Déplacements et usages de la métropole

06 février 2015Mireille Bouleau et Catherine Mangeney

Si les flux de déplacements qui parcourent la métropole semblent former un réseau entremêlé presque impénétrable, il est possible de dégager certaines règles d’usage de l’espace urbain simples et communes à tous. Mais ces logiques individuelles ne se superposent pas spatialement, rendant difficile leur délimitation « en bassin » au sens collectif du terme.

Le déplacement domicile-travail est souvent le déplacement le plus long en distance, le plus fréquent, et le plus contraint. Les autres motifs de déplacements – activités de loisirs, achats, accompagnements, suivi de santé ou démarches administratives –  s’ajustent ensuite, en fonction non seulement de l’offre (c’est-à-dire des équipements disponibles dans les polarités avoisinantes), mais également de stratégies individuelles complexes. Néanmoins, l’analyse des pratiques de mobilité au regard de la morphologie urbaine permet de mettre en évidence une logique commune.

Une proximité systématiquement investie

Les Franciliens utilisent systématiquement les ressources offertes par leur proximité. Quel que soit leur lieu de résidence, même dans les territoires périurbains éloignés où l’offre locale est sommaire, la proximité reste la première destination des déplacements non contraints par le travail ou les études1. Cette dernière est investie, quels que soient le territoire de vie, mais également le profil de l’individu, actif ou retraité, homme ou femme, ouvrier ou cadre supérieur.

Quel que soit leur lieu de résidence,
les Franciliens utilisent les ressources
offertes à proximité de chez eux

La capitale offrant presque tous les services et équipements possibles, 80 % des déplacements non contraints des Parisiens sont réalisés dans Paris intra-muros. Cette proportion monte à plus de 90 % pour les Parisiens travaillant à Paris. Environ un tiers de ces déplacements sont même réalisés à moins de 500 mètres du domicile. À l’exception des enfants de moins de 14 ans, cette hyper proximité est d’autant plus utilisée que l’âge augmente, atteignant 43 % chez les plus de 75 ans et tombant à seulement 18 % chez les Parisiens de 15 à 24 ans.

En grande couronne, la proximité immédiate du domicile (moins de 500 m) concentre plus de 20 % des déplacements non contraints, et ce sont 45 % des déplacements qui sont réalisés à l’intérieur de la commune de résidence. En petite couronne, cette proportion est tout à fait similaire (48 %), ce qui montre l’atypisme de Paris au sein de l’Île-de-France. La rupture de comportement est en effet forte entre Paris et la petite couronne, mais très progressive de la petite couronne jusque dans le périurbain [Bouleau et Mettetal, 2014]. Même dans les communes rurales, malgré une offre souvent réduite, 27 % des déplacements sont réalisés dans la commune de résidence. À l’inverse, dans les communes principales du périurbain2, la proximité est encore plus utilisée qu’en petite couronne et concentre près de 52 % des déplacements.

Une faible utilisation du lieu de travail

En revanche, les Franciliens n’utilisent que très peu leur lieu de travail pour réaliser des achats, des loisirs ou d’autres déplacements personnels. Il est évident que de nombreux lieux d’emploi ne se situent pas dans une polarité et n’offrent ainsi que peu de services et d’équipements utiles. Au global, seuls 6 % des déplacements (autres que travail et études) sont réalisés dans la commune du lieu de travail, que le travail se situe en grande couronne, en petite couronne ou même à Paris3. Cette proportion augmente cependant si on ajoute à la commune du lieu de travail une zone de 5 km aux alentours de ce dernier. Cette zone concentre alors 15 % des déplacements non contraints des actifs travaillant en petite ou en grande couronne et 27 % de ceux des actifs travaillant à Paris. Mais, plus que la proximité du lieu de travail, c’est alors Paris qui est utilisé.

Paris, un rôle central… pour les Parisiens

Centre historique présentant presque tous les équipements et services possibles, idéalement desservi par les réseaux de transports collectifs et routiers, les raisons sont nombreuses pour que Paris joue un rôle à part dans les déplacements des Franciliens.

