Les zones d'activités économiques en Île-de-France : rétrospective et perspective

Entretien avec Jean-François Saigault et Hugo Delort

23 juin 2022ContactHugo Delort, Jean-François Saigault

En proposant une offre importante de fonciers et d’immobiliers d’entreprises, en vente ou à la location, les zones d’activités ont contribué à structurer le tissu économique francilien. Dans un contexte marqué par une raréfaction du foncier disponible, de forts enjeux de transition écologique et un parc d’entreprises vieillissant, le modèle d’aménagement économique par les ZAE est aujourd’hui remis en cause.

Les zones d’activités économiques sont des espaces emblématiques pour l’accueil des entreprises. Avec une offre importante pour les entreprises recherchant du foncier économique, elles ont permis de structurer et d’affirmer l’attractivité de l’Île-de-France. Le développement et l’aménagement des ZAE s’est fait progressivement, sur cinq décennies. Actuellement, elles se concentrent autour de cinq grands pôles : un axe qui part du territoire Seine-Aval jusqu’à Cergy-Pontoise, le Grand-Roissy, Marne-la-Vallée, l’axe Massy-Orly-Créteil et le territoire autour de la Francilienne Sud. Partons à la découverte de l’histoire des ZAE franciliennes et de leur devenir avec cet entretien entre Jean-François Saigault et Hugo Delort, respectivement géographe-urbaniste et socio-économiste à L'Institut (voir leur biographie en bas de page).

Hugo Delort : Quand et comment se sont développées les zones d’activités en Île-de-France ?

Jean-François Saigault : On distingue trois périodes clés qui permettent de comprendre comment la géographie économique de l’Île-de-France s’est structurée. Si des zones d’activités économiques se sont développées dans la période d’après-guerre de manière spontanée, c’est véritablement au milieu des années 1960, et tout au long des années 1970, que les zones d’activités planifiées par l’État central émergent. Elles sont de grandes tailles, essentiellement industrielles et localisées dans l’agglomération centrale. Les années 1980 et 1990 peuvent être considérées comme l’apogée des créations des ZAE. Encouragée par les lois de décentralisation, le développement des ZAE, porté par les collectivités locales, s’accroît tout au long de la période. Elles s’installent principalement en périphérie et sont majoritairement des zones de petite taille et sans spécialisation économique. Enfin, à partir des années 2000, la création de nouvelles ZAE ralentit et se concentre à l’Est, sur un axe Roissy-Sénart, en passant par Meaux et Marne-la-Vallée.

H. D. : Le suivi des zones d’activités que vous menez depuis plus de 40 ans montre bien que leur implantation s’est faite massivement en extension et de plus en plus en périphérie. La lutte contre l’artificialisation est aujourd’hui un objectif partagé des politiques publiques. Les lois et documents de planification encouragent la sobriété foncière. Que ce soit le Sdrif de 2013, qui encourage la densification, ou la loi Climat et Résilience de 2021 qui inscrit le « zéro artificialisation nette » (ZAN) comme objectif à atteindre en 2050.  Ceci pose la question du devenir des ZAE dans un futur proche et lointain. Qu’en est-il ? 

