Trois grands enseignements
#1 L’amélioration des observations scientifiques des milieux naturels et anthropisés
L’hybridation croissante des observations et des données, qui sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus souvent multi-sources et multi-capteurs (in situ et spatiales) contribue à des avancées scientifiques. Y contribuent aussi les performances croissantes des données satellitaires. On peut, par exemple, citer l’investigation de nouveaux domaines comme l’observation des gaz à effet de serre – dioxyde de carbone et méthane, de la biomasse ou de l’hydrologie depuis l’espace. D’après Valérie Masson-Delmotte (directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe n° 1 du GIEC), ces avancées ont été particulièrement évidentes entre le cinquième et le sixième rapport du GIEC (2018 et 2022). Les scientifiques ont, par exemple, acquis une capacité à mieux comprendre les interactions entre climat et biodiversité ou à boucler le bilan de l’énergie terre/mer. En parallèle, les capacités de modélisation progressent.
Mais le colloque a aussi pointé des manques sur des sujets ou des méthodologies d’importance. Y a-t-il, comme l’affirment certains scientifiques, un risque de perte d’efficacité des puits naturels de carbone ? Sur cette question essentielle, il n’y a pas de consensus scientifique et les avis restent partagés. Comment renforcer l’interdisciplinarité qui reste notoirement insuffisante entre les sciences du climat, les sciences du vivant et les sciences humaines et sociales (SHS) ? Expérimentée via certains dispositifs comme les Zones Ateliers, l’interdisciplinarité reste insuffisamment pratiquée alors qu’elle produit des avancées notables.
#2 La nécessité de mieux répondre à la demande sociétale
S’il n’y a ni recette, ni réponse simple à cette question complexe, plusieurs pistes ont été identifiées. En matière d’observation des milieux naturels et anthropisés, la priorité est d’abord d’ouvrir les observations aux porteurs d’enjeux (élus, hauts fonctionnaires, collectivités, opérateurs, entreprises, startup, associations, etc.). C’est ensuite de mieux prendre en compte leurs interpellations et attentes, de les impliquer dans la construction d’informations climatiques, d’appuyer cette construction sur leurs besoins et connaissances, par exemple lorsqu’il s’agit de mettre en place des systèmes d’alertes précoces face aux risques et aléas ou de développer des services climatiques adaptés. Notons au passage que la recherche participative permet une implication forte des citoyens.
Cette question de la demande sociale et des usages larges des données scientifiques a été au cœur d’une table ronde du colloque intitulée « De l’observation à la création de valeur dans la société ». Elle a réuni Philippe BOLO, député, membre de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), Thierry COURTINE, chef de service recherche et innovation au ministère de la transition écologique, Laurent MILLAIR, responsable chez Origins.Earth, startup développée par Suez pour accélérer les stratégies de transition bas carbone auprès des collectivités, David MONCOULON, directeur R&D et modélisation à la Caisse Centrale de Réassurance , et Stéphane STROFFEK, chef du service études, méthodes et prospective à l’agence de l’eau Rhône, Méditerranée, Corse.
Plusieurs intervenants du colloque ont aussi souligné l’apport de dispositifs d’observation originaux, hybrides et interdisciplinaires des milieux naturels et anthropisés mis en place par le CNRS depuis plusieurs décennies, en complément des dispositifs classiques. Menés en synergie avec des programmes de recherche internationaux et des infrastructures de recherche européennes, ils intègrent de plus en plus fréquemment l’action des porteurs d’enjeux. C’est le cas des Zones ateliers qui, autour d’une unité fonctionnelle comme la Seine, construisent une recherche intégrée inscrite dans le temps long, dans l’objectif de répondre à des questions d’écologie mais aussi aux enjeux sociétaux. Cela permet de coconstruire des questionnements entre scientifiques et acteurs du territoire et de faciliter le transfert de résultats vers les gestionnaires et la société. Pour illustrer, la zone atelier Seine, dont L’Institut Paris Region est partenaire, s’interroge sur la manière dont le Bassin parisien, sa géologie, son climat, sa végétation et ses activités agricoles, domestiques et industrielles, fabriquent à la fois le milieu aquatique et la qualité de l’eau des rivières et des nappes.
#3 L’étude de sujets à enjeux
S’appuyer sur les résultats des recherches les plus récentes et sur les besoins sociétaux est un des moyens pour identifier des sujets porteurs d’enjeux. Le sixième rapport du GIEC a, par exemple, réévalué l’importance du méthane et de l’ozone dans les processus d’évolution du climat, pointant ainsi la nécessité de renforcer leur suivi. Autre exemple de priorité : la poursuite du réchauffement va intensifier la variabilité du cycle de l’eau avec une accentuation des événements de saisons très humides et très sèches. Le défi est donc d’intégrer les modes de variabilité du climat et de disposer de séries plus longues d’observation. C’est aussi, par exemple, d’observer plus finement l’impact des incendies de forêt sur les modes d’intervention et de gestion. « Il est critique de maintenir les processus d’observation pour discerner le déclenchement d’éventuels changements abrupts et irréversibles » (Valérie Masson-Delmotte). Les intervenants ont aussi pointé la nécessité de disposer de données sur le caractère systémique des actions d’adaptation au changement climatique et les actions les plus « transformatrices », les pollutions diffuses, les événements extrêmes, la territorialisation fine des observations, etc. Ces besoins sont confrontés au manque de données en régions de forte vulnérabilité, voire au déclin des réseaux d’observation – y compris de base – dans certaines régions du monde. Il serait notamment crucial de renforcer les réseaux d’observation des littoraux.