Pourtant, si les Parisiens réalisent la quasi-intégralité de leurs déplacements (autres que travail et études) dans Paris intra-muros, la capitale n’est utilisée par les autres Franciliens que lorsqu’elle englobe le lieu de travail et très marginalement sinon. Même dans les communes de petite couronne, seuls 12 % des déplacements autres que travail et études sont à destination de Paris : cette part diminue très rapidement lorsqu’on s’en éloigne, tombant à 4 % pour l’ensemble des habitants de grande couronne.

S’éloigner pour trouver mieux, quitte à aller loin

Pour leurs autres déplacements, les Franciliens se rendent dans des polarités systématiquement mieux équipées que leur commune de résidence et choisissent même, en majorité, les polarités les mieux équipées. Dans un système théorique de polarités métropolitaines fortement hiérarchisées, il serait possible d’imaginer que les habitants utilisent toujours la polarité la plus proche de chez eux présentant l’équipement ou le service dont ils ont besoin. En réalité, les Franciliens investissent au maximum leur commune de résidence et préfèrent, lorsque l’équipement recherché ne s’y trouve pas, se rendre directement dans des pôles « majeurs » présentant l’intégralité des équipements et services possibles. Par ailleurs, ils ne choisissent pas la polarité « majeure » la plus proche en distance de leur domicile. Puisque l’usage des modes doux n’est alors généralement plus possible, la concurrence entre les destinations devient plus forte. Les critères de choix de destination sont alors multiples et tiennent compte, par exemple, des réseaux de transports collectifs, des zones de congestion routière, de l’offre de stationnement sur place, de la qualité de l’offre, et évidemment de la situation géographique dans un enchaînement de déplacements quotidiens souvent complexe.

Une même logique d’usage de l’espace mais une transcription spatiale éclatée

Si une logique commune d’usage de l’espace polarisé se dégage quels que soient le lieu de résidence et les caractéristiques individuelles, sa transcription spatiale est assez éclatée : les habitants fréquentent les mêmes types d’espaces, mais pas les mêmes espaces. En effet, l’Île-de-France se caractérise par un réseau relativement dense de communes bien équipées, de centres-bourgs, de polarités secondaires… Si bien que les habitants disposent, à quelques minutes ou à quelques kilomètres de chez eux, de différentes localités où faire leurs achats, se cultiver, se détendre, faire du sport… Ainsi, les habitants d’une même commune, lorsqu’ils ne se déplacent pas à proximité de chez eux ou de leur lieu de travail, utilisent une palette assez large de localisations différentes pour répondre à leurs différents besoins.

Les Franciliens fréquentent
les mêmes types d’espaces,
mais pas les mêmes espaces

Cette logique s’observe dans tous les espaces franciliens, même si le poids de la proximité et la densité de l’offre locale génèrent une dispersion des flux légèrement différente : plus les individus résident dans des communes denses, plus leur usage de la proximité est fort. Cependant, lorsqu’ils en sortent, ils ont des pratiques très éparses. Ainsi, pour 10 déplacements effectués en dehors de leur sphère de proximité et de travail et hors de Paris par des habitants du centre de l’agglomération, un peu plus de 5 destinations différentes sont utilisées en moyenne4. En zone rurale, l’usage de la proximité est moindre, du fait d’une offre locale moins abondante. La dispersion des flux sortants l’est également, en raison d’un réseau moins abondant de polarités au voisinage. Néanmoins, même dans les zones rurales, plus de 3 communes différentes en moyenne sont utilisées pour 10 déplacements sortants.
Cette dispersion est bien visible lorsque l’on représente les déplacements dans l’espace, que ce soit à l’échelle d’un département, d’une intercommunalité, ou même d’un ensemble plus restreint de communes.

La dispersion des flux en image

L’enquête globale Transports a été utilisée pour représenter les flux en images. Que ce soit à l’échelle d’un département étendu et rural comme la Seine-et-Marne, ou au sein d’un département dense de petite couronne comme le Val-de-Marne, la représentation des déplacements non-contraints (hors domicile-travail et domicile-étude) montre, une nouvelle fois, que, partout où c’est possible, la proximité est privilégiée (même à proximité de Paris). Des zooms plus locaux indiquent par ailleurs que ces déplacements de proximité semblent largement polarisés par les centralités locales d’équipements et de services (« centre-ville » de la commune ou centralités voisines).

