Singularité du mode de vie des étudiants

Trois questions à Martin Omhovère, directeur Habitat et Société

14 septembre 2023

Trois questions à Martin Omhovère

Directeur du département Habitat et Société de L'Institut Paris Region

Quelles sont les caractéristiques des conditions de vie des étudiants franciliens ?

Les étudiants franciliens présentent des situations très diverses, tant par leur origine et le type d’établissement fréquenté, que par leur niveau de vie. Mais des traits communs propres à la vie étudiante en Île-de-France peuvent être relevés. Là où ailleurs en France l’accès aux études supérieures est souvent synonyme de déménagement vers un logement indépendant, en Île-de-France, la très grande majorité des étudiants continue de vivre au domicile parental, au moins pour leurs premières années de cursus. Ce constat fait écho aux difficultés d’accès au logement, difficultés rappelées par les mouvements étudiants en cette rentrée : des loyers à Paris, Nanterre, Créteil, Saint-Denis, mais aussi à Evry ou Cergy, plus élevés qu’à Lyon, Bordeaux ou Marseille-Aix (d'après une enquête de l'Unef). Le prix du logement est le premier facteur contribuant au renchérissement du coût de la vie étudiante en Île-de-France.

Rester chez ses parents constitue dès lors une économie, voire une nécessité absolue, faute de pouvoir financer de telles dépenses. Point positif, les étudiants résidant chez leurs parents se déclarent très majoritairement satisfaits de leurs conditions de logement, et ce davantage que ceux ayant pris leur indépendance (77 % contre 70 %).

Mais les difficultés rencontrées pour se rapprocher du lieu d’études ont d’autres incidences, comme des temps de trajet domicile-études atteignant près de 2 heures aller-retour en moyenne, et près de 2 h 40 pour les étudiants résidant chez leurs parents en grande couronne, alors que le temps moyen est de 1 h 15 en province. Une situation qui s’explique par une concentration encore très forte de l’offre de formation en un lieu, Paris. Pour se déplacer, les trois quarts des étudiants recourent au vaste réseau de transport en commun dont profite la région. Ils sont néanmoins nombreux à souhaiter consacrer moins de temps à ces déplacements et il s’agit indéniablement d’un enjeu, tant pour favoriser la réussite scolaire et que la poursuite d’études dans les filières idéalement visées – et éviter que leur orientation ne se cantonne à celles accessibles à proximité de chez eux.

Pour assumer leurs dépenses quotidiennes, près de la moitié des étudiants franciliens exerce une activité rémunérée. Un tiers d’entre eux considère d’ailleurs celle-ci indispensable pour vivre, même si dans les faits, elle ne les protège pas toujours de la précarité financière. Selon les données de l’Observatoire de la vie étudiante exploitées par L’Institut, le fait de travailler n’augmente en revanche pas les difficultés rencontrées pendant les études, du moins tant que ces activités n’entrent pas en concurrence avec la présence en formation.

Je souhaiterais enfin souligner qu’à l’exception des étudiants des grandes écoles, les étudiants franciliens participent peu à la vie de campus. Compte tenu des caractéristiques dominantes de leur mode de vie (maintien au logement familial, temps de transport important, activité rémunérée), ce constat n’a rien d’étonnant, mais il devrait nous interpeller tant du point de vue individuel que collectif.

Pour les étudiants, une faible fréquentation du lieu d’études contribue à un sentiment de faible d’intégration à la vie de leur établissement. Or un sentiment d’intégration plus fort les protégerait de risques de fragilité psychologique et favoriserait leur réussite scolaire. Et à l’échelle collective, la dispersion de lieux de vie étudiante (résidence, étude, travail) ne facilite pas l’émergence de lieux vivants, favorisant la sérendipité, ni la programmation de nouveaux usages et services pouvant contribuer à la qualité de vie et au rayonnement des campus.

Dans ces conditions, pourquoi étudier en Île-de-France ?

Étudier en Île-de-France constitue une véritable opportunité, celle d’accéder à une offre d’enseignement supérieur vaste et diversifiée, constituée des meilleures universités et grandes écoles françaises, ainsi qu’à un panel de plus en plus diversifié de formations courtes et professionnalisantes. Grâce aux liens tissés entre les recherches publique et privée, et les établissements d’enseignement supérieur, l’Île-de-France jouit d’un écosystème R&D d’envergure internationale : un tiers des brevets français y est déposé et la région se place au deuxième rang européen de la recherche scientifique (Diagnostic territorial de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation). Cet environnement profite aussi bien aux jeunes originaires de la région, que plus largement à toute la jeunesse du pays. Parmi 790 000 étudiants inscrits en Île-de-France, un quart est originaire d’une autre région et 17 % sont originaires de l’étranger. La région est ainsi particulièrement attractive, tant au plan national en accueillant 27 % des étudiants de France, qu’au plan international avec 35 % des étudiants de nationalité étrangère. D’ailleurs, près d’une personne sur trois s’installant en Île-de-France est étudiante. Et venir y étudier est souvent la première étape d’un parcours de vie qui se prolongera dans la région au moment de l’insertion professionnelle, voire de la poursuite d’une carrière, grâce aux opportunités offertes par le marché de l’emploi régional. Il est dès lors essentiel d’améliorer leurs conditions de vie et d’accueil pour leur faciliter l’accès, la réussite et la poursuite d’études, ainsi que leur ancrage. Car ces jeunes portent en germe le dynamisme à venir de la région, tant sur le plan économique, que sur le plan démographique. Veiller à assurer des conditions de vie optimales à ces publics devrait dès lors être un objectif partagé par les acteurs publics franciliens. C’est d’ailleurs la priorité de la Stratégie régionale pour la recherche et l’enseignement supérieur adoptée en 2023.

