Santé et urbanisme, approche historique

19 mars 2020Philippe Montillet

Les grands établissements de santé ont contribué à façonner la ville, à son développement et souvent, aussi, à son plan. Ses nécessaires aménagements et les grandes découvertes scientifiques ont renouvelé le lien entre santé et ville, débouchant, progressivement, sur les questions d’hygiène et de santé publique et favorisant le dialogue entre équipements, santé et urbanisme.

Les établissements de santé sont, depuis la ville médiévale, des repères de la ville. Par leur nature et leur taille, ils ont charpenté des villes et certains ont traversé les siècles comme ceux de Paris, de Montfortl’Amaury ou de Gonesse. Pôle d’attractivité, ces équipements contribuèrent au développement de la ville. Ainsi, sous Louis XIV, la rive gauche de Paris fut réorganisée par l’édification de grands équipements de santé (Hôpital général, Salpêtrière actuelle, et Hôtel des Invalides), repoussant les limites de la capitale à l’est et à l’ouest, mais attachés à un objectif social bien défini comme l’entretien des vieux militaires malades ou « estropiés » pour les Invalides, plutôt qu’à une planification urbaine au sens moderne du terme. Jusqu’au XIXe siècle, certes, la Santé n’a pas tenu une place aussi importante en urbanisme que d’autres équipements, mais elle a eu un rôle non négligeable, marquant de son empreinte la mémoire des territoires.

En la matière, très tôt s’observe une dialectique entre ville et faubourg, entre le dedans et le dehors, entre soigner et rejeter, dialectique compliquée du fait que, pour bien isoler, il faut aussi prévoir un espace important. Ainsi, les équipements de santé ont formé des enclaves imperméables avec leur environnement et ont influencé un urbanisme par « contournement ». Progressivement, la question de la santé dans la ville s’est posée : le XIXe siècle a beaucoup oeuvré pour articuler esthétique et salubrité de la ville, sortant du cadre des seuls équipements de santé. L’urbanisme s’en est alors trouvé marqué par de nouveaux principes : une ville plus saine, plus aérée et mieux équipée. De la santé dans la ville à la santé de la ville, une nouvelle dialectique était née.

La santé dans la ville : entre le dedans et le dehors

Où placer les équipements de santé ? Dans ou hors la ville ? Telles sont les premières questions qui se sont posées. Ces équipements, par leur nature, ne sont pas neutres. Ils sont « dangereux ». Certes pas au sens habituel du terme, mais ils peuvent faire encore plus de victimes qu’un conflit. Durant longtemps, les maladies n’ont pas su être soignées si ce n’est en isolant pour éviter les contagions. Mais tous les équipements n’étaient pas hors les murs. Ainsi, jusqu’au XIXe siècle, deux types coexistent : à l’intérieur ou à l’extérieur des murs de la ville.

Dans les murs

Dès que les villes retrouvent un certain essor (fin XIIe - début XIIIe siècle), des établissements de santé y sont édifiés, contribuant à leur renommée. Les premiers hôpitaux sont, en fait, des hospices : personnes âgées ou malades sont recueillies et reçoivent, souvent, ce qui à nos yeux n’est qu’un accompagnement plutôt que de vrais soins.

Au Moyen Âge et durant l’Ancien Régime, s’agissant d’établissements royaux ou ecclésiastiques, leur positionnement dans la ville est surtout dû aux opportunités foncières du donateur. Ainsi le roi Louis IX – Saint-Louis – crée les Quinze-Vingts qu’il fit édifier sur une pièce de terre dépendante de la couronne et lorsque l’établissement fut transféré sous Louis XVI, ce fut dans une ancienne caserne de mousquetaires. Il n’y a pas, dans ce cas, de réflexion d’aménagement. Ces établissements découlent de la croissance de la ville qui impose d’avoir des équipements adaptés. Ils sont agrandis, reconstruits autant que de besoin. Mais la réflexion urbaine est présente dès lors qu’ils se situent sur des secteurs que la ville est en train de conquérir. Tel fut le cas avec la création des Invalides, à Paris. La construction de l’institution préfigure la ville future avec, d’une part, la vaste esplanade fermée par la façade du bâtiment principal permettant de limiter les risques d’inondation de la Seine, et d’autre part, sur l’arrière, un double jeu de voies, les premières encadrant le bâtiment et les secondes ouvrant, à travers trois grandes avenues, sur un nouvel espace peu à peu loti. Dans ce cas, l’équipement sanitaire a bel et bien été à l’origine d’un développement urbain.

