Équiper autrement

Extrait du cahier BOUGER ! Le sport rythme la ville

27 août 2020ContactGérard Baslé et Claire Peuvergne

L’essor de pratiques sportives inédites ou régénérées oblige à davantage d’inventivité. Urbanistes, programmistes et architectes doivent désormais assimiler et intégrer ces nouveaux paramètres pour favoriser le développement de ces pratiques.

Au cours des 50 dernières années, trois phénomènes concomitants ou successifs ont induit une grande complexification de la demande en matière de pratique sportive : son extension à de nouvelles populations, sa démocratisation récente dépassant la notion de sport-performance, et une prise de conscience des effets délétères de la sédentarisation sur la santé et des bienfaits de l’activité physique au quotidien. Ces évolutions conduisent à la nécessité de répondre aujourd’hui à des pratiquants dont les attentes et les modes de pratiques se sont extrêmement diversifiés, avec souvent pour point commun la recherche de faibles contraintes et de plus grande souplesse d’usage. À cela s’ajoutent des carences manifestes en équipements sportifs dans les territoires. C’est donc un double défi que doivent relever les équipements sportifs publics, dont les modèles sont à revisiter.

Renouveler les modèles d’équipements

Les réponses innovantes se développent et concernent tout autant les nouveaux équipements, par un renouvellement de leur programmation et de leur conception, que ceux existant, par l’amélioration de leur fonctionnement et de leurs modes de gestion. Pourtant, les équipements sportifs traditionnels (gymnases, stades, etc.), principalement financés par les communes, ont bien du mal à s’adapter. Conçus à l’origine pour répondre aux besoins des clubs et des scolaires, leur accès dépend de créneaux définis à cet effet sur une année sportive. Lorsque des équipements sont construits ou rénovés, il y a souvent reproduction des modèles existant depuis les années 1970, avec des aires de pratiques conformes aux tracés officiels des fédérations, sans aucun espace pour des modalités plus axées sur les loisirs ou la santé. Ils intègrent rarement des espaces d’accueil et de convivialité. C’est pourtant l’élargissement à d’autres publics qui doit être impulsé, tout en permettant les pratiques scolaires ou en club. Car la pratique en club est toujours plébiscitée (63 % des Franciliens entre 4 et 15 ans pratiquent en club au moins une fois par semaine, et 36 % des 15 ans et plus). C’est un rempart contre une marchandisation totale de la pratique sportive, considérée, par ailleurs, comme un véritable outil d’insertion pour les populations les plus fragiles. Les concepteurs de l’offre privée d’équipements sportifs ont bien perçu les changements en cours et ont déployé différents concepts en conséquence : réservation en ligne, plateforme sociale pour créer une communauté, pas d’obligation d’adhésion, espaces de convivialité (bar, restauration…), larges plages horaires d’ouverture, diversification de gamme (du select au low cost ou vers des publics féminins)… On retrouve, dans cette catégorie, les salles de futsal, d’escalade de bloc, de basket 3x3, de sports de sable ou encore de fitness. Dans les équipements publics, seuls les centres aquatiques ont connu de fortes évolutions programmatiques, répondant aux enjeux cumulés de sport, de loisir et de santé, ce qui peut faire modèle pour d’autres équipements. Quant aux effets de la transition écologique, ils se sont traduits avant tout par la recherche de solutions techniques économes en énergie et vertueuses en impact sur l’environnement, assurées par la définition d’un label Haute Qualité Environnementale (HQE) spécifique. Aucune analyse pour de nouvelles réponses d’usage et d’accueil de tous n’a, pour autant, été menée. Le standard du gymnase polyvalent s’impose toujours, avec une très grande salle comprenant toutes les aires de pratiques, des plus grandes aux plus petites, en réponse à l’adage « qui peut le plus peut le moins ». Néanmoins, quand l’activité utilise le moins, il faut toujours chauffer, éclairer, entretenir le plus. Les collectivités donnent la priorité aux dimensions économiques du projet, tant en investissement qu’en fonctionnement. Cela engendre le développement de nouvelles procédures de réalisation (marchés publics globaux de performance, délégations de service public…), qui réduisent les risques et rassurent les maîtres d’ouvrage, mais qui pèsent sur les caractéristiques des projets et leur inventivité dans les modalités d’usage. Tout projet d’équipement sportif vertueux interroge de nombreuses autres dimensions, dont celle de la pertinence sociale, qui s’appuie sur un renouvellement des usages et des publics, sur une gouvernance permettant d’associer les citoyens à la définition et à l’évolution du projet. Aujourd’hui, il faut imaginer une autre façon de répondre aux besoins sportifs, en se fondant sur une hiérarchisation des attentes des pratiquants.

