Mix and the City

Exposition de Giovanni Hänninen

24 mars 2015

« Mix and the City, Projets urbains à Milan, Hambourg et Copenhague » est une exposition photographique de Giovanni Hänninen. Elle présente les travaux de recherche suscitée et financée par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA).

Elle a été inaugurée le 24 mars 2014 à L'Institut Paris Region lors du colloque « Mix and the City. Mixité fonctionnelle versus du zoning. Nouvelles lectures d’une controverse urbaine » organisé par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, le PUCA, l'École polytechnique de Milan et le Département d'architecture et d'études urbaines de Milan (Dastu).

Introduction aux photographies de Giovanni Hänninen par François Ménard

Bicocca, HafenCity et Islands Brygge : trois quartiers marqués par l’industrie dans des villes européennes. Trois opérations d’urbanisme récentes, étudiées par des chercheurs réunis par le Politecnico de Milan. Trois espaces sous l’objectif d’un photographe. Un motif : « la mixité fonctionnelle ».

Et, s’agissant de mixité fonctionnelle, les photos de Giovanni Hänninen peuvent surprendre. Nulle part on n’y voit l’entremêlement ni même le côtoiement d’une activité en train de se faire – travail de bureau, commerce, activité industrielle – et d’un espace clairement dédié au logement. A l’exception de certaines, c’est l’inoccupation de l’espace plus que sa sur-occupation qui s’impose au premier regard. Parfois, à l’arrière plan, une grue ou un dock rappellent une activité industrielle révolue. Serait-cela, la mixité fonctionnelle, une simple trace ? On est pris d’un doute : y-aurait-il malentendu ?

Mais ces photos imprègnent l’œil d’une impression qui persiste, qui intrigue. On acquiert la conviction qu’elles disent quelque chose de la ville que l’on peine à discerner, qu’elles éclairent la question de la mixité fonctionnelle mais de façon indirecte et énigmatique.

On les observe alors à nouveau mais sans tenter de trouver ce qu’on y cherchait au départ, une illustration, une évocation… Se contenter de ce qu’elles montrent avant de s’attaquer à ce qu’elles disent.

Tout d’abord l’orthogonalité, la minéralité et une certaine austérité dans les formes, adoucies par une palette faite de gris perle, d’ocre rouge délavé, de blanc mat et de vert retenu. Et, souvent présent, le miroitement de l’eau. Pas de courbes aux velléités organiques, de superposition ou de surimposition qui témoigneraient d’un début de sédimentation urbaine ou une succession d’usages.

Des bâtiments : de bureau et d’habitation. De bureau ou d’habitation. Des équipements ? Parfois on hésite. On cherche des indices qui pourraient nous éclairer. On en trouve mais le doute persiste. On est trop loin. Et qu’importe. Car au-delà des bâtiments, c’est la destination du quartier qui paraît indécise. Comme si à l’indistinction de bâtiments pourtant dissemblables, tantôt uniformes tantôt composites, répondaient des espaces publics de même nature. Ne serait-ce précisément pas cela, l’indice : les fonctions ne se donnent plus à voir de façon évidente et ce, sans que l’on puisse en imputer la cause à un bâti standardisé ou des espaces extérieurs réduits, annexés au bâti.

C’est là un autre aspect de ces quartiers qui surgit derrière l’objectif du photographe. La présence du ciel, bleu ou gris, rendue possible par de vastes espaces dégagés, « ouverts » quoique circonscrits.

Là aussi, ne pas chercher les marques d’une urbanité à travers ses signes éprouvés. Ces espaces sont vastes au risque d’être vides. Mais ils ne le sont pas tous ou pas toujours. Photographiés de jour, ils semblent se prêter à une large variété d’usages ou du moins de formes d’occupation.

Pourtant, quelques arbres parfois, une pelouse rase, pas ou peu de bancs, des commerces rares ou invisibles… rien a priori d’engageant. En revanche, des modénatures urbaines qui permettent l’appui ou l’assise. Pas l’espace hospitalier du jardin clos, non, pas l’urbanisme défensif non plus ni cette primauté du flux sur le fixe qui dissuade la présence.

Le ciel, le béton ou la pelouse, parfois l’eau. Juste de quoi faire, sur les pavés, la plage !

Milan, Hambourg, Copenhague, trois villes du Nord chacune à leur manière, ne témoigneraient-elles pas d’une nouvelle forme d’héliotropisme septentrional saisissant les citadins qu’ils soient habitants ou employés, riverains ou extérieurs, résidents ou touristes...

Qu’un rayon de soleil arrive, que le ciel s’éclaircisse et le quartier voit ses espaces extérieurs subvertis par des « flux d’occupation », trahissant une nouvelle économie de l’espace public dans laquelle ils viendraient se substituer ou se surajouter à l’occupation de l’espace par les flux et leurs infrastructures...

On pourrait dresser ici la liste des présences et des absences dont on ne sait si elles relèvent de l’œil du photographe, de choix d’équipements ou d’une sociabilité nouvelle dans ses formes d’inscription spatiale. Des enfants, des cyclistes, des piétons, des « circulations douces », mais point de jardins partagés, d’ateliers, de vendeurs à la sauvette, ou de véhicules personnels ou de livraison. La liste serait trop longue et l’élucidation impossible.

Une dernière chose : cette diversité/indistinction des usages traverse les échelles, des plus larges jusqu’aux plus réduites, y compris celle du logement ou même de la pièce (le salon bureau, la cuisine bibliothèque…).

C’est alors moins de mixité de fonctions que de « moirure » dont il s’agirait : des espaces dont le tissu change de couleur selon l’angle de vue qu’on adopte, dont le sens premier se modifie selon l’attention qu’on y porte ou l’investissement qu’on y fait.

Par-delà le programme spécifique que traduisent chacune des opérations étudiées, c’est donc, de façon très contemporaine, la condition urbaine de la mixité fonctionnelle qui se trouverait ainsi portée à notre regard par le regard du photographe.
N’est-ce pas là, dans cette affaire de regard mais un regard qui perdure à son instant photographique, que réside ce que pouvait apporter de plus précieux la photographie à la recherche urbaine ?

 

François Ménard
Responsable du programme de recherche « Mixité fonctionnelle vs zoning : de nouveaux enjeux ? » au PUCA.