L’incontournable inventivité foncière

Extrait du cahier BOUGER ! Le sport rythme la ville

28 août 2020ContactMartin Omhovère

S’il est un sujet dont il est régulièrement question en Île-de-France, c’est bien l’enjeu foncier et, plus particulièrement, la difficulté à identifier des terrains pour accueillir de nouveaux usages, et leur cherté. À l’instar du reste de la programmation urbaine, le développement de l’offre sportive se heurte au défi de la concurrence pour l’accès au foncier.

Ce que beaucoup considèrent comme une spécificité francilienne, la rareté foncière, découle moins d’une absence « physique » de foncier que de la concurrence exacerbée entre différents usages du sol : volonté de préserver les espaces agricoles et naturels dans une grande région urbaine, mais aussi au sein même des espaces urbains, concurrence entre l’habitat, les activités, les espaces verts et les équipements publics indispensables aux populations. Enfin, n’oublions pas la compétition qui se joue entre les différents équipements : éducatifs, sanitaires, culturels, récréatifs et… sportifs. Pourtant, en 2017, l’Île-de-France comptait 2 500 ha accueillant une variété d’équipements sportifs (source : MOS 2017), soit l’équivalent de deux fois et demie le bois de Vincennes. Cette superficie a crû de près de 30 % entre 1999 et 2017, un rythme très rapide au regard de la progression des espaces d’habitat (+ 8 %) ou d’activités (+ 16 %). Dans les faits, au cours de cette période, les deux tiers des nouvelles emprises sportives voyaient le jour en extension, par urbanisation de terres agricoles ou naturelles, tandis qu’un tiers seulement s’insérait au sein des espaces déjà urbanisés. Ce sont pourtant les territoires denses et anciennement urbanisés qui pâtissent des plus fortes carences en équipements sportifs1. Or, la densification des tissus urbains, condition sine qua non d’une plus grande préservation des espaces agricoles et naturels, aggravera la pression pesant sur les équipements existants. Une question s’impose alors : quel foncier pour développer l’offre sportive dans les espaces urbanisés ? Y répondre exige d’envisager de nouvelles façons de réaménager la ville et de construire.

