Julien Neiertz, cogérant du PHARES, lieu de transition écologique et citoyenne

15 septembre 2022ContactCarine Camors

Julien Neiertz est cogérant du Pôle d’hospitalité aux activités à rayonnement écologique et solidaire (PHARES) à L’Île-Saint-Denis, depuis 2014. Fondateur de Metropop'!, association d’éducation populaire, il s’engage sur le territoire métropolitain pour changer la représentation de la banlieue. Impliqué dans la transformation des territoires urbains défavorisés, il participe aujourd’hui à l’évolution du PHARES comme nouveau pôle démonstrateur d’un projet de construction liée à l’économie sociale et solidaire (circularité des matériaux, écoconception, bioclimatisme, frugalité, insertion professionnelle, chantier participatif, etc.), et de fabrique des transitions territoriales.   

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Quand et comment a commencé votre aventure au PHARES ?

En 2010, j'ai cofondé la structure Métropop’!, association d'éducation populaire, autour d’un collectif citoyen, pour faire bouger les représentations de la banlieue et les productions d’images entre villes centres et villes périphériques. L’histoire de l’agglomération parisienne, récente ou plus ancienne, est faite de séparations et de frontières géographiques, administratives, sociales ou symboliques. Les quartiers populaires et les personnes qui y habitent subissent des logiques d’enclavement, de discrimination et de stigmatisation. Il nous est donc apparu nécessaire de proposer des espaces de création d’images qui permettent de déconstruire et de dépasser ces représentations stéréotypées, et de produire de manière participative de nouveaux imaginaires de la banlieue, et plus largement, du Grand Paris. La construction métropolitaine n’a de sens que si les citoyens peuvent y prendre toute leur part : on a beaucoup travaillé sur la manière dont les habitants – quels qu'ils soient, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville et les quartiers populaires – peuvent s'emparer de ces enjeux métropolitains. 
Nous arrivons au PHARES en 2014, l’association est alors en plein essor. Nous cherchions de nouveaux locaux pour nous développer. Le lieu a été créé par Halage, une association issue des mobilisations d’habitants de L’Île-Saint-Denis en faveur de l’emploi et de l’écologie à travers des chantiers d’insertion, qui vient d’avoir trente ans et qui possède le bâtiment. En 2014, le PHARES est lauréat de l’appel à projets lancé par l’État et devient un Pôle territorial de coopération économique (PTCE)1. J’ai donc participé dès 2014 à la définition du projet de pôle coopératif structuré en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). L’idée a été de faire de ce bâtiment un espace de coopération et d’incubation, un lieu dans lequel plusieurs structures vont vivre ensemble, collaborer, coopérer et créer une dynamique de territoire en lien avec l’économie sociale et solidaire (ESS). 

Quel regard portez-vous sur le développement des espaces de travail partagés sur votre territoire ? Observez-vous un intérêt grandissant pour ce type d'espace ?

À L’Île-Saint-Denis, il n’y a pas d’autres tiers-lieux. Un pôle de l'économie sociale et solidaire vient de s'ouvrir, à l'initiative de Plaine Commune, dans l'écoquartier fluvial. C’est un lieu d'accueil mais il n'a pas d'ambition de coopération entre ses membres. Nous allons nous occuper de la gestion locative. En revanche, nous sommes en lien avec d’autres structures du territoire, comme le PTCE culturel Pot Kommon, autour du 6b, de Mainsd’Œuvres, la Villa Mais D’ici et les Poussières​​​​​​​. Ces quatre tiers-lieux culturels emblématiques de Seine-Saint-Denis, installés sur le territoire de Plaine Commune, ont décidé de travailler ensemble. Ils ont lancé le projet Pot Kommon, autour de l’art et de la culture.
Nous sommes également en lien avec les PTCE Resto Passerelle et Construire Solidaire. On observe de nombreux lieux de travail et de création collectifs, collaboratifs et inclusifs émerger sur le territoire de Seine-Saint-Denis. Toutes ces initiatives de pôles et d’espaces hybrides se développent fortement avec des modèles économiques très divers, et c’est tant mieux car elles proposent un cadre refondé de développement des projets porteurs d’innovations et de solutions concrètes pour le changement de modèle économique et social que nous devons opérer très rapidement à l’échelle du territoire métropolitain.

Quels liens le lieu entretient-il avec son territoire ? Quel ancrage avez-vous sur ce territoire ?

Il y a des liens très forts à l’échelle locale, puisque le PHARES est une émanation des dynamiques citoyennes territoriales locales. Un des sociétaires du PHARES, Solibio, est une association locale d’habitants qui vend des produits bio à L’Île-Saint-Denis. 
Des liens sont également en construction avec les organisateurs des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2024. L’Île-Saint-Denis va accueillir une partie du village olympique (15 610 athlètes hébergés dans 8 000 chambres sur trois communes, dont L’Île-Saint-Denis). Des structures essaient de proposer des partenariats ou de répondre à des appels d’offres, mais cela reste difficile en raison de l’ampleur du projet. Par exemple, Halage, avec ses fleurs cultivées et récoltées à la pointe nord de L’Île-Saint-Denis, dans un chantier d’insertion, sur le projet Lil'Ô (pôle d'activité écologique et citoyenne de 3,6 hectares, situé au cœur de la zone Natura 2000 de L'Île-Saint-Denis), pourrait récompenser les athlètes vainqueurs. La production n’est pas suffisante pour fournir tous les médaillés, mais cela pourrait être un exemple de coopération d’associations locales avec les JOP. Autre exemple, « Les faiseurs de terre » est un projet d'insertion par l'emploi, qui récupère la terre excavée liée aux travaux des JOP pour la recycler et fabriquer des substrats fertiles en économie circulaire, en alternative à la prédation de terre végétale.
Au niveau de Métropop’!, on travaille avec le Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO) sur la communication en matière d’insertion professionnelle des jeunes. On a créé une agence de communication faite par les jeunes, pour les jeunes, afin de les sensibiliser aux offres d’emploi, d’insertion et de bénévolat qui peuvent se présenter dans le cadre des JOP.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous accompagner ?

