Comment les villes changent de trajectoire

08 avril 2020ContactPaul Lecroart

Les villes émergent, s’épanouissent, se rétractent, se transforment. Elles meurent et parfois renaissent. Certaines se métamorphosent : Singapour, Copenhague, Medellín sont sorties de crise en changeant de trajectoire. D’autres ont développé des stratégies de résilience en réponse à des chocs. Toutes devront vite négocier des mutations profondes pour faire face aux défis écologiques et sociaux du prochain siècle. Mais comment ?

Ces dernières décennies, la pauvreté a reculé dans le monde, en vertu d’une croissance économique permise par le prélèvement croissant d’énergie fossile et de ressources naturelles. Mais ce recul s’accompagne d’une aggravation des disparités socio-économiques à toutes les échelles. D’origine anthropique, le réchauffement global de la planète s’accélère. Il y a de fortes probabilités pour qu’il entraîne une augmentation d’au moins 1,5 °C, voire 2 °C, entre 2030 et 2050 par rapport aux niveaux préindustriels, avec des impacts irréversibles sur les écosystèmes. La biodiversité planétaire diminue à un rythme accéléré. Les grandes métropoles seront en première ligne pour gérer des situations de crises aiguës et multiformes : risques d’inondations ou ouragans, crises sanitaires et migratoires, vulnérabilité des réseaux, impacts sociaux et économiques en chaîne… Elles s’y préparent au travers de stratégies d’éco-urbanisme, de mitigation, d’adaptation au changement climatique et de résilience. Les crises écologiques, économiques et politiques ne datent pas d’hier mais elles seront demain plus globales et systémiques. À l’aube du IIe siècle, Leptis Magna est l’une des plus opulentes métropoles du monde romain, mais son port s’ensable peu à peu, en partie du fait du déboisement. On décide d’agrandir le port sur la mer : ceci ne fait qu’accélérer le processus d’ensablement, précipitant le déclin économique de la ville. Elle subira des séismes, un tsunami et des invasions, avant d’être finalement abandonnée aux sables du désert. Éphèse et d’autres villes ont connu un destin similaire. Pour survivre à demain, villes, métropoles et régions devront s’adapter dès que possible, avec l’appui des États et des institutions internationales. Ceci implique la co-construction de trajectoires positives vers un avenir souhaitable et possible pour tous. Les collectivités devront anticiper finement les étapes, éclaircir les choix possibles et leurs conséquences. Elles devront se mettre en situation de négocier des accords avec les milieux économiques, les entreprises, les corps intermédiaires, les territoires voisins, les associations citoyennes : chacun devra renoncer à certains avantages pour que tous puissent gagner un peu, en opportunités économiques ou culturelles, en qualité de vie ou en bient-être. 

  • Comment construire dans la durée une trajectoire de changement ?
  • Comment trouver des appuis pour financer les choix structurels contribuant au changement ?
  • Comment déployer à grande échelle les innovations urbanistiques, écologiques ou sociales ?
  • Comment capitaliser sur les progrès réalisés pour entraîner l’opinion et aller plus loin ? 

Pour tenter de répondre à ces questions, rien de mieux que d’observer rétrospectivement les expériences de villes ou de régions métropolitaines qui ont changé en profondeur en l’espace d’une ou deux générations. Qui aurait pu croire en 1989 que la Ruhr, sinistrée par l’effondrement de la sidérurgie, se transformerait en une région plus attractive et plus verte en s’appuyant sur des programmes innovants de reconversion écologique et culturelle (lire dans le cahier n° 176 l’article de Michaël Schwarze-Rodrian « Changement de cap radical dans la Ruhr ») ? En profonde crise économique et sociale au début des années 1990, Malmö s’est muée en une capitale européenne de l’urbanisme durable, économiquement dynamique, même si socialement encore fragile. Et l’insolente prospérité de sa voisine Copenhague, l’un des leaders mondiaux de la « croissance verte », fait oublier qu’elle est parvenue à sortir de la profonde crise des années 1990 grâce à une alliance stratégique avec l’État danois (lire l’article de Paul Lecroart « Copenhague-Malmö : croissance verte pour sortie de crise »). La comparaison différenciative entre New York et Copenhague est éclairante : en faillite aussi dans les années 1980, New York s’est spectaculairement redressée depuis 2001 mais sans faire les changements structurels nécessaires, aggravant son retard dans la transition écologique et énergétique. 

Certaines métropoles se montrent étonnamment malléables au changement.

Le cas de Medellin est remarquable. Gangrénée par la violence et le narcotrafic dans les années 1990, elle est désignée, en 2012, trente ans plus tard « Most Innovative City of the Year » par le Wall Street Journal. Durant ces trente années, cinq maires-stratèges ont su développer des projets à fort effet de levier pour générer une dynamique à l’échelle métropolitaine (lire dans le cahier n° 176 l’article de Luis Fernando González Escobar « Medellín, le pari de l’urbanisme social » et l’interview de Ximena Covaleda B. « Les projets sociaux et urbains ont changé le visage de Medellín). À Séoul, le changement survient au milieu des années 2000, lorsque la métropole tourne le dos au développement urbain productiviste des années 1970 pour adopter un modèle qui met les citoyens et l’environnement au centre de sa stratégie (projet explicité par Hee-Seok Kim dans « De la ville dure à la ville douce : transformation sociétale et urbaine de Séoul»). Singapour a une histoire à part : jeune cité-État insulaire, pauvre et sans ressources dans les années 1960, elle s’est métamorphosée en une métropole prospère qui se cherche une trajectoire environnementale plus soutenable (lire dans le cahier n° 176 l’article de Paul Lecroart « Singapour, mythes et réalités d’une mutation »). Perçues parfois comme des paquebots ingouvernables par l’inertie et la complexité des systèmes économiques, financiers et politiques qui les régissent, certaines métropoles se montrent étonnamment malléables et perméables au changement. C’est souvent lorsqu’elles subissent une crise grave ou qu’elles perçoivent les risques avant-coureurs d’un lent déclin, qu’elles trouvent les ressources pour changer de trajectoire et se réinventer autour d’autres modèles de développement. La taille des villes, leur maturité, leur rythme de croissance, leur organisation institutionnelle, l’implication du monde économique et des citoyens, la cohésion sociale et culturelle des territoires métropolitains… tous ces facteurs peuvent faciliter (ou pas) le déploiement de stratégies de changement. Mais, dans tous les cas, la vision stratégique, la capacité à se saisir des occasions et le leadership de maires, gouverneurs ou représentants des États, jouent un rôle crucial1.

Paul Lecroart
Urbaniste à L’Institut Paris Region

1. « Grands projets urbains en Europe. Conduire le changement dans les métropoles », Les Cahiers de l’Iaurif, n° 146, mars 2007, 212 p.

Métamorphose

Changement de forme, de nature ou de structure si considérable que l’être ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable. La transformation est une métamorphose lente. Le Robert, Dictionnaire des noms communs, 2018.

Résilience

[…] Aptitude à affronter les épreuves, à trouver des ressources intérieures et des appuis extérieurs permettant de surmonter les traumatismes.
Dictionnaire de l’Académie française, 2018.

Weiji (mandarin)

Crise. De wei « danger » et ji « point de basculement ou moment décisif ». La crise est le moment où on frôle le danger et où l’on est amené à prendre des décisions.
Dictionnaire français-mandarin, Larousse, 2018.

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