La visualisation des déplacements « hors proximité » illustre également à quel point, quelle que soit l’échelle considérée, la mobilité des habitants d’un même « territoire » (urbain ou rural) est dispersée dans de multiples directions. En Seine-et-Marne, les flux sortants de la proximité sont largement dispersés, peuvent être relativement lointains et s’entrecroisent allègrement. Dans un département dense de petite couronne comme le Val-de-Marne, la cartographie des déplacements non-contraints produit un écheveau inextricable de flux croisés et entremêlés, alors même que la proximité est, encore une fois, largement utilisée, y compris dans les communes les plus proches de Paris. De fait, la dispersion des flux sortants est très clairement visible à l’échelle d’une seule commune, comme celle de Créteil  : pôle urbain conséquent, plus de 75 % des déplacements de ses habitants se font dans la proximité. Néanmoins, les flux sortants se présentent comme un oursin multidirectionnel, dont les pointes s’étendent bien au-delà du département.
De ce fait, la délimitation de « bassins » englobant la totalité des déplacements réalisés par les habitants d’une même zone semble bien délicate. Il apparaît en revanche pertinent de lire le territoire d’après sa structuration en « pôles » (d’équipements, d’emploi…) emboîtés, selon différentes échelles de rayonnement, faisant écho à la lecture et à l’usage que les Franciliens ont eux-mêmes de leurs espaces de vie. Tout l’enjeu étant ensuite de consolider ou d’étoffer ce maillage.

En définitive, l’approche croisant l’observation des déplacements réalisés par un panel d’habitants et la structuration fine du territoire par les polarités d’équipements et de services confirme l’importance d’un réseau maillé et structuré de centralités, qu’elles soient d’envergure locale ou plus importantes, dans les pratiques des Franciliens. Ces derniers semblent « picorer » entre les unes et les autres, privilégiant au maximum la proximité et affichant un usage des spatialités sensiblement différent de celui de leurs voisins. Si bien que les découpages territoriaux ayant intégré la dimension des pratiques habitantes (ou des zones de polarités) peuvent permettre de structurer l’action publique, les mutualisations et la coordination des échelles. Ensuite, les Franciliens continueront d’en user à leur guise.

Catherine Mangeney est démographe, chargée d'études équipements à L'Institut Paris Region. Mireille Bouleau est économètre, chargée d'études transports à L'Institut Paris Region.

1. Afin de dégager et de comprendre ces règles d’usage de l’espace urbain, nous nous sommes concentrées, dans l’intégralité de cet article, sur les déplacements autres que ceux motivés par le travail et les études qui répondent à des logiques de choix différentes. Nous avons également mis de côté les retours au domicile.
2. Les communes principales sont celles identifiées via le découpage morphologique [Bertrand et Dugué, 2008].
3. Pour les actifs travaillant à Paris, la commune du lieu de travail est l’arrondissement de ce dernier.
4. Il s’agit bien du nombre moyen de communes de destination fréquentées pour 10 déplacements effectués par les habitants d’une même commune de résidence.

Les bases de données utilisées

L’étude des déplacements pour motifs autres que le travail s’appuie sur les données des enquêtes globales Transport de 1976, 1983, 1991, 2001 (DRIEA) et 2010 (Stif, DRIEA).  Pour l’année 2010, l’échantillonnage porte sur 18 000 ménages franciliens, soit 43 000 personnes [Stif, Omnil, DRIEA, 2013].L’analyse s’est également appuyée sur le découpage morphologique réalisé à l’IAU îdF [Bertrand et Dugué, 2007], fondé sur deux critères : la proportion d’espaces urbanisés et la densité humaine sur les espaces construits.  Enfin, l’offre d’équipements a été prise en compte au travers d’une typologie en six classes synthétisant le niveau global d’équipement des communes franciliennes, ainsi qu’au travers d’une modélisation des centralités infracommunales d’équipements et de services [Mangeney, 2014].

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