« Un milliard d'euros pour préparer l'avenir du Min de Rungis »

Interview

01 février 2017Francis Lefèvre

Francis Lefèvre est secrétaire général de la Semmaris, société d’aménagement et de gestion du marché international de Rungis.

Le marché de Rungis joue un rôle majeur dans l’approvisionnement de l’Île-de-France en produits frais. Comment fonctionne ce marché et en quoi se démarque-t-il de la grande distribution ?

F.L. Le Min de Rungis a ouvert ses portes en 1969. Quelques chiffres montrent l’importance de ce grand marché de gros alimentaire dont on dit qu’il est le premier au monde : un million de m² de locaux développés sur 234 ha, près de 9 milliards de chiffres d’affaires, 2,7 millions de tonnes de produits alimentaires commercialisés par an, 25 000 véhicules qui le fréquentent tous les jours. Comment le Min est-il arrivé à se maintenir face à la progression de la grande distribution ? La réponse est simple, les cibles et les logiques ne sont pas les mêmes. Le Min approvisionne essentiellement les petits commerces, les marchés forains et les restaurateurs. Le marché rassemble 1 200 entreprises, pour la plupart des grossistes qui font le lien entre leurs clients, commerçants ou restaurateurs, et des fournisseurs. C’est la demande qui commande, imposant une recherche constante de diversité, de variété et de qualité. Le grossiste va chercher le produit répondant à la demande de son client, lui-même soumis à la pression des consommateurs dont les goûts évoluent sans cesse. De cette confrontation entre offre et demande naît un prix d’équilibre propre à chaque produit. Cette organisation permet le maintien de petits producteurs situés sur des niches très étroites.

La grande distribution fonctionne sur un modèle économique radicalement différent. Dans ce schéma, ce sont les volumes vendus et la réduction des coûts qui génèrent la rentabilité. Le nombre de références par produit est réduit, chaque référence est distribuée en masse à des prix forcés à la baisse pour les producteurs et les fournisseurs, qui doivent se conformer à des cahiers des charges. Tout cela se fait au détriment de la diversité mais aussi de la qualité. Pour diversifier son offre, la grande distribution a toutefois recours au Min pour des produits de qualité, utilisés en produits d’appel.

Quels sont les enjeux pour l’avenir et comment la Semmaris accompagne-t-elle ces évolutions ?

F.L. Pour bien comprendre les enjeux qui sont à l'œuvre, il faut rappeler qu'il existe deux fonctions bien distinctes sur le Min. La fonction de carreau qui est la fonction traditionnelle des marchés de gros dans laquelle il y a une mise en relation physique entre l’offre et la demande. Le client se déplace lui-même ou délègue la commande ou la livraison. C’est elle qui est le garant de la diversité des produits. La seconde est la fonction entrepôt avec logistique dans laquelle les échanges se font de manière virtuelle par téléphone ou par internet. Au fil des ans, celle-ci a eu tendance à se développer au point de représenter aujourd’hui la moitié de l’activité en volume. C’est à la Semmaris dans son rôle de gestionnaire immobilier qu’il incombe de préserver la fonction essentielle de carreau. Pour assurer son avenir, le marché doit en permanence se moderniser, innover et se positionner sur les marchés du futur. D'ici à 2025, un milliard d'euros sera investi, moitié par les grossistes, moitié par la Semmaris. Ces investissements serviront à rénover ou développer de nouveaux bâtiments, comme le pavillon de la gastronomie, ouvert en 2013, très apprécié des grands chefs, ou bien la halle du bio inaugurée il y a quelques mois sur une surface de 5 000 m². L’amortissement des investissements a nécessité un prolongement de la concession de la Semmaris jusqu’en 2049. La Semmaris souhaiterait également une extension du marché sur une vingtaine d’hectares pour répondre à des besoins nouveaux. Enfin, elle insuffle une politique en direction du développement durable, que ce soit dans le domaine du transport, en amont ou en aval, par l'incitation à l'utilisation de véhicules propres, l’équipement du marché de bornes électriques et de gaz, l’aménagement de plateformes-relais dans Paris, le recyclage des déchets ou l’utilisation de l’électricité à basse tension.

Quelle est la place des productions régionales vendues à Rungis ?

F.L. Les limites administratives n’ont pas beaucoup de sens quand on parle de productions et de consommations agricoles. Néanmoins, depuis 2004, le carreau des producteurs accueille des fruits et légumes d’Île-de-France. Les quantités vendues peuvent apparaître marginales (16 000 tonnes par an) au regard des volumes qui transitent sur le marché, mais elles montrent la volonté d’ancrage territorial du marché, le soutien à une politique locavore et l’intérêt d’une présence de produits ultrafrais dont près de 40 % approvisionnent les restaurants de Londres.

Propos recueillis par Carole Delaporte et Laure de Biasi

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