Absorber le choc, préparer le rebond

Chronique des confins n° 1

09 avril 2020ContactFouad Awada

Docteur en urbanisme de l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC) et architecte DESA, Fouad Awada est directeur général de L’Institut Paris Region depuis 2016. Son parcours d'urbaniste l'a souvent conduit à observer et analyser des situations de crise et à concevoir des plans et des programmes de rebond. Dans les années 1980 et 1990, il conduit pour le Liban plusieurs contributions à des plans et programmes de reconstruction et de réhabilitation économique et sociale. Il pilote ensuite à L'Institut les travaux d'inventaire des dégâts de la tempête du 26 décembre 1999, puis est aux avant-postes - en tant que DGA puis DG - pour observer les dégâts de la canicule de 2003 et des inondations de 2016 et 2018, qui permettront à chaque fois à L'Institut d'affiner ses outils d'observation et de prévention.

Vulnérables parce que denses et complexes, les métropoles ont aussi une forte capacité à absorber les chocs, née des leçons qu’elles ont su tirer des catastrophes passées. C’est pourquoi la crise que nous vivons doit nous apprendre, une fois de plus, à nous adapter pour mieux rebondir.

Les grandes métropoles sont particulièrement vulnérables aux catastrophes. Leur taille, leur densité, leur complexité sont des facteurs de meilleure réussite économique, sociale et culturelle en temps normal. Elles deviennent facteurs de vulnérabilité en cas d’événement catastrophique, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles (inondations, tempêtes, séismes, canicules, incendies), technologiques (explosions, fuites de produits toxiques), sanitaires (pandémies) ou politiques (émeutes, guerres).

La concentration de personnes et de biens entraîne des dégâts nettement plus importants comme ceux observés lors de séismes, typhons ou actes de guerre. Même des dégâts subis à l’échelle locale peuvent retentir sur des milliers de personnes lorsqu’ils touchent des maillons d’un système complexe : éboulement sur un rail, carrefour obstrué, transformateur hors service, réservoir d’eau souillé…

C’est pour parer cette vulnérabilité qu’en règle générale (hors cas où les autorités évacuent ou ordonnent d’évacuer les lieux), la première réaction des ménages face à une catastrophe est le rétrécissement de l’espace vital de chacun, ce qui dans une grande métropole relève de mesures ou de comportements « anti-urbains »  :

  • repli sur le domicile et son entourage immédiat, confinement,
  • réduction des déplacements,
  • recherche d’autonomie : constitution de réserves alimentaires, énergétiques, eau,
  • fuite, pour certains qui en ont les moyens ou ceux qui ont d’autres attaches territoriales, vers des ensembles humains moins peuplés (villages, villes secondaires),
  • ancrage, pour d’autres, dans leur environnement proche qui les sécurise car doté des services – y compris de santé – et des appuis humains (proches, amis) dont ils ont besoin.

Pour l’essentiel, il s’agit de se protéger et de limiter sa dépendance à autrui, sauf si on en a besoin.

L’assurance de maîtriser le cours des choses avec une large part d’autonomie est aussi recherchée au niveau de la gouvernance qui se met en place pour gérer l’arrivée de la crise : une plus grande marge d’initiative est donnée au local, ou prise par lui, car c’est à ce niveau que l’information est la plus fiable, que les réponses peuvent être les plus adaptées. L’action en réseau d’acteurs locaux et centraux ayant tous une large liberté de mouvement semble être plus efficiente en temps de crise.

À l’occasion de ces catastrophes, le rétrécissement, choisi ou subi, de l’espace de vie des ménages est fortement révélateur des inégalités sociales : les conditions d’hébergement, la possibilité de partir, le choix de consommer autrement, l’accès facile au numérique, ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Et cette inégalité est d’autant plus critique dans les grandes métropoles que les populations les plus vulnérables y sont précisément concentrées.