Rapprocher les différents modes de pratiques

Comment ajuster au mieux les surfaces et les volumes bâtis en fonction des usages attendus en produisant des réponses efficaces en termes d’isolation, d’énergie renouvelable et de maîtrise des nuisances ? Des concepts d’équipements semi-spécialisés, pour toutes les modalités, peuvent être imaginés, l’accueil des pratiquants étant au cœur du projet. L’interface entre les parties couvertes et l’extérieur devient un enjeu majeur sur les questions d’accessibilité douce, d’effet « parvis », pour un équipement ouvert sur la ville et le quartier. Les espaces non clos et clos s’organisent, en allant du plus ouvert au plus « réservé », dans une hiérarchisation des modalités de pratiques, tout en enrichissant les possibilités de rencontre, de pratique partagée entre les experts et les autres pratiquants : un parvis actif, abrité, proposant des offres de pratiques ouvertes, accessibles, utilisé par des groupes constitués, avec un encadrement, ou par des groupes spontanés auto-organisés ; des espaces couverts et clos, avec les qualités des salles spécialisées traditionnelles, pour l’entraînement et la compétition. Ces espaces accueillent les scolaires et les licenciés, leurs caractéristiques dépendant du projet du club et de son niveau. Cet équipement s’organise autour de l’accueil, du foyer du club. À divers moments, les experts et les licenciés peuvent s’exercer avec les pratiquants loisirs dans les espaces ouverts. Les conditions de lien social et de convivialité se vivent au quotidien. La richesse et la diversité des activités et des services permettent la professionnalisation de multiples acteurs sur les fonctions d’animation, d’entraînement, d’accueil, de gestion, de services… Et ce, sans remettre en cause le noyau dur du projet sportif du club résident, avec au contraire un impact significatif pour ce dernier en termes de professionnalisation et d’emploi. L’équipement devient un pôle de service pour les pratiquants hors club, qui y accèdent moyennant finance pour un service rendu (vestiaires, conseils sportifs, etc.). L’objectif est bien de créer un équipement diversifiant l’offre traditionnelle, centrée sur la proposition unique d’aires de pratique conformes aux règles fédérales, pour définir des espaces plus ouverts dans un souci d’accessibilité universelle, et capables d’accueillir des publics nouveaux.

Intégrer l’hybridation et la mixité fonctionnelle

Les équipements sportifs sont le plus souvent centrés sur eux-mêmes, le gymnase isolé, parfois près du collège, les aires sportives d’un complexe sportif ou d’un parc des sports. Comment créer des synergies entre différentes fonctions, entre différents usages, permettre des mutualisations de services, y compris privés, dans une approche plus large, culturelle, et socio-éducative ? Quelques projets de ce type ont existé dans les années 1970 et 1980, avec les concepts de MJC, de Maison du Temps Libre, comme l’Espace Jacques Kosciusko-Morizet de Saint-Nom-la-Bretèche, où sont regroupés un service municipal animation jeunesse, un conservatoire de musique et de danse, une maison loisirs et culture, une grande salle polyvalente sportive, une crèche, un skatepark… Cette tendance, mise en sommeil, semble renaître à partir des objectifs de densification urbaine et sous l’effet des attentes plus diversifiées des citadins. L’exemple récent de l’espace multimodal à Aulnay-sous-Bois, dans le quartier en politique de la ville (QPV) de la Fontaines des Prés, en témoigne. Il regroupe une diversité de programmes mutualisés (bibliothèque, tiers lieux, dojo et salle sportive polyvalente, antenne jeunesse, assistance juridique et administrative, etc.). Implanté sur une ancienne friche, sa construction s’est accompagnée d’une réflexion importante sur les espaces extérieurs attenants qui permettent de prolonger les activités et d’accueillir de l’événementiel (parvis, jardin). Une démarche qui a largement su associer les habitants du quartier. Mais rendre l’équipement plus ouvert, plus souple, modifie profondément la vie à l’intérieur. Toutes ces modalités nouvelles posent des questions inédites de sécurisation et de responsabilités. Cela va de la présence obligatoire d’un gardien à la responsabilité systématique du maire pour toute installation d’un équipement sur l’espace public. Certaines réponses sont déjà mises en œuvre : ainsi, dans les piscines, lorsque le club est l’unique utilisateur, il assume la surveillance avec ses propres encadrants, ou des personnels municipaux assurent une présence « tournante » et visitent plusieurs équipements. Cela revient aussi à rendre de plus en plus responsables et autonomes les utilisateurs des équipements sportifs publics (scolaires, associatifs, coachs, individuels), en s’appuyant sur les ressources nouvelles des réseaux connectés, des dispositifs de contrôle d’accès… Ces équipements connectés permettant le libre jeu des accès, des créneaux horaires souples doivent susciter une autre convivialité par les réseaux sociaux, dans laquelle l’offre répond plus efficacement aux demandes, celles des sportifs de haut niveau comme celle des pratiquants de loisirs, de santé, celles des scolaires, des clubs, des coachs et des individuels ou des groupes.

