La ville régénérative : un nouveau concept

22 janvier 2020Peter Newman, prof. méthodologie de la durabilité, Curtin University, Australie

Les efforts engagés par les villes au titre des nouveaux objectifs d’écologie et de résilience portent leurs fruits. Mais, si les mesures prises parviennent à réduire les impacts, la dynamique globale reste négative. L’urbanisme peut-il agir comme levier de transformation d’une « région durable » en un écosystème urbain ? À quelles échelles les interventions sont-elles les plus efficaces ?

Les villes sont en concurrence dans une économie mondiale et doivent en permanence se préparer à l’ère économique suivante si elles ne veulent pas se retrouver à la traîne et perdre en attractivité. Ainsi, Paris montre la voie vers la neutralité carbone, Fribourg incarne la ville durable par excellence, New York a fait de la ville intelligente et résiliente sa priorité, Tokyo s’impose comme le leader en matière de transports en commun et de centres-villes piétonniers, Melbourne est une référence en matière de « vivabilité », et Singapour en terme d’urbanisme biophile.

Les villes régénératives, une démarche globale

Le concept qui émerge est celui de « ville régénérative ». Les villes engagées dans des stratégies de développement durable évoquées plus haut cherchent à réduire leur empreinte environnementale tout en continuant à assumer leur fonction traditionnelle : créer des opportunités sociales et économiques. La « ville régénérative » va plus loin : elle régénèrerait son environnement tout en se développant. Il s’agirait d’une régénération à la fois locale, régionale, voire globale. La « ville régénérative » ne se contente pas de réduire les émissions de carbone, elle absorbe le carbone émis dans l’atmosphère ; elle ne se contente pas de réduire l’impact sur la biodiversité, elle crée de nouveaux habitats, qui stimulent les opportunités écologiques ; elle ne se contente pas de consommer moins de phosphore et d’azote, elle extrait ces nutriments en excès dans les eaux grises, les cours d’eau, les lacs et les eaux souterraines pour leur réutilisation dans l’agriculture. Une telle démarche démontre comment les villes en elles-mêmes peuvent être des solutions plus efficaces que des interventions de
géo-ingénierie de l’atmosphère (interventions à grande échelle sur des systèmes climatiques).
Ainsi, le métabolisme de la ville régénérative estconsidérablement modifié. Plutôt que de viser seulement la réduction du flux des ressources en déchets, la ville régénérative crée ces ressources à partir des déchets, dans une économie circulaire alimentée par l’énergie solaire, tout comme le font les écosystèmes.
Certains exemples, limités, peuvent être considérés comme des « projets régénératifs », mais ils restent encore largement symboliques. Les villes mentionnées plus haut se sont néanmoins engagées dans cette voie. Singapour travaille à accroître sa biodiversité en créant de nouveaux habitats par la végétalisation des murs et des toits. La stratégie de neutralité carbone de Paris et de l’Île-de-France pourrait aboutir à l’émergence d’une biorégion, où les forêts, des sols agricoles formés à partir de compost recyclé et l’exploitation du bois dans la construction séquestreront le carbone des centaines d’années. Fribourg pourrait encore développer sa production d’énergie solaire et exporter plus d’énergie renouvelable qu’elle n’en consomme. Les périphéries de Tokyo ont entamé leur décroissance, tandis que son coeur se régénère. La métropole pourrait réduire à la fois son espace physique, et sans doute également son empreinte écologique. New York pourrait mettre ses technologies intelligentes au service de l’énergie, de l’eau et des déchets, et enclencher la régénération de sa biorégion. Et Melbourne pourrait continuer à soigner sa qualité de vie, tout en adoptant des objectifs environnementaux bien plus rigoureux. Mais par où commencer ?