Certains ménages non nécessairement démunis peuvent se trouver piégés par le confinement. C’est typiquement le cas de personnes qui avaient fait le choix d’un « mode de vie métropolitain », préférant un très petit logement dans l’hypercentre leur donnant un accès direct à toutes les opportunités offertes par l’espace public. Le caractère foncièrement anti-urbain du confinement frappe de front ce choix de vie.

Au-delà des effets sur les ménages, les catastrophes peuvent mettre à mal le modèle de développement des métropoles en lui-même. La remise en cause (ou même l’atténuation) de leurs fonctions locomotives et de leur ouverture internationale (une de leurs toutes premières caractéristiques) entraîne des effets en cascade de dévalorisation de leurs actifs, entreprises et patrimoine, les exposant à des risques macro-économiques et sociaux plus ou moins difficiles à maîtriser.

La résilience des villes paraît supérieure à celle des campagnes 

Le petit village, la maison individuelle, le véhicule individuel, le potager, l’approvisionnement à la ferme du coin, sont autant d’avantages immédiats par temps de crise, car ils permettent de vivre une part d’autarcie.

Pourtant, le village est doté d’une très faible résilience : en cas de choc (s’il est atteint par une pandémie, une tempête, un fait de guerre), il peut être anéanti en une seule vague, et sa capacité à se relever est extrêmement réduite.

Les exemples de villages martyrs qui ont eu peine à se relever de catastrophes même anciennes, ou d’autres qui ont disparu, ne manquent pas. Même des villes de taille moyenne ont eu du mal à se relever de catastrophes, comme Vaison-la-Romaine, inondée il y a près de trente ans. La petite échelle n’est salvatrice que tant que l’aléa ne s’y est pas mué en catastrophe.

Une capacité à absorber les chocs, née de leçons tirées d’épreuves successives

Si la sophistication de l’urbain le rend vulnérable, sa résilience repose elle aussi sur des réponses sophistiquées, qui ont un coût et que seuls des pays suffisamment riches ont pu mettre en place.

Ces dispositifs de réponse ont été perfectionnés par les États et déclinés sur les territoires, au fil du temps, par retour d’expérience de catastrophes antérieures, sanitaires, naturelles ou technologiques, ayant entraîné, ou non, des problèmes sanitaires. En France, cela recouvre notamment  :

  • le système de soins en plusieurs lignes : Samu, pompiers, hôpitaux publics et privés, médecine de ville, réserve sanitaire, hôpitaux des armées, 
  • les techniques diverses de télécommunication,
  • les systèmes de sauvetage : pompiers, secours en mer, plan Orsec,
  • les normes sanitaires, d’assainissement et anti-pollution,
  • les normes de construction antisismiques, anti-tempêtes, plans d’exposition aux risques,
  • les plans de continuité des activités dans les entreprises,
  • etc.

Mais la résistance au choc est aussi facilitée par des dispositifs et des réalités indépendants de la gestion du risque, qui sont propres à la géographie du territoire, au système politique, économique et social du pays, à sa culture, aux ressources physiques et humaines du territoire, et leur capacité à travailler ensemble dans les champs économique, social et politique :  

  • l’autonomie de l’Île-de-France en blé (200 % de ses besoins) et en eau est un facteur important de résilience, c’est une réalité issue de choix très anciens d’implantation et agricole ;
  • la qualité des infrastructures et des services d’eau, d’énergie, de mobilité et d’approvisionnement de la région capitale à assurer la continuité des services essentiels ;
  • le numérique y a joué un rôle central pour assurer la continuité de l’activité et de l’enseignement, et pour amortir les effets économiques de la crise ;
  • les régimes nationaux solidaires (retraites, RSA, assurance-maladie, assurance-chômage, etc.) sont des facteurs puissants d’amortissement des chocs ;
  • le régime démocratique, le maillage du territoire par l’État et les collectivités territoriales, permettent de mobiliser des moyens, de trouver des solutions ;
  • la qualité des acteurs publics et privés sur tous les territoires de l’Île-de-France et leur capacité avérée à coopérer entre eux ont permis une gestion plutôt agile de la crise ;
  • le nombre et la diversité des équipements répartis sur le territoire de l’Île-de-France et susceptibles d’être convertis aux usages dictés par le contexte de crise (aménagés en hébergement, en locaux de soins, en abris, etc.) ont permis d’amortir le choc.