Optimiser l’aménagement des équipements existants

Premier gisement foncier pour l’implantation de nouveaux équipements sportifs : les emprises existantes. Procéder au réaménagement d’un site sportif constitue non seulement l’occasion d’une modernisation – et donc la possibilité d’enrayer la vétusté de nombre d’entre eux – mais cette opération offre aussi l’opportunité d’intensifier son utilisation, soit pour augmenter sa capacité, soit pour offrir une plus grande diversité d’installations. Courbevoie a ainsi procédé à la démolition du stade municipal datant de 1932 pour construire une « Cité des loisirs », qui adjoint au stade rénové une programmation sportive et culturelle diversifiée. Le volet sportif du complexe comprend un gymnase de 1 000 m² et deux de 451 m², ainsi que six salles spécialisées (tennis de table, kung-fu, gymnastique, judo, musculation, tank d’aviron). Modernisé, le stade dispose dorénavant de pistes d’athlétisme en tartan, de deux terrains de rugby, et d’un terrain d’entraînement au football en gazon synthétique perché sur le toit du bâtiment. Si l’optimisation foncière des emprises sportives paraît tomber sous le sens, elle n’en est pas moins complexe à mener. Pendant la phase chantier, il est indispensable de disposer d’une offre alternative à celle de l’équipement démoli. Les deux options les plus courantes sont alors un séquençage du projet, pour maintenir active une partie de l’ancien site dans l’attente de la livraison des premiers équipements, ou des opérations « tiroirs », impliquant une relocalisation anticipée des emprises sportives sur un autre site avant d’entreprendre le réaménagement dudit site. La ville de Clamart a procédé ainsi en construisant un nouveau centre aquatique comprenant trois bassins pour remplacer la piscine vieillissante du centre-ville. L’ancienne piscine a finalement laissé place à un ensemble immobilier de 130 logements, à la suite d’une opération de valorisation foncière ayant contribué au financement du centre aquatique. L’attention portée à l’implantation du nouvel équipement est primordiale pour garantir le succès de ce type d’opération. La collectivité y parviendra d’autant mieux qu’elle pourra s’appuyer sur une stratégie foncière ayant identifié un nouveau site accessible et contribuant au maillage en équipement du territoire. Trop souvent, le site choisi est excentré, reflétant la hiérarchie des marchés fonciers, et conduit à un éloignement de l’équipement pour la population.
Sur le plan qualitatif, il faut enfin s’assurer que l’opération apporte une réelle amélioration de l’offre sportive en veillant à l’équilibre de la programmation. Certaines collectivités ont parfois dû réduire le programme sportif pour répondre à d’autres besoins (souvent d’autres équipements publics), d’autant plus lorsque ces derniers s’avèrent rémunérateurs (logement, bureaux). Entre 1999 et 2017, plus de 70 hectares d’emprises sportives ont ainsi été remplacées par d’autres usages, notamment de l’habitat et des activités tertiaires. Néanmoins, il peut s’avérer que d’autres équipements constituent un potentiel pour accroître l’offre sportive. La Région Île-de-France, lors de la construction ou de la rénovation de lycées, cherche ainsi à soutenir la complémentarité entre l’offre sportive du territoire et les installations du lycée. Et si leur fréquentation, les enjeux de gestion et de sécurité, constituent encore souvent un obstacle à l’ouverture à l’ensemble des publics, la collectivité s’engage aujourd’hui dans une démarche « Lycées Lab », visant à diversifier les usages des lycées tout au long de l’année. Le projet de campus de l’économie du sport fait ainsi le pari de l’hybridation d’un lycée existant, intégré au futur Village Olympique à Saint-Ouen, en créant des porosités avec son environnement.

Le foncier devra nécessairement être « fabriqué » en ville

Imaginer de nouveaux fonciers

En ville, l’immense majorité des terrains est déjà bâtie ou aménagée. Partir en quête d’un terrain libre pour y implanter un équipement sportif paraissant dès lors illusoire, le foncier devra nécessairement être « fabriqué ». Pour ces installations, dont certaines exigent de grandes emprises, il faut alors faire preuve d’inventivité et créer des fonciers de toutes pièces. Les couvertures d’infrastructures, ferrées ou routières, présentent de bons exemples de nouveaux terrains permettant l’implantation de structures légères, telles que des terrains de sport. Si elles sont déjà nombreuses en Île-de-France, le principal obstacle à leur mise en œuvre réside toutefois dans le partage des rôles entre les institutions en charge des réseaux routiers structurants et les communes et établissements de coopération intercommunale compétents en matière d’équipements. 
Autre type de foncier : les équipements multifonctionnels, qui ouvrent de nouvelles opportunités pour l’implantation d’équipements sportifs. Ce gisement concerne particulièrement les aménagements hydrauliques, propices à l’accueil d’autres usages dès lors qu’ils sont intégrés dans leur conception. À Clichy-sous-Bois, le département de Seine-Saint-Denis a réaménagé un bassin de rétention des eaux de façon à ce qu’il accueille trois terrains de sports. Le bassin a été scindé en deux parties. La première, de capacité suffisante pour répondre à la majorité des épisodes pluvieux, est couverte, de sorte qu’elle accueille un terrain de tennis et un de basket, constamment accessibles. La seconde partie, en dénivelé, loge un terrain de football. Ce dernier n’est inondé qu’en cas de pluie intense, de fréquence semestrielle. Ce type d’aménagement exige toutefois un effort de coordination de gestion entre les différents services (assainissement et équipements-voiries), mais aussi une importante pédagogie auprès des usagers, afin que ces derniers s’approprient la multifonctionnalité de l’équipement. Sans ces deux conditions réunies, l’équipement sportif est rapidement jugé défectueux et se dégrade. Les espaces publics représentent des superficies considérables de nos villes, dont l’usage peut aussi être diversifié et intensifié au profit de la pratique sportive libre. Comme l'illustre l'ensemble du chapitre 3 de ce numéro des Cahiers, pour que ce potentiel foncier porte pleinement ses fruits, la conception des espaces publics doit prendre en considération les besoins des sportifs afin de les articuler avec ceux des autres usagers. 