Par la suite, des établissements de santé continueront à être édifiés dans la ville. Leurs trois principales fonctions se situent dans la dialectique entre « hébergement espéré » et « enfermement redouté » : l’hospitalité, lieu d’accueil et de soins pour ceux qui ne peuvent être pris en charge par leur famille; l’isolement pour tous ceux considérés comme dangereux pour la société ; enfin, l’hospice pour les indigents ou les incurables. La renommée de ces établissements bénéficie à toute la ville. Les hospices de Beaune, en Côte-d’Or, en sont l’archétype. Ce type d’hôpital sera édifié jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, comme l’hospice des Incurables, devenu l’hôpital Laennec, fondé en 1634, ou encore l’hôpital Necker, fondé en 1778 à Paris. À partir du XIXe siècle, les hôpitaux ont changé de nature à mesure que la recherche et les soins eux-mêmes progressent. Leur nombre augmente. Ils sont, d’abord, souvent réinstallés dans d’anciennes propriétés religieuses (Valde- Grâce ou Saint-Antoine). Sous Napoléon III, les grands établissements parisiens seront édifiés (par exemple, Lariboisière). Les quartiers annexés en 1860 sont dotés d’établissements (Tenon, par exemple), construits selon les normes sanitaires de l’époque et dans l’objectif de répondre aux besoins d’une population croissante. Dans le même esprit, d’anciens établissements sont agrandis pour répondre aux nouveaux usages comme ce fut le cas de Cochin, né d’un premier hospice créé en 1780. Dès lors, ces établissements occupent de vastes emprises. Pour éviter les contagions, ils sont souvent organisés en pavillons isolés les uns des autres, reprenant une ordonnance de quartiers avec des rues, des îlots et des équipements communs (cuisine, laboratoires, blanchisserie…). Lorsque se pose le problème de leur évolution, ces espaces deviennent l’objet de convoitises. Les surfaces importantes et situées en coeur de ville en font des lieux où les reconversions recouvrent d’importants enjeux comme actuellement, à Paris pour les hôpitaux Boucicaut, Laennec, Broussais et Saint-Vincent-de-Paul.

Mais la fin du XIXe siècle, et ses nombreux bouleversements, a également apporté la création de nouveaux équipements sanitaires : les dispensaires qui apportent soins gratuits ou quasi gratuits et de proximité dans des secteurs qui auraient pu apparaître comme des «déserts médicaux ». La croissance démographique commence à faire sentir ses effets sociaux : dans le domaine de la santé, comme dans bien d’autres, l’absence de planification avait rapidement révélé des carences avec un nombre insuffisant de professionnels de santé.

Les collectivités locales, mais aussi certaines œuvres philanthropiques ou caritatives, ont alors pris le relais. Ces dispensaires ont maillé le territoire surtout là où des programmes d’habitat social étaient édifiés. Ainsi, certains sont intégrés au plan des cités-jardins (par exemple Cachan, Le-Plessis-Robinson, etc.), contribuant, ainsi, à leur armature urbaine. Les dispensaires servaient à soigner mais avaient aussi un rôle prophylactique en encourageant les vaccinations nécessaires pour faire reculer certaines maladies qui causaient encore des ravages importants jusqu’aux années 1950 (tuberculose, coqueluche…). Les dispensaires s’inscrivaient dans une politique globale visant à faire de ces cités des modèles de vie sociale. Ainsi, des programmes pédagogiques auprès des mères de famille, notamment, étaient proposés. Pour l’habitat le plus dispersé, certaines municipalités agissaient en créant des établissements communaux ou en facilitant l’installation de certains gérés par diverses œuvres. Il s’agissait, alors, de corriger une absence plutôt que de mener une réelle politique anticipatrice comme dans les cités-jardins. Au-delà des villes, avec le changement intervenu au cours des âges, il y eut, aussi, tout un rapport établi entre la santé et les espaces de faubourgs.