Les facteurs favorables à une sortie de crise

La résilience, c’est aussi la capacité de rebond. Et la capacité de rebond dépend étroitement de la capacité d’adaptation, de l’anticipation, de la compréhension et de l’acceptation de la vulnérabilité. De ce point de vue, l’Île-de-France bénéficie de facteurs favorables :

  • la qualité de ses infrastructures, de ses services urbains, de ses services publics,
  • la diversité de son économie, qui permet une relance vigoureuse même si elle est partielle,
  • la puissance de son appareil de recherche-développement et d’innovation,
  • la puissance de son appareil d’enseignement,
  • les capacités financières des entreprises et des habitants,
  • la taille de son marché de l’emploi, de son marché de consommation,
  • son ouverture au monde et ses capacités d’échanges de biens, de services et de personnes,
  • la qualité des ressources humaines appelées à piloter le rebond, à tous les niveaux.

Bien entendu, ces atouts donneront d’autant plus d’effets qu’ils bénéficieront des garanties exceptionnelles qui ont été apportées durant la crise par l’État et la Banque centrale européenne aux entreprises et à leurs salariés.

Des facteurs de résilience à améliorer, pointés par la crise du Covid-19

Un consensus commence à se construire autour de quelques points d’avancées nécessaires pour une meilleure résilience. Ils concernent les sujets sur lesquels des défaillances plus ou moins pénalisantes ont pu être observées :

  • la nécessité d’identifier les activités stratégiques à rapatrier en France et en Île-de-France, en particulier dans les domaines de l’industrie pharmaceutique, de la production de matériel médical, de la cybersécurité. Et de procéder à ce rapatriement ;
  • la nécessité de procéder à ce rapatriement pour des industries produisant des matériels nécessaires à d’autres types de catastrophes (pour les inondations, les besoins se porteront sur les pompes et les barques !) ;
  • la nécessité de perfectionner les chaînes et les protocoles logistiques pour organiser les stocks de produits et de matériels et pour les acheminer ;
  • la nécessité de mieux assurer l’hébergement et les déplacements des « key workers » en temps de crise : personnels soignants, personnels travaillant dans les secteurs de l’énergie, de la mobilité, de l’approvisionnement. Une question posée avec acuité même en temps normal ;
  • la nécessité de mieux préparer la mobilisation des « réservistes », y compris les bénévoles sur des missions de solidarité ou d’appui aux « key workers » ;
  • la nécessité de mieux prendre en charge les personnes fragiles ou fragilisées par la crise : SDF, d’une part, et personnes vivant en collectivité, d’autre part (Ehpad, prisons, etc.) ;
  • l’enjeu des circuits courts : de l’alimentaire à l’économie circulaire en passant par les « low-tech ».

Un dernier point devrait concerner l’approvisionnement de la population en produits de première nécessité. La fermeture des marchés forains lors de la crise du Covid-19 a posé clairement cette question : au lieu de disperser la foule des acheteurs, cette disposition les a, au contraire, concentrés dans les magasins restés seuls habilités à vendre des produits alimentaires. Toutefois, la possibilité donnée aux préfets de rouvrir certains marchés forains a tempéré cette mesure tout en apportant l’illustration de l’importance de l’échelon local dans la gestion de crise. Les livraisons à domicile se sont, par ailleurs, développées, allant jusqu’à entraîner le marché de Rungis dans la vente et la livraison aux particuliers, à travers une opération soutenue par la Région.

Adapter notre modèle de développement : un futur en ballottage 

Le modèle de développement qui se mettra en place à la sortie de la crise dépendra de notre capacité à rebondir, à tirer les enseignements de l’épreuve traversée, à vaincre nos peurs, à agir pour le long terme en composant avec les attentes sociales du court terme. Il faudra dans le même temps poursuivre les transitions structurelles dans lesquelles nous étions engagés en matière d’énergie, de biodiversité, de transformation numérique, d’accompagnement du vieillissement.

