Vers une dynamique de préservation et de modernisation des espaces agricoles

Interview

02 janvier 2017Pierre Missioux

Pierre Missioux est directeur général délégué de la Safer Île-de-France

La Safer1 Île-de-France est un opérateur foncier assurant une mission de service public d’aménagement du territoire rural et périurbain. Elle a pour objectifs de dynamiser l’agriculture et la forêt, d’observer le marché foncier, d’accompagner les collectivités et de contribuer à la protection de l’environnement. Son directeur général nous décrit son rôle essentiel pour le territoire francilien qui concentre les pressions

La préservation des terres agricoles est devenue un enjeu de société, comment agir ? Quelles sont les actions mises en place en Île-de-France ?

Depuis une quinzaine d’années, la protection des terres agricoles est une préoccupation forte des acteurs publics. Progressivement, les lois relatives à l’agriculture ou à l’urbanisme ont prévu des dispositifs visant à limiter la consommation foncière. En Île-de-France, région française la plus urbanisée, la volonté de préserver les espaces agricoles est aujourd’hui partagée par un grand nombre d’élus locaux et répond à une attente forte des Franciliens.

À l’échelle régionale, cette préservation passe avant tout par le schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif) qui définit la vocation des différents territoires et cherche à quantifier les possibilités d’urbanisation. Le Sdrif en vigueur, approuvé en 2013, est plutôt « économe » de terres agricoles. On estime la consommation foncière annuelle à un peu plus d’un millier d’hectares. Localement, les périmètres de protection instaurés par la loi2 sont peu utilisés : l’Île-de-France ne compte qu’un périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PPEANP) situé sur la communauté d’agglomération de Marne-et-Gondoire (77) et deux zones agricoles protégées (Zap), à Vernouillet (78) et Forges (77). Le rôle protecteur des quatre parcs naturels régionaux (Haute Vallée de Chevreuse, Vexin Français, Gâtinais Français, Oise-Pays de France) est à mentionner ainsi que l’action positive des commissions départementales de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Bien qu’elles ne rendent généralement qu’un simple avis, ces commissions, instituées par la loi de modernisation agricole de 2010, contribuent à modérer les extensions urbaines lors de la modification ou de la révision des documents d’urbanisme locaux.

Mais en dehors de la consommation foncière, la menace qui pèse sur les espaces agricoles reste leur fragmentation qui réduit leur fonctionnalité. Il devient difficile de maintenir les services d’amont et d’aval dont les exploitations ont besoin sur des territoires agricoles trop réduits, ce qui entraîne progressivement leur disparition.

 

Dans ce contexte périurbain de fortes pressions foncières, quel rôle joue la Safer pour maintenir une agriculture vivante et dynamique ?

La Safer Île-de-France cherche à la fois à protéger les espaces agricoles, et à favoriser le maintien et l’installation d’agriculteurs. À la demande de l’État et de la région, elle a instauré, au début des années 2000, un dispositif de lutte contre le mitage des espaces agricoles et naturels par le biais de conventions de surveillance et d’intervention foncières avec les collectivités locales. Plus de 600 communes sont ainsi informées, en temps réel, de tous les projets de mutations foncières sur leur territoire. À leur demande, la Safer peut ensuite préempter pour éviter l’artificialisation des biens vendus. Près de 200 dossiers de préemption sont instruits par an en Île-de-France. L’objectif est aussi de maîtriser le prix des terres malgré la pression foncière.

En dehors de ces conventions, la Safer intervient principalement à l’amiable sur le marché foncier agricole. Ce dernier est traditionnellement peu actif, avec 5 000 ha en moyenne vendus chaque année. De plus, près des trois quarts de la superficie vendue correspondent à des ventes de terres occupées puisque le fermage domine largement la région, réduisant de fait largement le marché des terres libres. La Safer parvient néanmoins à acquérir bon an mal an un millier d’hectares chaque année.