Balagny à Aulnay-sous-Bois : un exemple d’équipement multifonctionnel. CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE : J. TOMAS/MAIRIE D’AULNAY-SOUS-BOIS

Penser la saisonnalité des équipements

La prise en compte des rythmes saisonniers répond aussi au renouvellement des modèles d’équipements. L’installation d’équipements temporaires, à l’image de ceux de « Paris Plage » et de ses déclinaisons dans d’autres villes, ou encore des patinoires de Noël, des bassins de baignade d’été mobiles, offre des rendez-vous, attendus au même titre que des événements culturels de saison (festivals, etc.). Ces activités, souvent plus proches du loisir, décloisonnent la ville, favorisent le lien social, incitent les habitants à des pratiques moins sédentaires. Cette mise en rituel des saisons participe de la ville expérientielle. Et par ailleurs, comment favoriser l’extension saisonnière de certaines pratiques en extérieur ? Il existe déjà des solutions, comme proposer des équipements adaptés de type couverts non clos (kiosque, préau sportif, skatepark, plateau de sports collectifs…), des éclairages adaptés. Une manière de revisiter le modèle installé depuis les années 1960, consistant à scinder les équipements sportifs entre une version estivale découverte et une version couverte tout le reste de l’année. Le développement depuis une dizaine d’années des bassins nordiques témoigne de ce changement progressif de paradigme.

LES USAGES AU COEUR DU RENOUVELLEMENT DE L’OFFRE

Un modèle sous tension

Le système sportif existant est sous tension. Les porteurs de l’offre, les collectivités et le mouvement sportif ont construit des dispositifs et des équipements répondant à des objectifs qui ne satisfont que partiellement une demande sociale qui s’est complexifiée et diversifiée, faisant appel à des modes de financements croisés entre « gratuité » (donc à la charge de tous) et paiement direct (donc à la charge du pratiquant). Innover interroge les concepts, les modes constructifs, les solutions techniques, les modalités de gestion commerciale et suscitent des interrogations nouvelles en termes d’externalisation, de délégation de services publics, voire de répartition entre une offre publique et une offre privée. Dans une vision prospective, il faut imaginer l’impact des tendances lourdes comme des faits porteurs d’avenir. La transition numérique, support de la pratique, outil de développement et d’auto-organisation, partenaire des dispositifs de sport santé, porteuse d’une pratique sur simulateurs, demande la construction de volumes bâtis plus réduits. La transition écologique tend à mettre fin aux équipements énergivores. En intégrant ces tendances, les équipements seront moins coûteux en investissement et en charge de fonctionnement. Ils permettront la création d’emplois sportifs dans des cadres renouvelés (salarié d’une association, d’une entreprise, micro-entrepreneur…). Par ses dimensions transversales, la réussite d’une innovation repose sur le recours à une démarche de réalisation elle-même innovante. Progressivement, ces réponses seront définies dans le cadre de démarches partagées entre des acteurs publics, privés, associatifs, voire individuels, qui seront amenés à prendre leur juste part dans la définition, le financement et la gestion du futur projet.

Gérard Baslé, sociologue-programmiste et Claire Peuvergne, géographe, directrice de l’IRDS, L’Institut Paris Region

les carences en équipements sportifs en île-de-france

Avec 23 équipements sportifs pour 10 000 habitants, l’Île-de-France se situe en dernière position sur les 13 régions de France métropolitaine, la moyenne nationale étant à 41 pour 10 000 habitants. Au sein même de l’Île-de-France, des disparités existent. Dans la zone dense de la région, l’offre d’équipements se situe à proximité des lieux de vie vers lesquels on peut se rendre à pied ou à vélo (56 % des pratiquants réguliers). La diversité d’équipements sportifs (plus de 20 types d’équipements par commune) donne potentiellement accès à une large palette d’activités. En revanche, le taux d’équipements par habitant étant faible, cela entraîne une saturation des équipements. En zone peu dense, la densité d’équipements au km2 est plus faible. Cela induit des déplacements motorisés (82 % des pratiquants utilisent la voiture ou la moto). L’éloignement des équipements est considéré comme un frein à la pratique (cité par 25 % des peu sportifs, contre 15 % en zone dense). La diversité d’équipements sportifs y est faible (moins de 10 types d’équipements par commune), et certains équipements sont rares voire inexistants : aucune patinoire, aucun vélodrome, une offre moindre de bassins de natation fonctionnant toute l’année, de très rares salles d’escrime ou de terrains de badminton, etc. En revanche, la salle des fêtes polyvalente joue souvent un rôle clé dans les villages (cours de gymnastique, danse, etc.). Les chiffres peu favorables à l’Île-de-France conduisent les pouvoirs publics à parler d’un indispensable rattrapage. Si l’objectif était d’atteindre le niveau du meilleur taux observé en France (région Centre Val-de-Loire), il faudrait alors produire près de 38 000 équipements supplémentaires sur la région, ou près de 24 000 environ si l’on se référait à la moyenne nationale. L’effort de construction apparaît énorme. On peut, dès lors, s’interroger sur la signification de ces valeurs. « Rattraper » ne peut se réduire à un taux à atteindre, en reproduisant les modèles d’équipements passéistes. Il devient urgent de construire des équipements qui rendent de meilleurs services tout en optimisant l’existant (éviter la sous-utilisation) et en aménageant des espaces publics qui favorisent l’activité physique et sportive.

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