Fabrique urbaine et possibilités de régénération

Alors que les villes s’engagent dans une démarche régénérative, les différents quartiers et espaces devront, de toute évidence, adopter des démarches adaptées. La théorie des tissus urbains nous permet de comprendre
comment les différentes parties d’une ville ont été formées, et comment il importe de tenir compte de cette formation dans leur devenir. Par exemple, les panneaux solaires sur toiture conviennent mieux aux maisons individuelles des zones suburbaines. Dans ces secteurs, les efforts doivent davantage porter sur les systèmes de transports partagés que ce n’est le cas dans la ville dense, piétonne, qui peut plus facilement passer à des transports « zéro carbone » (marche, vélo, transports publics). Là, les solutions énergétiques durables sont, en revanche, moins individualisées et nécessiteront une intervention plus forte à l’échelle de la collectivité.

Projets modestes et changement d’échelle :
l’expérience de Perth

La ville de Perth a commencé à une échelle modeste, puis, petit à petit, est montée en puissance par le biais de projets de recherche urbains, menés en partenariat avec les promoteurs et aménageurs, les collectivités locales et les services publics urbains. Ce faisant, il a été compris que les quartiers de la ville présentent des différences importantes en matière de tissus urbains, et donc de capacité à être régénératifs.

Josh’s House.
Il s’agit de transformer le modèle de maison australienne typique, où vit une famille de quatre personnes, en une maison à énergie positive. 70 canaux de monitoring, accessibles librement sur Internet, permettent de disposer d’une manne d’informations sur la manière de construire une maison dans une optique de neutralité carbone. Josh’s House est « régénérative » pour le carbone et est en voie de l’être pour l’eau. Les solutions adoptées ont ensuite été utilisées par les projets ci-dessous, l’équipe de recherche souhaitant explorer les potentiels offerts par le partage d’infrastructures dans des réalisations à plus grande échelle (cf. www.joshshouse.com.au). 

Des maisons « zéro énergie ».
euxième étape : un projet national, mené en collaboration avec des promoteurs-constructeurs spécialisés dans la maison individuelle. Ici, les maisons ont été conçues pour permettre une consommation nette d’énergie nulle, grâce à des chauffe-eau thermodynamiques et à une climatisation réversible, combinés au photovoltaïque. La nouvelle tendance à l’adoption volontaire de la neutralité carbone laisse à penser que le marché est prêt à s’engager sur la voie du « régénératif ».

White Gum Valley.
Ce projet a pour objet le réaménagement du quartier de White Gum Valley, à Fremantle, dans la banlieue de Perth. Les 100 maisons individuelles de cette résidence ont été conçues pour être, a minima, neutres énergétiquement, voire à énergie positive. L’alliance d’une conception « écoénergétique » et de l’utilisation d’énergies renouvelables, imposée via des directives en matière de conception et des incitations financières aux procédés durables, a permis la construction de logements diversifiés : logements sociaux pour artistes et logements pour les jeunes, par exemple.

Mille maisons.
Il s’est agi de tester à une échelle beaucoup plus grande les innovations du quartier de White Gum Valley, en construisant 1 000 maisons individuelles en secteur de renouvellement urbain. Le projet inclut de nombreuses autres expérimentations : accumulateurs communautaires, conception urbaine intégrant la gestion de l’eau, système de tramway autonome sans rails reliant le quartier au centre de Fremantle, gouvernance communautaire partagée des systèmes de distribution de l’énergie et de l’eau ou du service de transports.

Smart City Renew Nexus.
Cette fois, c’est une collectivité locale entière, composée de 25 000 habitants, qui est concernée. L’objectif était de suivre la mise en oeuvre et de modéliser un système de production durable d’énergie et d’eau à l’échelle de la collectivité, reposant sur la vente d’énergie entre voisins à l’aide de la blockchain. Les logements de la collectivité de Fremantle ont été équipés d’un dispositif de suivi permettant d’optimiser le système en permanence. De nouveaux tarifs pour l’électricité et l’eau seront proposés en fonction des résultats. Il s’agit d’un partenariat avec les services publics urbains, qui capitalise sur les projets menés à plus petite échelle. Sa réussite et son attractivité économique tiennent au fait qu’il apporte un éclairage formidable sur un nouveau modèle de gestion de la distribution de l’énergie et de l’eau.

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