leur rôle dans l’entreprise et leur place dans le monde professionnel.
Les jeunes actifs, ou ceux en voie de l’être comme les apprentis, manifestent le besoin d’être accompagnés dans leurs missions, notamment pour hiérarchiser les priorités. Le nouveau mode de travail qu’ils rencontrent remet en cause les formes traditionnelles de leur encadrement, à savoir un suivi presque quotidien, au profit d’une « hyper-présence » en fin de mission, sous la forme d’une évaluation des résultats. Source de désynchronisation ou de diminution des coopérations entre salariés, l’encadrement à distance peut susciter des malentendus, au détriment de la qualité du travail et du bien-être de l’employé.
En télétravail, tous les actifs peuvent être confrontés à de nombreuses sollicitations et à une surcharge d’activité. Les jeunes, souvent plus malléables face aux attentes de leur hiérarchie, sont particulièrement exposés au risque de « plug and play », accru par une plus grande disponibilité liée au télétravail et à leur volonté de faire leurs preuves ou d’acquérir de nouvelles compétences. La crainte de ne pas en faire assez est d’autant plus ressentie que l’encadrement est moins présent.
Les conditions de travail à distance des jeunes actifs sont variables. Les situations dégradées que l’on peut observer à tous les niveaux résultent le plus souvent d’un manque d’investissement de l’employeur, qui n’a pas anticipé les besoins techniques ou matériels associés au télétravail. Le contexte est d’autant plus délicat pour les jeunes actifs ou les apprentis qu’ils ne connaissent pas ou peu les modes de fonctionnement de leur employeur, et ne sont pas en mesure d’identifier les moyens techniques mobilisables ou de faire valoir leurs droits.

DES COMPÉTENCES NUMÉRIQUES FRAGILES

Plébiscité par une majorité des actifs depuis son fort développement à partir de 2020, dans le contexte de la pandémie de Covid, le télétravail révèle de nouvelles possibilités dans les façons de travailler et d’acquérir des compétences, potentialités dont les jeunes se saisissent autant que leurs aînés. Le calme et la tranquillité du travail à domicile, la souplesse dans l’organisation du travail, et une gestion du temps plus personnelle, sont propices au bienêtre, à la concentration et à l’efficacité. La porosité entre vie professionnelle et vie personnelle peut offrir de nouvelles disponibilités et faciliter le quotidien.
Si l’autonomie « forcée » des jeunes en télétravail peut être anxiogène, voire inadaptée pour certains, en contrat d’apprentissage, d’autres l’ont tout de suite perçue comme une opportunité. Confrontés à des prises de décision en autonomie, ils se sont sentis plus rapidement responsables dans leurs tâches, et ont pris plus tôt confiance en eux dans leur parcours professionnel.
Enfin, le travail en distanciel est aussi l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences, comme la maîtrise des outils de communication et l’apprentissage des échanges à distance, lesquels nécessitent de savoir se faire bien comprendre, que ce soit par mail, en visio ou au téléphone. En dépit de la pratique personnelle soutenue qu’ils en ont, les outils numériques ne sont pas systématiquement acquis par les jeunes. Au sein d’une même classe d’âge par exemple, le niveau de diplôme et l’origine sociale structurent les comportements. Contrairement à une idée reçue qui voudrait que les jeunes générations soient nées avec la technologie et en maîtrisent l’usage, de nombreuses enquêtes montrent qu’une large partie de la jeunesse rencontre des difficultés dans le maniement des outils numériques, et ce pour différentes raisons. La première tient au caractère peu transférable des habiletés dans ce domaine. Pour le dire vite, on peut savoir poster des photos sur Instagram et avoir le plus grand mal à envoyer des mails avec une pièce jointe. On peut passer des heures sur « Snap » et être complètement figé à l’idée de concevoir un Power Point. Outre cette question de la transférabilité, il convient aussi d’affirmer que le numérique a largement mis sur le devant de la scène un certain nombre de compétences scripturales. Savoir écrire sans fautes, s’exprimer de manière claire et intelligible, éventuellement avoir un style… sont autant de compétences inégalement réparties au sein de la jeunesse. Or, pour la plupart des postes considérés comme « télétravaillables », la maîtrise de la langue et de ses nuances est aussi nécessaire que les habiletés techniques.

LE COLLECTIF ET L’INFORMEL : DES INDISPENSABLES RÉAFFIRMÉS

La sociologie du travail a, de longue date, mis en évidence les effets des échanges, dont ceux informels, sur les collectifs de travail. La quête perpétuelle de la rationalisation des processus productifs, qui s’est traduite par le Lean Management (mode de gestion optimisant la rentabilité), peut s’analyser comme la prolongation de la chasse aux temps morts promue par la doctrine taylorienne. En rationalisant l’ensemble de la chaîne de production, l’organisation tend à réduire l’informel, considérant qu’un travailleur doit être à son poste de travail, à produire. Ce faisant, elle oublie ce qui se joue dans l’informel. Faire équipe et faire preuve de solidarité avec les autres, se sentir appartenir à une entité, échanger des trucs et des astuces, se sentir reconnu, apprendre des autres… autant de besoins que les jeunes professionnels doivent apprendre pour donner du sens à leur début de parcours. S’engager dans le travail, c’est d’une part s’engager dans la production, mais c’est également s’engager au côté et en faveur du collectif réuni à l’occasion du travail en présentiel.

Les enquêtes réalisées sur le télétravail mettent en évidence une forme de disparition de l’informel. Rester chez soi, c’est tout simplement ne pas être présent à la machine à café, c’est ne pas manger avec ses collègues, et c’est plus généralement limiter les échanges avec les autres aux strictes nécessités productives. Si de nombreux managers ont tenté d’inventer des cafés en Teams ou des apéros Zoom, ils ont bien été obligés de constater que ces moments ne font que singer l’informel. Au fond, l’informel au travail ne se décrète pas, il s’installe au sein des équipes. Il est moins un acte de management qu’une action autonome des actifs, et si sa disparition dans le télétravail est problématique pour des travailleurs expérimentés, ou anciens dans l’entreprise, elle peut aussi rapidement devenir un obstacle à l’intégration des nouveaux arrivés. Bien sûr, il ne s’agit pas de considérer que le monde du travail est un lieu de sociabilité à l’abri du pouvoir, des rivalités, des rapports de force ou de la domination, mais il advient souvent que des difficultés soient aisément résolues par un simple échange en présentiel. Et on ne compte plus les situations dans lesquelles les échanges numériques, même policés et agrémentés de smileys, peuvent tendre les discussions.

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