Signalons également, depuis une trentaine d’années, le développement d’un partenariat étroit avec l’Agence des espaces verts de la région Île-de-France (AEV) tant dans le domaine de la lutte anti- mitage que dans celui de l’installation ou du maintien d’agriculteurs dans les zones où le foncier agricole est le plus menacé. En acquérant du foncier qu’elle met à disposition des agriculteurs par bail rural, l’AEV garantit à ces derniers leur maintien à long terme sur les terres qu’ils exploitent et dont ils n’ont pas à supporter le coût d’acquisition. Sur les 14 000 ha qu’elle possède et/ou gère, 2 300 ha sont à usage agricole, loués à une centaine d’agriculteurs, grâce aux efforts conjugués de la Safer et de l’AEV.

 

La Safer peut-elle favoriser une agriculture durable, et en lien avec les attentes alimentaires des Franciliens ?

Lors des attributions foncières, la Safer cherche à privilégier l’installation de jeunes agriculteurs, la dernière loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 lui demandant de donner priorité à l’agriculture biologique, là où les sols sont déjà affectés à ce type de production.

Ces dernières années, plusieurs attributions ont contribué au développement d’une agriculture de proximité, privilégiant la vente directe du producteur aux consommateurs. Les exemples sont nombreux : création de boulangerie, de points de vente à la ferme, installation de maraîchers…

Toutefois, des freins demeurent comme le financement du capital d’exploitation qui reste élevé pour certains candidats dont l’autofinancement est souvent insuffisant, et la difficulté de construire des bâtiments agricoles, y compris en zones agricoles des Plu.

 

La Safer accompagne en particulier la création de pôles maraîchers, pourquoi et comment ?

Ces pôles s’inscrivent dans l’histoire agricole francilienne avec la création de lotissements maraichers et horticoles à Périgny et Mandres les Roses (94) dès les années 1970. Aujourd’hui, la réflexion sur la création de nouveaux pôles vient du constat que c’est surtout l’attrait du maraîchage qui pousse les candidats à s’installer en zone périurbaine. Ces installations constituent une sorte d’archipel d’exploitations isolées qui ne favorise pas la mise en commun de moyens entre elles. C’est la raison pour laquelle la Safer avec les responsables professionnels agricoles ont proposé la création de lotissements d’agriculture biologique où le regroupement des exploitants permet d’envisager une plus grande coopération entre eux, comme le partage d’un réseau d’irrigation. Des projets sont en cours de réalisation, par exemple sur l’ancienne base aérienne de Brétigny-sur-Orge (91) sur 80 ha ou bien encore à Ris-Orangis (91) où une quinzaine d’hectares sont concernés.

 

Au-delà de l’intervention foncière, en quoi la Safer soutient-elle l’agriculture francilienne et les territoires ruraux ?

Depuis une dizaine d’années, la Safer développe une activité de bureau d’études et de concours techniques aux collectivités locales.

À ce titre, elle participe au plan Bio État-Région dont elle anime le groupe foncier avec l’association Terre de Liens. Ce groupe a pour mission de mieux croiser les demandes d’installation et les opportunités foncières. De même, elle coanime avec le Groupement d’agriculteurs biologiques (GAB) l’observatoire dynamique du foncier bio lancé par la direction régionale et interdépartementale de l’Agriculture et de la Forêt (inventaire parcellaire affecté à l’agriculture biologique).

La Safer intervient aussi dans le cadre de deux territoires LEADER (programmes européens) dont elle assure l’animation et dans les programmes agriurbains de la région Île-de-France.

Enfin, elle a réalisé plusieurs analyses fonctionnelles des espaces ouverts3/typo3/, en collaboration avec d’autres bureaux d’études. Outil d’analyse dynamique du territoire, l’analyse fonctionnelle porte sur les espaces agricoles, forestiers et naturels et permet de concilier la préservation de ces espaces avec le développement urbain.

L’accompagnement d’une agriculture de proximité nécessite une connaissance fine des territoires et une coordination des interventions publiques.

Propos recueillis par Laure de Biasi

1 Société d'aménagement foncier et d'établissement rural créée en 1960.

2 Les PPEANP ont été instaurés par la loi sur le développement des territoires ruraux (2005), les ZAP par la loi d'orientation agricole (1999).

3 Méthode coélaborée par L'Institut Paris Region et la Driaaf, au service des collectivités. En Île-de-France, une dizaine d'analyses ont d'ores et déjà été réalisées.

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