Baisse de la fiscalité locale des entreprises : quelles conséquences en Île-de-France ?

Chronique de la fiscalité locale n° 5   Sommaire

14 janvier 2021ContactValentin Sauques

La suppression de la taxe d’habitation et les dispositions de la dernière loi de finances font de 2021 une année charnière pour les finances des collectivités locales. À travers une série de chroniques, L’Institut Paris Region souhaite décrypter certaines des dispositions prévues cette année et identifier leurs conséquences pour les établissements publics franciliens.
La baisse des impôts dits « de production » annoncée l’été dernier par le gouvernement dans le cadre du plan de relance est l’occasion, pour ce premier volet, de revenir sur la part, parfois méconnue, de la fiscalité d’origine « économique » dans la fiscalité locale francilienne. Des garde-fous sont prévus pour que les collectivités ne soient pas pénalisées par les dispositions de soutien à l’économie, mais certaines, notamment dans les territoires périphériques encore industrialisés de l’Île-de-France, pourraient tout de même être perdantes.

La loi de finances 2021 prévoit une réduction massive des impôts dits « de production ». Cette baisse de la fiscalité s’applique à des taxes locales que le gouvernement juge pénalisantes pour la compétitivité des entreprises car trop décorrélées de leurs performances économiques réelles. Les dispositions votées portent essentiellement sur trois points : 

  • la baisse de 50 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) s’appliquant aux entreprises, correspondant à la suppression de la part versée à la région et son remplacement par l’attribution d’une fraction supplémentaire de TVA (article 8 de la LF2021). Son coût est estimé à 7,25 milliards d'euros par an par le gouvernement ;
  • la division par deux de l’assiette de taxation pour les locaux industriels qui intervient dans le calcul de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la taxe foncière sur les propriétés bâties (article 29). Le coût pour l’État de la compensation de ces pertes fiscales pour les collectivités et leurs regroupements s’élèverait à plus de 3 milliards d'euros par an ;
  • le plafonnement de la contribution économique territoriale, qui comprend la CVAE et la CFE. Pour chaque entreprise, l’addition des deux composantes de la CET ne devait pas dépasser 3 % de la valeur ajoutée. En cas de dépassement, un dégrèvement était initié par les services fiscaux sur la CFE payée par l’entreprise. Avec la suppression de la part régionale de CVAE, le gouvernement a ramené cette proportion à 2 % afin qu’une partie de l’économie potentielle faite sur le non-paiement de la CVAE ne soit pas au final annihilée par une augmentation de la CFE qui serait reversée aux EPCI ou EPT.  

En plus de ces mesures phares, le législateur a dû adapter toute une série de dispositions complexes afin de prendre en compte la compensation de la réduction d’assiette des industries dans différentes taxes locales assises en partie sur le foncier : GEMAPI, TASA, TSE, contributions fiscalisées revenant à certains syndicats mixtes.

Quand une taxe nationale sur la consommation se substitue à un impôt local

En 2019, le conseil régional d’Île-de-France a perçu une recette brute de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) s’élevant à un peu plus de 3 milliards d’euros (source : compte administratif du conseil régional), soit environ un tiers de la CVAE nationale. Une part substantielle de cette recette (environ les deux tiers) est toutefois reversée à travers différents mécanismes de péréquation et de compensation, issus de réformes passées. Le montant perçu en 2020, non connu à ce stade par L’Institut, devait être supérieur, dans la mesure où son niveau dépendait de la situation économique observée un an plus tôt. Au regard de la récession économique engendrée par la crise sanitaire actuelle, la compensation à l’euro près de cette CVAE par une fraction de TVA devrait préserver pour 2021 cette ressource qui se serait fortement réduite. 

Vers une fossilisation d’une partie des bases foncières ?

La deuxième mesure visée par le gouvernement est la diminution de moitié des valeurs locatives cadastrales s’appliquant aux locaux industriels. Il en résulte une perte directe de fiscalité pour les communes et EPCI concernés levant la taxe foncière. Cette baisse est intégralement compensée par l’État et ne présente pas, à court terme, de risque de baisse de recettes. Les compensations devraient également intégrer les actualisations des valeurs locatives initiées chaque année.
La part des locaux soumis à cette exonération peut sembler faible : elle représente en effet à peine plus de 4 % du total des bases franciliennes soumises à la taxe foncière (part communale selon des calculs de L’Institut d’après des données Cerema et DGFIP, 2018). Cette faible proportion masque toutefois des écarts importants (cf. carte ci-dessous).

