« Le sport est au cœur de la cité »
Interview de Dominique Perrault, extraite du cahier BOUGER ! Le sport rythme la ville
Lauréat du Praemium Imperiale et membre de l’Institut de France, Dominique Perrault s’est forgé, depuis la Bibliothèque nationale de France (1995), une place inégalée dans le monde de l’architecture contemporaine. Il a réalisé de nombreux projets d’envergure, tels que l’université féminine d’EWHA à Séoul (2008), le Centre Olympique de tennis de Madrid (2009), la tour DC Tower I à Vienne (2016) ou le nouvel hippodrome de Paris Longchamp (2018). Depuis avril 2016, il est architecte mandataire chargé de la maîtrise d’œuvre urbaine du Village Olympique et Paralympique de Paris 2024.
Quelle est pour vous la place du sport dans nos sociétés ?
Dominique Perrault : Le sport est un élément d’innovation puissant et surtout très populaire. Aujourd’hui, tout le monde fait du sport, à sa façon, de plus en plus, et pratiquement partout. Cet engouement se retrouve à travers la mode, le côté « fashion » inspiré du sport, les lignes sportwear développées par les grands couturiers. Il est aussi conforté par le côté « healthy », le sport santé, et génère de nombreux développements technologiques, que ce soit sur les textiles intelligents ou au niveau médical. Ces avancées technologiques, mises en place pour les grands sportifs, se traduisent ensuite pour tout un chacun. L’influence du sport dans notre quotidien est un peu à l’image de ce que les technologies développées pour aller sur la Lune ont apporté au renforcement des capacités de la voiture. Le sport est également un vecteur d’union et de développement des territoires.
Comment cela se traduit-il dans les équipements sportifs de la cité ?
D. P. Les équipements sportifs tissent des liens, et le sport, grâce aux arènes qu’il propose, est vraiment au cœur de la cité. Les grands ensembles sportifs que j’ai conçus ont, à chaque fois, généré autour d’eux une transformation des quartiers. À Berlin, le vélodrome et la piscine Olympiques, construits à la fin des années 1990, ont renforcé la mise en relation entre Berlin Est et Berlin Ouest. Le Tennis Stadium Olympique de Madrid, la « Boîte Magique », a permis de réaliser un ensemble d’une vingtaine d’hectares, dont la majorité est un parc public, introduisant ainsi de nouveaux usages dans le site. C’est également le cas à Rouen, où j’ai réalisé le Kindarena. Il s’agit d’un équipement proposant de prolonger l’espace public, qui créé le lien entre les transports publics et la Seine. Chaque fois le projet sportif s’accompagne d’espaces publics, de paysages particuliers, ou encore d’autres événements qui mettent le sport dans une relation quotidienne, culturelle, sociale, économique avec les territoires et les quartiers environnants. Les arènes sportives sont des espaces très ouverts pour l’accueil de différents publics et événements. Elles sont aussi utilisées pour des manifestations culturelles, politiques ou des concerts. Elles s’ouvrent à de nouveaux usages.
Les fonctions des grands équipements se sont donc diversifiées ?
D. P. La notion d’événementiel est beaucoup plus présente qu’avant. Lorsque nous réalisons l’hippodrome de Paris Longchamp, c’est un lieu de rencontre qui va bien au-delà du sport hippique. Actuellement, nous travaillons sur la transformation du circuit des 24 heures du Mans et de ses tribunes. Le programme et les usages vont bien au-delà du sport automobile et du besoin de disposer de tribunes pour les spectateurs. L’offre est une offre de destination, d’expérience, de moment passé ensemble. Le sport ne se réduit pas à l’événement sportif en lui-même mais à un ensemble d’événements qui gravite autour de lui et permet aussi aux lieux de vivre tout au long de l’année.
Quelles répercussions au sein des espaces utilisés pour faire du sport ?