STRATÉGIE FONCIÈRE : QUELLE SPÉCIFICITÉ POUR LES ÉQUIPEMENTS ?

Une stratégie foncière consiste à qualifier les besoins fonciers, à localiser les emprises et à définir les moyens à mettre en œuvre pour les mobiliser en vue de concrétiser un projet de territoire. Lorsqu’il s’agit d’anticiper l’installation d’un équipement public, par exemple sportif, sur un terrain dont la collectivité concernée n’est pas propriétaire, la collectivité est compétente en matière de droit des sols pour définir un emplacement réservé : il aura pour effet d’interdire au propriétaire de bénéficier des droits à bâtir attaché au terrain concerné par l’emplacement. Eu égard à cette restriction dans l’utilisation de sa propriété, le propriétaire du terrain pourra faire jouer son droit de délaissement au profit de la collectivité. Cette éventualité implique que la collectivité puisse mobiliser les ressources nécessaires à une acquisition foncière réalisée à l’amiable ou, en l’absence d’accord, sur décision du juge de l’expropriation.

Du sous-sol aux toitures : du sport à tous les niveaux

Dans les contextes les plus denses, l’acquisition et le réaménagement de terrains urbanisés pour faire émerger de nouveaux quartiers s’avèrent extrêmement coûteux. Il devient dès lors indispensable d’optimiser l’occupation des terrains pour avoir un maximum de constructibilité et donc augmenter les recettes dans le bilan d’aménagement. Cela a souvent freiné l’implantation d’équipements sportifs qui exigent des emprises importantes tout en augmentant la note des infrastructures à financer. Aujourd’hui, la conception de bâtiments mixtes se développe pour déployer une offre sportive tout en proposant des surfaces de plancher génératrices de recettes pour l’opération. À Saint-Denis, plutôt que de juxtaposer les usages, Sequano Aménagement a décidé de penser la programmation d’un îlot entier en 3D afin de les diversifier, en les superposant. Un gymnase, comprenant une salle multisports (44 x 22 m) ainsi que des salles de gym et de yoga, a pris place en cour anglaise, à la base d’une résidence étudiante. L’équipement n’est pas totalement souterrain : accessible depuis la rue, il s’offre à la vue des habitants du quartier. La fréquentation du gymnase par les scolaires est facilitée par la configuration de l’îlot, au cœur duquel une école a été construite. Outre sa compacité, cette conception superposant gymnase et résidence étudiante a favorisé le développement d’un programme immobilier contribuant en partie au financement de l’équipement sportif. Dans le nord de Paris, le projet « Chapelle internationale », porté par SNCF Immobilier, adopte le même principe, avec l’aménagement semi enterré d’un gymnase au pied d’un immeuble de bureau. La singularité du projet est qu’il prévoit également l’aménagement de terrains sportifs (tennis et basket) sur la toiture d’une grande infrastructure logistique raccordée au réseau ferré, contiguë au gymnase. Le principal intérêt de ces innovations architecturales et urbaines est économique : les programmes immobiliers, résidentiels ou d’activités, contribuent au financement des emprises foncières et des équipements sportifs. Mais, pour tenir toutes leurs promesses au quotidien et à long terme, la conception architecturale doit préserver l’autonomie de fonctionnement et d’accès aux équipements sportifs. Il convient d’apporter une attention extrême à la structuration juridique de ces ensembles mixtes et à leur règle de gestion pour ne pas entraver l’évolution et la rénovation des équipements.