Il nous faudra réussir ce passage de cap en dépit d’un contexte (économique, social, financier) de sortie de crise qui ne sera pas des plus faciles et dans lequel le consensus politique ne sera pas évident, chaque acteur, chaque courant politique étant tenté de trouver dans la crise les arguments qui plaident en faveur de sa vision du monde.

Les hypocondriaques à la manœuvre ? Il ne faut pas sous-estimer l’importance que les humains accordent à leur santé et à celle de leurs proches. La santé est sacralisée et placée au-dessus de toute autre considération. Une vision du monde qui pousserait à l’extrême ce principe majeur entraînerait :

  • une nouvelle forme d’hygiénisme, mêlant mesures d’asepsie de l’espace public à une attention plus grande à l’entrée de l’air, du soleil et de la verdure dans tous les quartiers ;
  • une modification des comportements notamment en matière d’alimentation, d’habitudes de consommation, d’exigence environnementale, d’aspiration à vivre dans un lieu plus sain, de pratiques sportives et de loisirs ;
  • un réflexe de rejet en première instance de la densité, assimilée (souvent à tort) à la promiscuité et à l’entassement ;
  • ue choix croissant du vélo, de la marche à pied et des nouvelles micro-mobilités pour les déplacements, et un rejet non plus seulement de la voiture par certains (pour cause de pollution), mais également des transports en commun par d’autres (par crainte de contamination).

Les sobres heureux à la manœuvre ? La crise du Covid-19 fait émerger des réalités qui semblent devoir se conjuguer pour freiner, au moins pour un temps, la consommation.

D’une part, le confinement a donné l’occasion aux ménages qui y étaient acquis de mettre en pratique le principe de frugalité et a donné à de nombreux autres ménages l’occasion de faire des économies en s’abstenant d’acheter autre chose que le strict nécessaire. D’autre part, ceux des ménages touchés par la fragilisation des entreprises qui les rémunèrent sont forcément saisis d’une incertitude qui les poussera naturellement à faire attention à leurs dépenses.

Tout ceci va dans le sens d’un ralentissement de la consommation, que ce soit par contrainte ou par choix dicté par la prudence ou la conviction.

Parmi les ménages qui font le choix de la frugalité par conviction, il n’est pas exclu que l’on assiste à des arbitrages extrêmes, comme de décider de changer radicalement de vie par désertion des métropoles au bénéfice de modes de vie plus simples, centrés sur l’humain ou la nature (nouveau syndrome Larzac). Les dégâts causés par la pandémie du Covid-19 ont en effet été amplifiés par l’intensité des échanges internationaux, dont les métropoles sont les nœuds, et l’on peut comprendre le rejet que cela peut entraîner.

Un autre raisonnement, plus irrationnel et simpliste, joue également, celui qui consiste à faire l’amalgame entre la pandémie du Covid-19 et la crise environnementale, bien que cette pandémie soit plutôt née du braconnage et de la détention d’animaux sauvages dans des conditions inappropriées, et non de la destruction des habitats de ces animaux. 

Les localistes ? Un courant de pensée voit dans la sortie de crise l’opportunité de faire avancer l’idée de retour au local, de réduction d’échelle : ville du quart d’heure, circuits courts, etc.

Cette thèse ne manque pas d’arguments : l’intensité des échanges internationaux et l’absurdité d’une bonne partie de ces flux ne sont-elles pas à l’origine de l’essaimage fulgurent du virus ?

Il faudra bien sûr suivre la piste localiste sans pour autant rejeter la grande échelle, qui a prouvé son efficience en termes de solidarité (transport de malades par route, train et avion) et d’économie d’échelle (mutualisation de services et d’équipements). Le localisme poussé à l’extrême pourrait en effet s’avérer fort coûteux et dériver vers le chacun pour soi.