Disposant d’une économie davantage tertiarisée, les communes de la zone centrale sont  logiquement moins impactées par cette mesure. En grande couronne, 135 communes, regroupant près de 700 000 habitants, présentent une part de base foncière d’origine industrielle supérieure à 15 % du total de leur assiette. Cette proportion dépasse les 50 % pour des communes rurales qui accueillent sur leur territoire une installation industrielle pesant dans leur base foncière. 
Ces collectivités se voient donc plus fortement impactées par cette réforme : toute augmentation de taux qui pourra être votée par la suite par ces communes se traduira par une augmentation du produit de taxe foncière inférieure (en %). Si l’État a bien prévu de compenser les évolutions annuelles des bases « évaporées » sur les industries, il n’a en revanche pas souhaité intégrer dans le calcul de reversement les évolutions ultérieures de taux qui pourraient être observées sur ces communes. 
À titre d’exemple, si une commune, dont l’assiette foncière est composée avant la réforme de 30 % de locaux industriels, vote une augmentation des taux de 10 %, l’augmentation attendue du produit sur cette commune ne pourra être que de 8,5 %.

L’Institut estime que le produit cumulé des taxes foncières2 pour l’ensemble des locaux industriels représentait 360 M€ en 2018, soit potentiellement 180 M€ de perte de fiscalité qui serait compensée par l’État. Ce chiffre doit être pris comme un ordre de grandeur dans la mesure où le rattachement  de la part départementale de la taxe foncière consécutive à la suppression de la TH rend encore plus complexe l’évaluation de cette réforme sur 2021.

La révision des bases des locaux industriels devrait également impacter les intercommunalités qui lèvent la cotisation foncière des entreprises. Quantifier la part des bases foncières franciliennes qui seraient « fossilisées » dans le cas d'une hausse des taux de CFE est peu aisée en raison de la multitude de facteurs intervenant dans la détermination de cette cotisation : existence de seuil d’assujettissement, possibilités d’exonération de CFE à l’initiative de l’État ou des EPCI, ou encore, mécanismes de dégrèvement liés au plafonnement de la CET. Quand une entreprise atteint le plafond de CET de 2 %, le dégrèvement s’opère en effet sur la CFE et non sur la CVAE. Quelque 75 % des entreprises bénéficiant de ces dégrèvements seraient des industries (source : ministère de l’Économie).

Afin d’identifier quels pourraient être les territoires impactés, il a toutefois paru intéressant de mesurer combien pèsent, sur chacun des EPCI et EPT franciliens, ces locaux industriels parmi les bases foncières professionnelles (les seules soumises potentiellement à la CFE).

À l’échelle de l’Île-de-France, 11 % des valeurs locatives d’origine professionnelle proviennent de locaux industriels. Cette moyenne est fortement pondérée par Paris et les EPT composant la MGP (moyenne : 7 %). Pour les EPCI de grande couronne, les industries pèsent en effet deux fois plus (22 % des bases foncières). 
Parmi les intercommunalités les plus fortement industrialisées, et donc potentiellement les plus impactées par le gel d’une partie des bases, figurent la CU Grand Paris Seine et Oise, l’agglomération Roissy Pays de France, et la CC du Pays de Montereau. D’autres communautés de communes plus rurales ont plus de 50 % de leurs bases professionnelles composées d’industries : Plaine et Monts de France, Juine et Renarde, Moret Seine et Loing, Portes d’Île-de-France, Pays de l’Ourcq et Brie Nangissienne. Ces derniers EPCI disposent d’activités fortement capitalistiques pesant dans les bases foncières locales : installations de gestion des déchets, production et distribution d’eau et/ou d’énergie, métallurgie...

Comme indiqué, les compensations de l’État devraient limiter à court terme les impacts de ces mesures pour les communes et intercommunalités. Les craintes portent davantage sur les baisses attendues de recettes de CVAE consécutives à la crise économique actuelle. Ces évolutions structurelles poursuivent toutefois le mouvement engagé depuis plusieurs années par les différents gouvernements pour restreindre l’autonomie fiscale des collectivités et accroître leur dépendance aux dotations d’État. À moyen et long terme, elles pourraient également créer une asymétrie dans la dynamique des ressources fiscales entre :

  • les intercommunalités de petite couronne peu industrialisées et avec une forte composante tertiaire qui pourraient bénéficier, sans trop d’érosion, des éventuelles hausses de taux votées ;
  • les intercommunalités bénéficiant d’activités industrielles et ne pouvant jouer sur les taux pour accroître leurs ressources.

Quels effets sur l’économie francilienne ?