Nous avons noué des relations de confiance fortes et réciproques avec la mairie de L’Île-Saint-Denis. L'actuel maire, Mohamed Gnabaly, est issu de la société civile et a été un des premiers « habitants » du PHARES à y développer son entreprise. Dès le départ, il y a une connexion réelle entre la dynamique citoyenne, territoriale et politique et l'équipement, en lien avec les structures de l’ESS qui s’y implantent. Beaucoup de projets se font avec la Mairie, qui est porteuse de cette dynamique ESS et qui entend faire du PHARES et de L’Île-Saint-Denis de manière générale, un laboratoire, un démonstrateur de l’innovation sociale en Île-de-France. C’est une volonté politique très clairement affirmée par l’équipe actuelle comme la précédente auparavant.
Par extension, le PHARES est également très lié à l’établissement public territorial (EPT) Plaine Commune, et de nombreux opérateurs du PHARES collaborent étroitement avec le département de Seine-Saint-Denis, la Ville de Paris ou la Région Île-de-France. Toutefois, notre principale difficulté aujourd’hui est de trouver des fonds pour financer des postes de gestionnaire du lieu – on aurait besoin d’un ou deux animateurs – pour faire vivre le tiers-lieu et agir sur le territoire. Notre modèle économique, fondé sur de la location d’espaces professionnels, ne parvient pas à intégrer suffisamment les coûts liés à la coordination, à la coopération et à la collaboration. C’est pourtant ce qui fait le sel, la valeur ajoutée et l'intérêt du PHARES comme de l'ensemble de ces lieux hybrides au jour le jour : c’est ça qui marche ! C'est dans la mutualisation, l'entraide, la solidarité et les collaborations qui naissent au sein du PHARES que non seulement l'innovation est possible mais que l'innovation est souhaitable et soutenable. 

Si c’était à refaire, que feriez-vous ou ne referiez-vous pas ? 

Je pense que l’aventure, il fallait la vivre. Il y a eu plein de belles réussites avec les structures Metropop'!, Halage, Études et Chantiers Île-de-France, Chantier école Île-de-France, Fablab, etc. et des projets comme les Coopératives de jeunes majeurs (CJM) ou l’étude pour la mise en place d’une Boucle alimentaire locale à Stains. Il y a un bel esprit, on partage des valeurs, on s'entraide… Ce n'est pas un vain mot. Mais on pourrait aller plus loin avec davantage de moyens et être beaucoup plus fort dans la transformation du territoire. Ceci est lié à un problème plus vaste, qui est le financement de l’ingénierie. Il manque des financements pour la partie amont des projets : recherche-action et recherche en innovation. Faire confiance aux acteurs de la société civile pour générer de l'innovation, en prise avec le territoire et ses habitants, l'ESS sait le faire, que ce soit en matière d'agroécologie, de dépollution des sols, de mobilité douce ou d'actions participatives. Mais si on ne finance pas de l'ingénierie, si on ne finance pas l'animation, cela reste embryonnaire et c’est dommage ! L’impact pourrait être beaucoup plus important et rapide. 

Quels sont vos projets personnels pour 2022 ?

Aujourd’hui, je développe l’expérience et les expertises de ma société Sphérik & Co., entreprise de conseil en transition des territoires et des organisations, en tant qu’entrepreneur indépendant hébergé et incubé dans l’espace de cotravail du PHARES depuis 2020. J’interviens, par exemple, sur le développement d’un PTCE et d’un tiers-lieu agroécologique dans le Pays de France, à Gonesse. Je reste également actif en tant qu’administrateur de Métropop’!, qui cherche à consolider sa stratégie et à démultiplier son impact.
Au sein du PHARES, nous sommes très concentrés sur le projet de rénovation et de surélévation du bâtiment. L’objectif est de faire de ce projet un démonstrateur des savoir-faire de l’ESS et de l’insertion par l’activité économique dans le domaine de la construction. C’est un enjeu fort et innovant. L’Association nationale pour la rénovation urbaine (Anru) participe au financement à hauteur de 1 million d’euros dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir (PIA), ce qui a permis d'amorcer le projet. Les architectes ont été nommés, et la concertation avec les habitants a eu lieu. Actuellement, on est dans une phase de recherche de subventions, de fondations ou d’investisseurs privés susceptibles d’investir dans le projet. Il s’agit également de réussir l’ouverture au public en tant que tiers-lieu et de devenir une plaque tournante des stratégies de transformation écologiques et sociales en tant que Fabrique des transitions territoriales pour les acteurs de l’EPT Plaine Commune et au-delà en tant que PTCE « Compagnon », c’est-à-dire pouvant intervenir sur l’émergence de nouveaux PTCE de transition écologique et sociale au niveau national.
Réussir à articuler toutes ces casquettes en lien avec mes valeurs, accélérer notre impact au regard de l’urgence à transformer nos manières de penser, de voir, de produire et de travailler : voilà mes projets en 2022 !
 

1. Définition : « Regroupement sur un même territoire d'entreprises de l'économie sociale et solidaire qui s'associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales ou toute autre personne physique ou morale pour mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d'un développement local durable. ».

2. Voir le site Tiers-Lieux In Seine-Saint-Denis.

Monographie