La diversité serait-elle la clé ? D’autres pensent que la leçon à tirer de cette crise doit être de réduire notre dépendance en remettant en cause la spécialisation des systèmes productifs, non seulement des États, mais à toutes les échelles, même l’échelle locale.

Cela signifie bien sûr de rapatrier des industries dont nous avons besoin en temps de crise, notamment les industries médicales, pharmaceutiques et de matériels médicaux – y compris les masques de protection.

Mais cela porte aussi sur la possibilité de trouver dans son environnement immédiat tous les produits agricoles nécessaires sans avoir, là aussi, à passer par les échanges internationaux, voire interrégionaux. En cela, les chantres de la diversification rejoignent les localistes sur l’idée de développer les circuits courts, forcément diversifiés.

L’exigence de croissance

Tous les gouvernements de la planète se soucieront à la sortie de la crise de la relance (« quoi qu'il en coûte »), de la croissance pour de multiples raisons :

  • la croissance sera nécessaire pour financer les mesures réclamées par la société et promises par les exécutifs comme donner des moyens supplémentaires aux hôpitaux, mieux rémunérer les personnels soignants, rapatrier les fonctions productives et de sécurité stratégiques ;
  • la croissance sera nécessaire pour continuer à soutenir la remise en état de pans entiers de l’économie terrassés par la crise, notamment dans les secteurs du transport aérien, de la restauration, du tourisme, des loisirs, de la culture, de l’événementiel ;
  • elle sera nécessaire pour être en capacité de financer la solidarité nationale (chômage qui se sera aggravé, retraites, assurance-maladie, revenus minimum) et les services publics ;
  • la croissance sera nécessaire pour financer le remboursement d’une dette publique qui aura explosé (la « facture de la crise »).

La reprise économique, on le sait désormais, ne sera pas aussi vigoureuse qu’espérée, car le ralentissement aura été planétaire et que les mesures de restriction aux déplacements (internationaux, interurbains) vont perdurer plusieurs mois, que les mesures de confinement ne seront desserrées que progressivement, voire pourront être réinstaurées.

Les principales craintes macro-économiques post-crise porteront sur le secteur bancaire, qui aura mobilisé toutes ses capacités et aura vu nombre de ses actifs fondre durant la crise.

Aussi est-il encore trop tôt pour miser sur la capacité des États et de l’Europe à obtenir un retour proche à la trajectoire de croissance espérée.

Plus les difficultés économiques persisteront, plus le besoin de « changer de modèle économique » sera prégnant. La voie esquissée par l’économiste Daniel Cohen est intellectuellement séduisante : il pressent le passage d’une recherche des bas coûts par l’éloignement des lieux de production à une recherche des bas coûts par le numérique et considère que la crise accélère l’avènement d’un nouveau capitalisme, le « capitalisme numérique ».

L’opportunité d’avancer sur la voie de la transition écologique

Le caractère prioritaire qui sera donné à la reprise économique et à la croissance posera inévitablement la question de sa compatibilité avec l’exigence de ménager les ressources naturelles de la planète et de freiner les émissions de gaz à effet de serre. Pourra-t-on concilier ces deux impératifs ?  

La sortie de crise peut précisément fournir l’opportunité de construire les bases d’un mode de développement plus respectueux de la nature et des ressources. Il en va même de l’intérêt de la santé humaine à long terme.

En effet, le rétablissement de la biodiversité permet de restaurer les habitats des animaux sauvages et de réduire les risques de contact entre espèces sauvages porteuses de virus dangereux pour l’homme. Il ne s’agit pas d’un combat réservé à la forêt amazonienne ou aux steppes de Sibérie, mais d’une action qui peut être conduite dans tous les territoires.

De même, le fait d’avancer dans la direction d’une économie décarbonée et circulaire n’est pas antinomique des impératifs de santé.

Il faudra veiller à ce que les ressources financières tirées de la croissance économique soient intelligemment réparties sur les dépenses sans rendement économique immédiat (appui aux ENR et technologies innovantes et dépenses sociales et régaliennes) et sur les dépenses de réinvestissement dans l’économie productive classique.

