La Région s'engage contre le gaspillage dans les lycées

Interview

16 janvier 2017Nathalie Nabli, Romain Potel

Romain Potel, professeur de mathématiques, pilote de la démarche.

Sollicité par la Région en 2011-2012, le lycée Jacques-Feyder (1 530 élèves) a saisi l’occasion pour mettre en place des actions structurelles et de sensibilisation, accompagné par l’association francilienne «De notre assiette à notre planète ». La réorganisation du service cantine, notamment en vue de réduire le gaspillage, a permis de faire baisser le prix du repas d’un euro pour les quelque 600 élèves qui déjeunent à la cantine.

Quelles ont été les actions de sensibilisation ?

R. P. Des ateliers cuisine ont été organisés avec les élèves afin de développer l’éducation au goût. Pour que les légumes soient plus facilement acceptés par les jeunes, des « apéro légumes » sont proposés avec des accompagnements différents pour varier les saveurs. On a également mené des opérations « pain perdu » et « soupe aux légumes » avec les restes de la journée lors de la remise des bulletins du 1er trimestre aux parents : lorsqu’il fait bien froid, c’est super !!! C’était offert, mais une petite pièce n’était pas de refus pour financer des projets. Les lycéens ont également exprimé le désir de manger ce qu’ils aimaient, ce qui s’est traduit par des repas thématiques initiés par les élèves élus 5 à 6 fois par an, dans le respect de l’équilibre nutritionnel validé par le chef cuisinier et le chef comptable. Ces actions de sensibilisation devraient être renouvelées chaque année pour les nouveaux élèves.

Quelles sont les actions structurelles ?

R. P.  Tout d’abord, nous avons décidé d’alléger la quantité dans les assiettes (2 cm de diamètre en moins). Le lycée étant en sureffectif, tout le monde était en « mode automatique », et les assiettes copieusement remplies. Les élèves avaient trop à manger mais ne le signalaient pas aux agents. Le gaspillage de riz, pâtes et légumes fut réduit de manière significative. Puis, nous avons essayé d’anticiper le nombre de repas par l’inscription à l’avance, les repas au forfait au début de chaque trimestre pour ajuster les quantités. Côté condiments, les dosettes ont été remplacées par une salière et un poivrier artisanaux avec le logo du lycée, sur mesure en bois, et surtout impossible à dévisser… Les sauces ne sont plus en sachet mais en récipient en plastique avec des becs verseurs.

D’autres actions sont-elles prévues dans l’avenir ?

R. P.  Un vrai travail est à mener autour de la nourriture, des rapports à la nourriture et à l’hygiène alimentaire qui s’inscrit dans le plan national de l’alimentation. Les programmes pédagogiques l’abordent… Mais je ne suis pas convaincu du résultat. Tant que l’on ne fait pas d’ateliers cuisine, que l’on ne fait pas passer les élèves derrière le fourneau, ça ne marchera pas ! Je fais une nouvelle préconisation, il faut faire comme à l’ancienne, les mains dans les ingrédients pour apprendre vraiment à respecter la nourriture et conscientiser le gâchis. Un sondage, réalisé il y a 3 ans auprès de 600 élèves, a montré que 400 d’entre eux ne petit-déjeunaient pas la majorité du temps, renforçant le grignotage à la cafétéria et le manque d’appétit à midi. Seuls des aliments sains et des fruits devraient être proposés pour favoriser les bonnes habitudes. C’est avec le pain et la cafétéria que l’on peut encore structurellement gagner du terrain.

Comment sont-elles perçues ?

R. P.  Côté réduction des plateaux, les élèves l’ont finalement bien pris car ils ont la possibilité d’avoir du rab, d’en reprendre, même s’ils ont un peu râlés au départ comme certains profs d’ailleurs mais pas plus que ça. Les agents ont comme orientation de ne redonner que si l’assiette est terminée. En cuisine, les agents travaillent en flux tendus, et n’hésitent pas à se rajouter des contraintes pour ne pas jeter. Quand ils ont vu lors du premier diagnostic qu’il y avait 30 kilos de pâtes qui partaient à la poubelle, et que l’on aurait pu servir 60 repas, nourrir 60 personnes, ils ont pris la mesure du problème.

Que deviennent les restes alimentaires ?

R. P.  Nos restes de déchets alimentaires finissent en compost. Ils sont mis dans des sceaux, qui sont notre unité de mesure globale pour vérifier l’évolution du gaspillage. C’est un petit indicateur efficace qu’il faut régulièrement contrôler : quand on arrive à 12, 13 sceaux à la poubelle, c’est qu’il y a un souci.