J.-F. S. : Le potentiel de création de nouvelles ZAE est en net recul par rapport aux précédents recensements. Les possibilités offertes restent significatives, mais le foncier disponible constitue un volume résiduel. De plus, il pourrait être artificialisé que si plusieurs conditions sont réunies : par exemple, une forte demande d’activité économique dans le territoire concerné, si l’atteinte portée à l’environnement à cause de l’artificialisation est limitée et maîtrisée, etc. De manière générale, l’objectif ZAN, mais aussi l’arrivée à maturité de grands projets urbains, contribuent à réduire la création de zones. 
Récemment, on peut observer principalement deux types de projets de zones d’activités. Tout d’abord, ceux situés autour des grands pôles structurants, comme l’aéroport international de Paris-CDG ou Marne-la-Vallée. Ils accueillent notamment de nouveaux entrepôts logistiques dont la demande d’implantation a fortement augmenté avec le développement de l'e-commerce. Des projets de ZAE se trouvent également en périphérie, voire en limite régionale. Ce desserrement continu pose la question de l’articulation de territoires de grande couronne avec les régions limitrophes de l’Île-de-France. 
Pour accompagner le développement des entreprises et créer des chaînes de valeur performantes, il est désormais nécessaire d’envisager le développement des ZAE dans un contexte élargi, à l’échelle du bassin parisien et selon une logique en faisceaux. Chaque grande agglomération, comme Beauvais, Compiègne, Troyes ou encore Chartres, s’est dotée de ZAE dont certaines sont en mesure de répondre encore au besoin des activités économiques, mais aussi accompagner le développement de filières communes avec l’Île-de-France. C’est le cas de la cosmétique ou le secteur logistique qui est en forte demande d’implantation sur des fonciers de grandes surfaces. Pour certains projets, la concurrence territoriale du bassin parisien peut rendre difficile la commercialisation de zones en cours de développement en Île-de-France, d’où la nécessité de travailler aux complémentarités.

H. D. : Réfléchir aux ZAE de demain, c’est s’interroger sur les projets à venir, comme nous venons de le faire, mais aussi anticiper le devenir du parc existant. Cette problématique est cruciale dans un contexte de transition écologique et de compétition internationale. Avec la rareté foncière que nous avons évoquée, le recyclage du foncier économique est un moyen non négligeable pour que l’Île-de-France conserve son attractivité. Les zones d’activités vieillissantes, donc potentiellement mutables, se situent dans la zone agglomérée, principalement en petite couronne. On en dénombre 140 qui datent d’avant les années 1970, pour une surface totale de 5 000 ha. On peut aussi ajouter certaines zones d’activités plus récentes, datant des années 1980 et 1990. La question de l’obsolescence de ces lieux est primordiale. Ces ZAE peuvent être sujettes à la dégradation de leur immobilier, à des problèmes d’accessibilité, à la dégradation des espaces publics, ou à une inadéquation avec le marché immobilier. La situation dégradée de certaines zones est accentuée par l’absence de gestionnaire ou un manque chronique d’investissement des propriétaires et pouvoirs publics. La requalification de ces espaces permettrait de maintenir la présence de sites stratégiques, d’ancrer des entreprises, y compris celles de services urbains clés, et de limiter la création de projets en extension.

Malgré les avantages qu’elle procure, la restructuration de certaines ZAE est cependant un processus complexe. Tout d’abord, la multitude de propriétaires sur un même site d’activités peut compliquer le renouvellement. Si certains locaux sont vacants, voire en friche, il peut s’avérer difficile de contacter l’occupant et/ou le propriétaire afin de faire muter le site. Par ailleurs, la présence de pollution impose des coûts de remise en état parfois trop importants pour inciter au renouvellement de la zone. Enfin, la pression foncière en zone dense peut conduire à transformer certaines ZAE en quartiers mixtes. Ces projets traduisent alors une volonté politique locale de répondre à la crise de logements et d’améliorer la qualité de vie de leur territoire. Cela contribue à chasser les entreprises « nuisantes » pour les habitants, en matière de bruit ou de circulation par exemple. La disparition de ce foncier économique en zone dense aboutit, dans la grande majorité des cas, à éloigner les zones d’activités, principalement industrielles et logistiques. Ce qui a pour conséquence d’allonger les distances parcourues par les camions et les voitures des salariés et d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Le maintien et le renouvellement des ZAE existantes est donc un enjeu majeur en matière de transition écologique.

J.-F. S. : S’il est vrai que les difficultés sont nombreuses, les collectivités territoriales ne sont pas démunies et disposent de plusieurs leviers d’actions. On peut citer les documents d’urbanisme qui sont un moyen indispensable pour maintenir le foncier économique, voire de sanctuariser certaines zones d’activités économiques. Les SCOT, et surtout les PLU, sont des outils efficaces de régulation. En plus des destinations générales, les intercommunalités et les communes peuvent spécifier quel type d’activités (industrie, bureau, commerce, logistique, etc.) elles souhaitent attirer ou conserver sur leur territoire. D’autre part, les pouvoirs publics peuvent distinguer et identifier certaines zones existantes comme zones prioritaires, en encourageant leur densification et en permettant une extension rationnelle de leur surface. Enfin, les collectivités peuvent mener aussi des politiques d’attractivité. La Région Île-de-France, avec son agence d’attractivité internationale « Choose Paris Region », cherche à répondre aux besoins des grands groupes internationaux, notamment en matière de réindustrialisation, avec une offre de sites clés en main.