D. P. Dans tous les programmes qui se développent aujourd’hui, il y a une organisation au sein des bâtiments qui met en avant une diversité de fonctions, une mixité en termes d’usages. On ne conçoit plus des bâtiments avec uniquement des commerces en rez-de-chaussée. Leur programmation évolue. Ces rez-de-chaussée peuvent accueillir des services, mais aussi des salles de sport, des lieux d’entraînement. De même, les toitures des immeubles sont beaucoup plus utilisées aujourd’hui pour des usages sportifs, pour s’entraîner, faire de la gymnastique. Le sport s’installe partout, à tous les étages, dans tous les espaces. On voit apparaître des lieux qui sont utilisés par ceux qui habitent ou travaillent dans ces bâtiments. Cette multiplication et cette proximité permettent d’avoir un temps dédié au sport pendant la journée pour chacun. C’est un mouvement de prise en compte des usages et des modes de vie qui est très fort et profond.
Vous êtes mandataire de l’équipe de maîtrise d’œuvre urbaine du Village Olympique et Paralympique de Paris 2024. De quelle manière ces évolutions sont-elles prises en compte dans votre projet ?
D. P. Nous sommes, avec le Village, d’abord dans l’urgence de concevoir, dans un délai très court, un quartier permettant d’accueillir environ 15 000 athlètes pour qu’ils puissent y loger, se restaurer, se préparer aux épreuves Olympiques… C’est un quartier que nous construisons pour accueillir la famille Olympique. Cette urgence commence à être gérée, car les projets se mettent en place. Sur ce site, qui tourne le dos à la Seine et ne l’utilise pour le moment ni comme un lieu sportif, ni comme un réel lieu de promenade, vont naître de nombreux développements urbains. Il y aura des prolongements entre le complexe sportif et la Grande Nef de l’Île des Vannes, à l’extrémité de l’Île-Saint-Denis, qui n’est pas encore reliée au Village Olympique lui-même ; un lien à prévoir avec le Grand Parc des Docks de Saint-Ouen. Il faudra également pouvoir aller à pied du Village Olympique à la piscine Olympique et au Stade de France. Ces liens sont en train de se développer, mais ils ne sont pas encore suffisamment identifiés. Un effort va être fait dans toutes ces directions pour que le Village Olympique soit en relation étroite avec son environnement.
Pour vous, quels seront les principaux héritages des Jeux pour ce territoire ?
D. P. Le premier héritage que nous cherchons à valoriser, ce sont les retrouvailles avec la Seine. Le fleuve était, à cet endroit, totalement inaccessible. Il y aura tout un réseau d’allées, de rues, de places publiques qui vont se développer entre le hub Pleyel et le bord de l’eau. Ensuite, il y aura les 2 300 logements construits et les nouveaux habitants qui vont s’installer avec tous les services, les commerces, les écoles, les équipements. Petit à petit, la « boucle sportive » qui se mettra en place va relier tous les sites. C’est le développement d’un parcours d’équipement en équipement, de lieu en lieu, proposant à l’ensemble des populations, tous âges confondus, une boucle incluant des activités sportives. Cela est partie intégrante du projet urbain et Olympique, qui met l’accent sur son héritage, en lien avec des développements importants menés sur Saint-Ouen et Saint-Denis. L’héritage sera un quartier qu’on appellera le Quartier Olympique, parce qu’il aura accueilli les Jeux. Il se trouvera au bord de l’eau, ouvert sur la Seine, en relation avec une géographie beaucoup plus verte et aérée.
Que pensez-vous de l’impact qu’auront les Jeux et ces projets sur l’image et l’attractivité de Paris et de la région à l’international ?
D. P. Ce sera un impact certainement positif. L’impact a toujours été positif pour les villes qui ont eu l’ambition d’accueillir les Jeux, mais aussi, et surtout, de laisser un héritage sur la transformation de la ville. Le meilleur exemple récent est Londres. Paris sera très certainement dans le même mouvement. Mais avec une relation très forte avec la Seine, alors qu’à Londres les Jeux Olympiques n’avaient développé que peu de relations avec la Tamise. C’est vraiment la Seine, le fleuve qui traverse l’Île-de-France, qui va faire le lien entre tous les sites Olympiques. Ceci va révéler une métropole et sa dimension qui intéresse 12 millions d’habitants. Les Jeux sont au service de cette dynamique et de cette ambition.
Propos recueillis par Lina Hawi et Laure Thévenot, L'Institut Paris Region
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