Hors les murs

La ville ancienne était entourée de murailles, avec un dedans et un dehors, les deux fonctionnements se complétant. La banlieue (ce qui est régi par le même ban) forme un système avec la ville. Certes, la maladie n’était pas un ennemi, mais s’en protéger était une nécessité ressentie depuis toujours. Le lépreux de l’évangile est le même que celui que craint le bourgeois médiéval, celui de la grande peste de 1348 ou des épidémies du XIXe siècle. Bien que sorties de la mémoire, les épidémies ont fait des ravages jusqu’en 1918 avec la grippe espagnole qui a causé plus de morts que la guerre.

Ce sont les questions de contagions qui ont eu le plus d’influence sur l’occupation du sol à l’échelle du territoire d’abord, et ensuite à celle de la ville. Autour de plusieurs anciennes villes, des lieux-dits « Ladrerie » ou «La maladrerie», rappelle d’anciens sites isolés où devaient rester les malades atteints de la lèpre. Deux exemples franciliens permettent de comprendre ce phénomène. Provins, où les échanges étaient nombreux du fait de l’activité économique à l’échelle européenne, était confrontée aux problèmes de la maladie et des contagions. Ainsi, pour écarter les risques, deux établissements, au nom révélateur, organisés en autosubsistance furent établis sur le plateau, à l’écart de la ville : Guériton et Mortery. Des fermes permettaient aux pensionnaires de vivre ou de survivre le temps nécessaire.

Autre cas intéressant, celui, parisien, de l’hôpital voulu par Henri IV souhaitant répondre aux besoins des épidémies récurrentes par un équipement différent de l’Hôtel-Dieu installé au coeur de Paris. Pour les épidémies, la ville était mal équipée. En 1580, encore, un camp de toile avait été installé hors les murs. En 1606, Henri IV, qui avait un projet urbain pour sa capitale, a souhaité la construction d’un nouvel équipement en dur, digne du souverain: l’hôpital Saint-Louis, projet urbain autant que de santé. Comme il s’agit d’éviter la contagion, l’hôpital est construit hors les murs et à l’écart des voies de communication principales comme le montre bien le Plan de Mérian. En effet, le lieu doit être fermé au public. Son emprise est importante puisque, pour éviter les échanges, il y a des espaces de culture et des vergers. Par la suite, un quartier nouveau se développera autour.

Cette particularité de la construction de grands équipements hors les murs est une spécificité du domaine de la santé puisque, en matière de construction édilitaire, la tradition est, habituellement, de construire à l’intérieur pour «embellir » la ville.

Cela explique donc de très belles réalisations en banlieue comme l’hôpital de Bicêtre qui confère une incontestable image de qualité au Kremlin-Bicêtre et fut à l’origine d’un plan urbain malheureusement inachevé, articulé autour de la grande allée menant de la route de Paris à la porte principale de l’établissement. Autre exemple, les hôpitaux psychiatriques quand il fallait isoler les « fous », comme Esquirol à Saint-Maurice ou, plus récemment, Maison- Blanche et Ville-Évrard à Neuilly-sur-Marne construits à l’origine par le département de la Seine. Ces deux derniers établissements font, actuellement, l’objet de projet de reconversion à l’échelle de la métropole. Ainsi, ce qui fut exclusion de la ville au temps où seul Paris comptait, prend désormais un autre sens dans le cadre de la métropole puisqu’il y a là un gisement de monuments qui peuvent être autant de repères.