H. D. : Avec les enjeux environnementaux et la problématique du renouvellement des ZAE existantes, c’est la question même de l’attractivité de ces zones qui se pose. Une bonne localisation par rapport aux transports en commun et aux axes routiers ne suffit plus. On se rappelle la fameuse Une de Télérama sur la France moche et ses zones périphériques en quête d’identité. La question de la qualité des ZAE est aujourd’hui cruciale pour répondre clairement aux nouvelles attentes, tant celles des habitants que des salariés.
Certaines zones d’activités existantes, ou nouvellement créées, montent déjà en gamme en proposant de nouveaux services mutualisés pour les salariés (crèche, restaurant, salle de sport) et pour les entreprises (gardiennage, mobilité). Néanmoins, ce mouvement reste à amplifier.

Répondre à ces nouveaux besoins nécessite, au sein de chaque ZAE, une gouvernance partagée et la mobilisation de l’ensemble des acteurs : occupants de la zone, collectivités locales et opérateurs. Cette ambition doit s’appuyer sur la mise en place d’un réseau, plus ou moins structuré, qui permettrait de suivre les attentes des usagers, de mieux gérer la zone d’activités et d’anticiper son évolution. 

J.-F. S. : Dans cet objectif de montée en gamme des zones d’activités, on peut citer plusieurs modèles de nouvelle génération. Par exemple, la ZAE de demain est plus dense, que ce soit en proche couronne, mais aussi en grande couronne. Ce principe doit permettre de freiner toute surconsommation foncière. L’autorisation de bâtiments R+2 serait déjà un signe de victoire en grande couronne. 
Un autre modèle d'évolution s'inspire des parcs d’activités d’entreprises (PAE) développés par des promoteurs constructeurs, sous couvert d’investisseurs. L’organisation de PAE du type « Cradle to Cradle* » pourrait être encouragée. Il s’agirait de zones d’activités de nouvelle génération, recyclables à l’infini. Dans les faits, les bâtiments des parcs « Cradle to Cradle » sont conçus de manière à pouvoir être démontés après utilisation. Les matériaux conservent alors leur valeur et peuvent être utilisés à nouveau. Cette démarche s’inscrit parfaitement dans l’économie et l’aménagement circulaire.

Jean-François Saigault

Géographe-urbaniste, Jean-François a développé une expertise dans le domaine de l’immobilier d’entreprise. En tant que chargé d’études au département Économie de L’Institut Paris Region, il a analysé durant plus de trois décennies les zones d’activités économiques, leur création, leur commercialisation et leur localisation. Ce suivi des ZAE a permis d’enrichir les travaux préalables à l’élaboration des schémas d’urbanisme régionaux. Dans ses travaux récents, il a participé à des études sur l’implantation des data centers en Île-de-France. 

Hugo Delort

Socio-économiste, chargé d’études au sein du département Économie, Hugo a intégré L’Institut Paris Region en 2020. Par sa formation, il a développé une analyse sur la gouvernance territoriale et sur les politiques publiques locales. Il s'intéresse aux problématiques concernant l’aménagement économique et ses défis. Il mène des études sur le renouvellement du foncier économique, plus précisément sur l’obsolescence et la restructuration des ZAE et sur la mutation des friches ayant accueilli de l’activité économique.

* Du berceau au berceau : une production industrielle qui intègre, à tous les niveaux, de la conception, de la production et de la réutilisation du produit, une exigence écologique dont le principe est zéro pollution et 100 % réutilisé. En simplifiant, un produit fabriqué doit pouvoir, une fois recyclé, produire à nouveau le même produit, seul un ajout d'énergie renouvelable intervient dans le cycle.

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