Alors comment améliorer les conditions de vie des étudiants ?

Cela appelle des actions à toutes les échelles, dans trois domaines clés : l’aménagement des campus, le logement et les transports. Sur ce dernier point, la mise en service progressive des nouvelles lignes du Grand Paris Express et du RER E va considérablement améliorer la desserte de grands campus (Saclay, Descartes, Nanterre) et de nombreux établissements. En favorisant les déplacements de banlieue à banlieue, ces nouvelles lignes vont considérablement élargir le champ des possibles pour de très nombreux étudiants de petite et grande couronnes et créer de nouvelles opportunités pour relocaliser et développer l’offre en dehors de l’hypercentre.

Cependant, les transports ne pourront pas tout résoudre et leur déploiement doit s’accompagner d’une poursuite des efforts en faveur du développement d’une offre de logements étudiants à tarification sociale. En effet, pour les étudiants originaires des franges de l’Île-de-France, ou pour ceux arrivant d’autres régions et de l’étranger, disposer d’un logement abordable et bien localisé est une condition essentielle pour favoriser la poursuite d’études. Cet enjeu recouvre une dimension quantitative : l’État et la Région se sont fixé un objectif de 4 800 logements étudiants sociaux à produire chaque année pour les étudiants. Mais il est aussi territorial : où construire ces logements pour faciliter l’accès et la fréquentation des campus, tout en offrant aux étudiants un cadre de vie animé, propice à des déplacements vers d’autres territoires stratégiques pour y trouver un travail, un stage ou une alternance en lien avec leurs études, un autre établissement permettant de compléter leur formation, etc. ?
Selon les contextes urbains et la desserte locale, la réponse n’est pas toujours à proximité immédiate des établissements. L’Institut Paris Region a réalisé un travail de modélisation des territoires préférentiels pour l’implantation de résidences étudiantes : les centralités permettant d’accéder facilement à de nombreux lieux d’études, les quartiers de gare animés et à l’interconnexion de plusieurs lignes, sont à cet égard des lieux stratégiques où se pose la question de la programmation de logements étudiants à tarifs sociaux. Au-delà du logement strictement étudiant, une attention renforcée doit être portée au parc locatif privé concentré à Paris et en petite couronne, qui se réduit sous l’effet d’importantes pressions (transformation en meublé touristique, pied-à-terre, vente pour d’autres usages que la location afin de contourner le durcissement des réglementations environnementales) au détriment de l’accueil des plus jeunes et moins solvables : les étudiants.

L’aménagement et le réaménagement des campus recèlent nombre d’opportunités pour améliorer la qualité de vie des étudiants, tout en présentant de nombreux bénéfices pour l’enseignement, la recherche et le rayonnement des sites. Cela commence à l’échelle des bâtiments, avec, en Île-de-France, un patrimoine immobilier de l’enseignement supérieur de plus de 4 millions de m2 très hétérogène d’un point de vue historique et fonctionnel : salles d’enseignement, bureaux, laboratoires, médiathèques, salles de sport, restauration, résidences, etc. Afin de réduire les émissions de GES, une grande partie de ces bâtiments doit être rénovée, ce qui offre non seulement l’occasion de mener des opérations exemplaires et innovantes (cf. guide L’Institut) pour améliorer leur performance et leur confort d’hiver, mais aussi de repenser les usages possibles et services rendus aux étudiants afin de mieux répondre à leurs attentes et favoriser leur fréquentation. À cet égard, un réel enjeu d’équité territoriale réside dans l’accessibilité des services de restauration, de santé, ou en favorisant la pratique sportive.

Mais les interventions ne peuvent se limiter au bâti, et c’est bien la programmation et l’aménagement de l’ensemble des campus qui doivent faire leur mue. Cela concerne le développement de nouveaux usages pour rendre le campus vivant, notamment par l’accueil de logements, mais aussi le traitement des espaces publics, un sujet trop longtemps négligé et pourtant essentiel pour construire une identité de campus qui contribuera à son rayonnement et à l’intégration des étudiants. L’espace public joue évidemment un rôle crucial pour les déplacements au sein du campus et, au-delà, pour le relier aux territoires alentour. La qualité et la cohérence des espaces publics permettent en effet de valoriser les équipements et ressources propres au site et favorisent l’appropriation et l’animation des lieux, point de départ aux rencontres fortuites qui fondent le dynamisme des campus. Ces transformations sont néanmoins longues à concevoir et à mettre en œuvre. À cet égard, L’Institut a pu démontrer l’intérêt de l’urbanisme transitoire, qui permet de saisir les opportunités immobilière et foncière pour requestionner les usages, les besoins, et tisser de nouveaux liens entre étudiants. Ces démarches posent très concrètement des questions de programmation, de mixité des publics, d’accès partagé ou non aux espaces. Par l’expérimentation, elles mettent en jeu les zones de friction, favorisent des conceptions partagées et peuvent résoudre les difficultés d’attractivité ou de concurrence des campus. Elles offrent enfin l’occasion de mettre les nouveaux services proposés à l’épreuve des rythmes étudiants… pour identifier les solutions permettant d’assurer une fréquentation plus régulière des sites : calendriers semestriels et horaires hebdomadaires des enseignements, mais aussi le relai que constitue la demande des populations voisines, etc. Autant de sujets appelant une réflexion collective de la part des établissements et des territoires pour intégrer l’aménagement et le développement des campus dans leur environnement territorial.

En cette rentrée universitaire, l’élaboration des Schéma directeurs de la vie étudiante attendus pour 2024 doit permettre d’ouvrir le dialogue entre l’ensemble des parties prenantes pour ensuite construire une vision partagée de l’avenir des campus.

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