Un autre aspect concerne, également, la question de constructions d’hôpitaux en dehors du centre de l’agglomération. La pression démographique fait sortir les grands équipements de santé hors les murs pour se rapprocher des populations. Hors les murs de Paris mais pas de la zone agglomérée du département de la Seine d’alors… Après la Première Guerre mondiale, le rapport entre Paris et sa banlieue s’inverse et cette dernière devient plus peuplée que la capitale. La carte des hôpitaux «parisiens » doit être revue. Cela amène la construction de grands établissements en banlieue proche comme Corentin-Celton, à Issy-les-Moulineaux, Raymond-Poincaré à Garches ou Avicenne à Bobigny. Ce mouvement de construction initié entre les deux guerres, a été poursuivi en particulier dans le cadre de la planification urbaine comme en témoigne, par exemple, le chapitre 5 du PADOG consacré aux équipements et les travaux du district qui soulignaient l’importance d’un « rattrapage urgent d’une situation particulièrement dégradée ». Par la suite, cela s’est traduit en termes de carte sanitaire, amenant la création de nouveaux établissements répondant aux besoins de la population toujours croissante de la zone agglomérée. Outre les questions d’implantation des équipements de santé, intra ou extra-muros, ce sont des réflexions de santé publique qui surviennent progressivement : rendre la santé accessible à tous et enrayer les maladies à la racine par une meilleure hygiène urbaine.

La santé de la ville : des soins de santé… à l’hygiène publique

Au XIXe siècle, le paradigme de la santé a été radicalement modifié. Il s’agit non plus seulement d’isoler ou d’accueillir mais – progrès de la science aidant – de soigner et de prévenir. La santé n’est plus uniquement du domaine du subi mais une question individuelle et sociétale. Mais les liens avec la ville méritent d’être reprécisés : en effet, ce changement d’approche a une conséquence importante en matière urbaine puisque, de plus en plus, les contraintes sanitaires participent à la manière de faire la ville. De nouvelles politiques, comme celles du verdissement ou encore l’action sur les réseaux d’assainissement, s’imposent.

Durant longtemps, le pragmatisme a présidé au développement urbain. La croissance des villes suivait celle de leurs activités d’artisanat, de commerce mais aussi de leur rôle administratif et judiciaire. L’espace y était contraint. Régulièrement les enceintes étaient repoussées. Sous l’influence italienne, une réflexion urbaine est apparue au tournant du XVIe siècle. Mais il ne s’agissait, alors, que d’embellir beaucoup plus que d’assainir. Le roi Henri IV commença à réfléchir en termes d’espaces. Il créa le premier mail planté, celui de l’Arsenal, voulant faire entrer des espaces de loisirs et de détente dans sa capitale. Le mouvement était lancé et se développera à mesure que la ville se densifiera. Après les espaces verts, il s’agira de mieux assainir pour éviter les «miasmes ». Cela passe autant par une organisation urbaine que par des équipements spécifiques.

Concevoir la ville pour une meilleure santé

Aérer et verdir la ville: square, ceinture verte, arbres d’alignement mais aussi élargissement des voies… puis cités-jardins s’imposeront, peu à peu, comme des nécessités pour une ville viable. Le projet urbain intègre progressivement les notions de santé publique.

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, Paris, bien que dense, restait une ville «aérée ». Il y avait des jardins et si la ville couvrait déjà une superficie importante, elle restait circonscrite et, surtout, la campagne était présente dès le mur des fermiers généraux franchi. Avec l’essor des banlieues et la croissance démographique, la question des espaces de respiration se pose. Elle passe par les espaces verts urbains, l’alignement et le gabarit des immeubles permettant ou non de faire entrer le soleil dans les habitations. La législation et les règlements d’urbanisme ont agi en ce sens.

La première réglementation date du préfet Rambuteau. Si les préoccupations esthétiques demeurent, elles ne sont plus les seules : les vertus de la nature et de l’air sont déjà reconnues et font partie des préoccupations urbaines. «De l’eau, de l’air, de l’ombre », réclame le préfet sous la monarchie de Juillet. Il fait le lien entre l’épidémie de choléra et le manque de salubrité des rues trop étroites. Ainsi fixe-t-il la règle des 13 mètres de largeur pour les nouvelles rues, complétée par celle sur les hauteurs des immeubles. Il sera l’un des artisans de la loi sur les expropriations pour cause d’intérêt public du 3 mai 1841 pour que cette mesure puisse, aussi, s’appliquer dans les quartiers anciens.