Nathalie Nabli, professeure de SVT, coordinatrice de la démarche.

Engagé dans la démarche régionale « éco-responsable » depuis 2013, le lycée Blaise-Pascal d’Orsay (1 300 élèves dont 1 000 demi-pensionnaires)  est devenu exemplaire, tant pour ses actions en lien avec son environnement et des producteurs locaux (agriculteur, apiculteur…) que pour sa manière  de les valoriser, notamment via la réalisation de petits films.

Comment est né le projet ?

N. N. Un diagnostic, réalisé sur 15 jours, a mis en exergue l’énorme quantité de gaspillage. Aidé par l’association partenaire de la Région, les déchets organiques ont été pesés de manière séparée (viande, poissons, pommes de terre, pâtes, pain). On a partagé nos idées en comité de pilotage puis mené des actions collectives, les élèves réfléchissant en même temps que les agents et que les profs. Les éco-délégués, volontaires des classes de seconde, première, terminale et prépa, en partenariat avec le personnel, continuent à réfléchir à de nouvelles actions 1 à 2 heures par semaine.

Quelles ont été vos actions phares ?

N. N. On a disposé le pain à la fin de la chaîne, de manière à ce que les élèves puissent savoir ce qu’ils vont manger avant de se servir. Le pain est tranché et non plus donné en parts, trop grosses pour certains qui en jetaient la moitié. Notre pain est en grande majorité bio grâce à un agriculteur du plateau de Saclay. On a acheté un déshydrateur qui permet d’avoir du substrat extrêmement riche… récupéré par l’agriculteur, qui l’enrichit avec du fumier de cheval d’une ferme voisine, et l’utilise comme fertilisant pour ses champs de céréales. Côté légumes, des élèves se plaignaient d’un manque de goût, ce qui nous a poussés à mettre un libre-service de sauces en fin de chaîne, à côté du pain. Deux  Salad’Bar ont remplacé les traditionnelles entrées : l’élève compose ainsi librement son assiette en fonction de ses envies et de sa faim. La Région nous a versé une subvention pour deux tables de tri avec une pesée intégrée permettant à l’élève d’évaluer ce qu’il jette.
En 2013, on gaspillait entre 8 et 12 kilos/jour de pain, aujourd’hui nous sommes entre 1 et 2 kilos que l’on donne à l’association  Moino 91. La petite table de rab marche très bien aussi.

Tous les élèves du lycée sont-ils informés de la démarche ?

N. N. Les éco-délégués ont créé un site internet, une adresse Facebook, un blog sur toutes les actions menées au lycée. Tout le monde communique sans problème… Ils passent dans toutes les classes dès qu’une action est mise en place pour informer et discuter, et les différents films réalisés sont diffusés dans une salle au RDC. Tout le monde trie les déchets, connaît leur devenir et participe au projet. On travaille sur tous les thèmes et les récompenses sont très encourageantes : 1er lycée de l’académie de Versailles à recevoir le label E3D (niveau 3), 1er prix de l’éducation citoyenne remis par le préfet de l’Essonne, médaille de la ville d’Orsay remis par le maire, 1er prix national et international de « Jeunes reporters sur l’environnement » (circuit court du pain), 2e prix du concours des urbiculteurs remis par Ségolène Royal. L’implication dans la démarche « éco-responsable » a vraiment favorisé le rayonnement du lycée. Dans tous les lycées, on devrait faire cela.

Quel regard portent les agents ?

N. N. Ils participent aux actions. Si nous n’avions pas leur soutien, on aurait énormément de mal à les mettre en place. Ils sont tous impliqués. Ils assistent aux réunions avec les élèves et les profs dans une très bonne ambiance. Lorsqu’ils servent, ils expliquent le fonctionnement, favorisant la communication adultes et élèves.

Travaillez-vous sur d’autres projets ?

N. N. En ce moment, on creuse une mare, on défriche, on a des ruches (première récolte en septembre 2016), un potager, une serre dans laquelle on a fait des semis car on est une banque de semences pour l’association Kokopelli et pour les pays en voie de développement. La mare va favoriser la biodiversité au niveau du lycée au même titre que la présence de ruches et du potager.

Propos recueillis par Sophie Mariotte

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Environnement urbain et rural | Agriculture et alimentation | Développement durable