Quelle voie pour demain : une probable hybridation des pistes proposées ?

Ainsi l’avenir à court et moyen terme pourrait bien se construire par une hybridation des diverses voies évoquées plus haut :

  • la santé avant tout et une plus grande sobriété, ces deux orientations étant parfaitement compatibles avec un engagement plus franc en faveur de la biodiversité et même la possibilité de réorienter l’épargne des ménages vers l’achat ou l’usage de solutions de mobilité et de chauffage moins polluantes et moins émettrices de gaz à effet de serre ;
  • un intérêt accru pour le local et la diversification, qui viendra appuyer la transition écologique ;
  • une société plus solidaire, plus attentive à ses héros comme aux plus vulnérables ;
  • une relance économique plus fortement encadrée et portée par un consensus national pour payer la facture de la crise et financer les politiques sanitaires et sociales attendues, sans pour autant céder à un modèle de croissance « brune » reniant les objectifs de décarbonation et de préservation des ressources naturelles.

Cette hybridation modifiera, à n’en pas douter, le modèle de développement de nos métropoles. Les échanges internationaux de biens seront questionnés avec des relocalisations d’activités, voire de nouvelles règles d’évitement de mouvements excessifs. L’allocation des ressources financières produites par l’activité économique sera également questionnée, entre ce qui va à la rente foncière, à la consommation, à l’investissement, à la solidarité, aux services mutualisés.

Et le changement pourra toucher jusqu’à notre organisation institutionnelle. Nos institutions actuelles ont été pensées pour un isolat de prospérité (rare dans le monde et dans l’histoire). Quel nouveau modèle pour naviguer dans les eaux troubles de la sortie de crise, de la préparation de la suivante, de l’intégration de la résilience à l’organisation collective ? Un équilibre est à trouver entre une centralisation nécessaire à l’efficacité des décisions et à la garantie d’une solidarité effective et une plus grande subsidiarité et adaptation aux contextes locaux, à commencer par une plus grande place accordée aux Régions.

Fouad Awada
Directeur général de L’Institut Paris Region

 

Changer la ville, les dilemmes émergents

En guise de post-scriptum, une interrogation d’urbaniste : Faut-il changer d’urbanisme au lendemain de la crise ? Quels sont les points sur lesquels va porter le débat ?

Il faudra à coup sûr jeter les bases de :

  • un nouvel hygiénisme mêlant éloignement des risques, restauration de la biodiversité, renaturation, verdissement, aération, désimperméabilisation, ensoleillement, protection contre les îlots de chaleur. Ce sont là autant de mesures qui peuvent être prises « sans regret » et sans conflit ;
  • une approche innovante de la densification qui ne sera acceptée, à l’échelle locale, qu’à la condition qu’elle apporte ou s’accompagne d’une amélioration de la qualité de vie. Et si la densification n’est pas à remettre en cause (en raison de ses bienfaits sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre), elle doit être repensée au regard des événements en cours : il faudra des tissus urbains plus sains, plus aérés, plus verts, mieux équipés en services de proximité, plus conviviaux ;
  • une articulation nouvelle entre la petite et la grande échelle dans les métropoles, entre la petite et la grande vitesse, et une organisation des équipements et des services en réseaux articulant les maillons les plus simples aux maillons les plus sophistiqués ;
  • une attention particulière à l’implantation des activités et des services pouvant jouer un rôle stratégique en temps de crise ;
  • une organisation efficiente de la chaîne d’approvisionnement, de vente et de livraison des produits de première nécessité ;
  • une offre de logement et d’hébergement prenant en compte, dès l’amont, l’habitat des personnels placés aux premiers postes durant les périodes de crise.

1. La notion de mesures sans regret est définie par l’Ademe comme étant des actions visant à conduire le territoire vers la résilience et qui sont nécessairement flexibles, capables de s'adapter à la production de nouvelles connaissances, n’entrant pas en conflit avec le principe d'atténuation du changement climatique et présentant des bénéfices pour le territoire, quelle que soit la situation future.

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