C’est surtout Haussmann qui aura une grande influence puisque, à la différence de son prédécesseur, il sera totalement soutenu par le souverain. La ville lui doit les squares, le doublement des arbres d’alignement des grandes artères, les deux forêts urbaines… et les nouvelles artères, soit celles construites de toutes pièces – de larges avenues – soit celles qui seront retaillées dans le tissu plus ancien aux nouvelles normes de largeur et de hauteur des constructions. Toute une nouvelle conception de la santé publique se met en place qui ne cessera de prendre de l’importance même si, parfois, les politiques menées peuvent paraître manquer de cohérence.

La question de la banlieue est, sur ce point, intéressante. En effet, dans un premier temps – et au nom de la salubrité de Paris – les communes du département de la Seine ont plus ou moins servi d’exutoire. Les activités les plus polluantes y seront placées dès le début du XIXe siècle. N’est-ce pas logique puisque, face à Paris, qui dépasse les deux millions d’habitants, le département de la Seine, plus important en superficie, n’en compte à l’époque que 250000? Les espaces vides sont plus nombreux que ceux habités. C’est donc « logiquement » que les autorités y placent les activités insalubres. À ce prix la ville peut être dépolluée et ses habitants protégés. La très forte croissance est venue mettre à mal ce « projet ». En quelques dizaines d’années, la banlieue a vu sa population devenir l’équivalent de celle de Paris, puis la dépasser. Le vide a cédé la place à un recouvrement progressif de l’espace même si les pavillons et leurs jardinets permettaient encore l’aération. Dès les années 1920, au moment où les anciens forts sont désarmés des projets de reverdissement de la banlieue commencent à se faire jour pour redonner, à l’échelle de tout le département, de l’air à une banlieue laissée trop facilement à la discrétion des pouvoirs des maires et des lotisseurs.

Une réflexion d’ensemble a progressivement émergé et il est assez symptomatique de voir que l’élaboration d’une doctrine et d’outils de réflexion urbains se feront par la section d’hygiène urbaine et rurale créée en 1907 – du «Musée social » fondé en 1894 – ancêtre de toutes les réflexions urbaines. Les deux questions, celle de l’urbanisme et celle de l’hygiène, étaient étroitement mêlées. Après avoir boisé de verdure et aéré, les politiques menées seront plus dynamiques. Il ne s’agit plus seulement d’améliorer mais de renouveler l’existant, quitte à le détruire si nécessaire.

Agir sur la ville pour la santé

Les règlements d’hygiène publique, sousjacents dans les réformes haussmanniennes, iront en s’accentuant pour prendre toute leur importance au lendemain de la Première Guerre mondiale, notamment avec la loi Cornudet de mars 1919. Pour Paris, au moment où la ville atteint son apogée démographique, ce seront les projets de destruction des îlots insalubres de l’est et du centre ancien de la rive droite (le Marais, notamment). Pour la banlieue, cela avait été déjà prévu avec les premiers règlements sur les lotissements insalubres (loi de 1902) amenant soit leur aménagement, soit leur destruction pour les remplacer par des programmes mieux adaptés avec de nouvelles formes urbaines et le traitement des réseaux d’eau et d’assainissement.

L’ensemble de ces mesures, qui de nos jours, paraissent si naturelles, ont eu du mal à s’imposer. Elles remettaient en cause les droits des propriétaires qui voyaient leurs libertés limitées par des contraintes et servitudes, mais aussi des acquis beaucoup plus corporatistes. Les vidangeurs étaient hostiles au tout à l’égout, comme ceux qui avaient lutté contre l’arrivée de l’eau « à tous les étages » qui remettait en cause le «privilège» de la distribution à domicile! Pour faire évoluer les mentalités, il fallait des arguments forts. Ceux de la santé et de l’hygiène permirent d’avoir une nouvelle approche urbaine reposant sur l’utilité publique. La section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social en donna le fondement. C’est là que furent définis les liens entre la santé et les conditions de vie, la salubrité des logements, etc.