Martin Omhovère, urbaniste-géographe, directeur du département Habitat et Société, L’Institut Paris Region

Explorer de nouveaux espaces

Face à la pression qui s’exerce sur le foncier en zone urbaine tendue et à la réduction des ressources publiques, de nouvelles manières de produire la ville se développent. On assiste notamment à l’émergence de projets originaux, qui visent à maximiser l’utilisation de l’espace, parfois en le détournant de ses fonctions premières. Ces initiatives peuvent tout autant être l’objet d’un choix que la conséquence d’une nécessité de dépasser des obstacles économiques et spatiaux. Exemples au Japon et au Danemark.

Faire du football sur les toits – le Parc Adidas Futsal à Tokyo

Tokyo est l’une des métropoles mondiales dont le foncier est le plus cher, et, du fait du manque d’espace disponible, la ville s’est développée verticalement. Depuis le début des années 1980, la ville a connu plusieurs phases de verticalisation, du fait premièrement de sa forte densité urbaine, mais aussi et corrélativement pour des raisons économiques (coûts d’acquisition du sol, titrisation immobilière…). C’est dans ce contexte, et celui de l’accueil de la Coupe du monde de football 2002, co-organisée par le Japon et la Corée du Sud, que le Parc Adidas Futsal à Tokyo a été construit en 2001. Il est installé sur la toiture d’un bâtiment aux usages tertiaires dans le quartier de Shibuya. Ce stade visait à capitaliser sur l’engouement suscité par cet événement sportif majeur, et à appuyer le développement du football dans un pays où il reste moins populaire que le baseball, par exemple. Le site accueille donc une école de futsal, divers tournois et de nombreux événements. D’autres activités sportives sont organisées sur des toitures tokyoïtes, comme le golf ou le baseball, le plus souvent dans un esprit aussi ludique que sportif. Ce sont des exemples marquants de projets innovants qui contournent une contrainte forte, le renchérissement des prix du foncier, pour développer des projets ambitieux sur des espaces originaux et parfois supposés, à tort, peu attractifs.

Un lieu de sport, culture et rencontres au Hjertet à Ikast, Danemark

En 2018, l’agence d’architecture danoise CF Møller Architects livre avec Hjertet (« le Coeur », en danois) un parfait exemple d’espace qui confère une place centrale aux sports dans un lieu de rencontres, d’enseignement et de culture. Situé dans une zone en rapide croissance de la ville d’Ikast, au Danemark, le bâtiment de 3 660 m² et son parc de 37 500 m² se présentent comme une ville miniature, dont le cœur est un vaste hall central, tout en hauteur, pensé pour l’accueil et la répartition de l’ensemble des usagers entre les différents espaces. C’est en effet pour s’adapter aux usagers qu’a été conçu Hjertet : CF Møller a identifi é 35 groupes d’usagers et a inclus chacun d’entre eux dans un lieu où se croisent toutes les générations. Ainsi, parmi ces différents espaces, on trouve un centre de Street Sports, des studios de danse, une salle de yoga et, dans le parc, un skate-park et un terrain de football miniature. À l’intérieur, les salles sont ouvertes sur le hall central et sur le parc, où les infrastructures sportives sont disposées en cercle autour du bâtiment. Ils font également l’objet d’appropriations multiples : Hjertet est, en effet, à la fois l’extension de l’école internationale Ikast-Brande et un lieu ouvert à tous. L’art y est omniprésent, par son architecture même. Les matériaux employés (le bois clair et la brique beige) offrent une unité aux différents espaces, qui ressemblent, avec leurs toits indépendants, à autant de maisonnettes. Le traitement en bardage donne à tous les murs transparence, vie et texture. À Hjertet, le sport est donc pratiqué dans la présence constante de l’art et de la nature, au Cœur d’un espace aux fonctions multiples. 

Armance Amadieu, Manon Le Bon-Vuylsteke et Arthur Le Moigne
étudiant(e)s au département géographie de l’École normale supérieure de Paris

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