Si la démarche aboutit sur le développement des équipements, elle porta aussi sur la forme urbaine en elle-même. Le Musée social contribua à la vulgarisation du concept de cités-jardins que l’explosion démographique anglaise avait suscité. Il s’agissait de créer, selon le modèle howardien, des villes saines et agréables, mêlant logements, équipements, services et emplois. Les cités établies en Île-de- France, plus modestes en superficie, donneront une place importante aux espaces privés ou aux espaces publics partagés et leur localisation privilégiera les espaces aérés, de manière à laisser la place à l’air et au soleil. En Île-de- France, tout cela s’inscrit dans une réflexion urbaine plus vaste de logement social dans laquelle les « pavillons de banlieue » ont également leur place. Leur justification venait du jardin qui les entourait et dont le but était autant d’apporter un complément alimentaire à une population pauvre, que d’offrir une compensation à la vie en ateliers dans lesquels l’air était raréfié et pollué. Mais plus largement, le logement social devait être marqué par la place donnée aux équipements individuels (salles d’eau, espaces collectifs pour laver le linge). À travers eux, ce n’est pas tant le confort qui est visé que la salubrité.

Cela s’accompagne, pour éviter les épidémies, d’un formidable effort consenti par la puissance publique pour améliorer les réseaux d’eau et ceux de l’assainissement, en particulier par les égouts. L’effort haussmannien se fait autant sur le dessous et les réseaux invisibles que sur le dessus et la voirie. Dès 1854 est envisagé le doublement du volume des eaux rendu possible par de nouvelles dérivations d’eau de source provenant de la Dhuys et de la Vanne, venant compléter les eaux de rivière et la réalisation de grands réservoirs. Ainsi «de 150000 m3/jour en 1854, la capacité de production atteignit près de 450 000 m3 » en 1875. Quant à la consommation quotidienne par habitant, elle est passée de 60 litres en 1854 à 168 litres, tous usages confondus dans le même délai.

Pour les égouts, le décret du 26 mars 1852 change la donne obligeant le raccordement de toutes les maisons parisiennes à l’égout (eaux ménagères). Le système couvrant toute la ville rejoignait deux collecteurs généraux rejetant les effluents loin, à l’aval de la ville. Pour la première fois, la ville était assainie dans une vision d’ensemble. L’effort devait continuer par la suite, non plus sur la seule question de l’alimentation en eau d’une population ne cessant de croître, mais aussi sur celle de la qualité et de l’épuration. Le dernier épisode cholérique de 1892 montre que les eaux de rivières pouvaient être nocives pour la santé humaine: dès lors, l’eau de source fut privilégiée avec les nouvelles dérivations du Lunain et du Loing amenant la construction des aqueducs. En parallèle, des usines de traitement étaient édifiées. Cette évolution montre comment la réflexion sur la santé publique a amené à revoir totalement la politique de l’aménagement à travers une approche globale. Le territoire est vu dans son ensemble, avec son amont et son aval, avec des périmètres (ceux des puisages comme ceux des épandages) qui s’élargissent à mesure que les besoins croissent. Consciente de l’importance de sa démographie, la ville de Paris a étendu, pour tous ses réseaux, son emprise bien au-delà d’abord de ses limites administratives, puis de celles du département de la Seine et enfin de l’actuelle région, voire au-delà. Mais si cet aspect global est important, il n’en faut pas moins voir, également, que les questions de santé publique ont été à l’origine d’équipements de proximité touchant, là aussi, tant la santé proprement dite que l’hygiène, tant les soins que la prévention.

La ville ou, plus largement, l’urbanisme et la santé ont, depuis longtemps, été parties liées, mais les approches ont évolué au cours des âges.

Si la question a d’abord été celle de l’isolement des malades pour éviter les contagions et les épidémies, peu à peu les soins et la prophylaxie, grâce aux progrès scientifiques, en sont devenus les moteurs. Ainsi peu à peu, c’est sur les causes et l’environnement que les politiques ont pu porter. L’accroissement de la population a fait, pareillement, passer la question d’un domaine individuel (le malade) à une approche sociale que traduisent les concepts de santé et d’hygiène publique.

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