Dans un contexte économique exsangue, toute diminution de fiscalité s’appliquant aux entreprises ne peut, à court terme, qu’être bénéfique pour leur trésorerie. 
Il est néanmoins intéressant d’identifier les principaux bénéficiaires de ces mesures et les secteurs d’activité concernés. Pour la CVAE, le mode de calcul de cette cotisation fait que sa division par deux devrait bénéficier, a priori, aux plus grandes entreprises :

  • celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 € ne la paient pas ;
  • les taux d’imposition qui s’appliquent pour les établissements assujettis progressent en fonction du niveau de chiffre d’affaires. Les entreprises soumises au taux maximum se verront donc être mathématiquement avantagées dans la mesure où le seuil de la tranche de chiffres d’affaires soumise au taux maximum sera divisé par deux. 

Pour ce qui concerne les locaux industriels, le fichier foncier francilien apporte quelques éclairages imparfaits sur le nombre d’établissements et les secteurs d’activités concernés. Un peu moins de 15 000 locaux seraient concernés en Île-de-France par cette mesure. Une analyse partielle par secteur montre que les activités bénéficiant le plus de cette mesure seraient : le secteur des transports (y compris aérien), la production et distribution d’énergie, les services urbains essentiels (activités de la collecte et traitement des déchets, production et distribution d’eau), le commerce de gros, la fabrication et réparation d’équipements, l’industrie chimique et pharmaceutique… Autant d’activités dont l’exposition à la concurrence internationale est pour le moins très diverse.

Le rôle de ces baisses d’impôts sur l’amélioration, à moyen et long terme, de la compétitivité de l’industrie interroge : les décisions d’investissement des entreprises françaises et étrangères sont-elles prises en fonction de considérations fiscales ou, au contraire, d’un écosystème favorable (qualité des services publics, personnel formé…) ? Autre interrogation : cette mesure pérenne, à 10 milliards d'eures par an, s’intègre dans le cadre d’un plan de relance qui se veut conjoncturel. Dès lors, quelle compensation de ces pertes fiscales à l’issue de ce plan pour l’ensemble des administrations publiques ? 

Notre prochaine chronique abordera le rôle de plus en plus prépondérant de l’État dans la fixation des recettes des collectivités et ses implications en terme d’autonomie des collectivités.

 

1 : Ces taxes sont constituées à partir de taux additionnels à différentes taxes locales déjà instituées (taxe d’habitation, CFE, taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties).
2 : Taxes foncières (communes, départements, EPCI), GEMAPI (part sur le foncier bâti), TSE (part sur le foncier bâti), TASA (part sur le foncier bâti).

Fiscalité locale des entreprises : une mécanique complexe

Les entreprises contribuent significativement au financement des services publics locaux à travers la fiscalité locale. Certains impôts ciblent ainsi directement les entreprises, notamment : 

  • la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui forment, à elles deux, la contribution économique territoriale (CET). La première est assise sur le foncier bâti et la seconde est déterminée en fonction du chiffre d’affaires (CA) et de la valeur ajoutée. Cette dernière correspond schématiquement à la différence entre le CA et les consommations intermédiaires (achats auprès de fournisseurs) ; 
  • la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) payée par les commerces de plus de 400 m2
  • l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) versée par les entreprises du secteur de l’énergie, du transport ferroviaire et des télécommunications.

D’autres portent sur une assiette plus large que les seules entreprises, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties. L’assiette de cette taxe est la valeur locative cadastrale attribuée à chacun des différents locaux par l’administration fiscale. Souvent considérée comme une taxe « ménages », la taxe foncière est en fait mixte : elle concerne les locaux d’habitation, les locaux commerciaux et industriels ainsi que l’ensemble des dépendances associées. En Île-de-France, 38 % des bases foncières proviennent de locaux commerciaux et industriels. D’autres taxes y sont assises en partie : taxe additionnelle spéciale annuelle1 (TASA), taxe sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations1 (GEMAPI), taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), taxe spéciale d’équipement  (TSE), contribution fiscalisée1 levée par certains syndicats mixtes...

Enfin, les entreprises peuvent être redevables d’autres taxes – non évoquées ici –  qui s’appliquent en fonction  des types de locaux utilisés (taxe sur les bureaux, taxe sur les surfaces de stationnement), des projets d’aménagement ou d’acquisition des entreprises (taxe d’aménagement, droit de mutation à titre onéreux).

La perception de ces différentes impositions par les différents établissements est complexe : elle dépend de la nature des taxes levées, de la situation spécifique s’appliquant sur la Métropole du Grand Paris, du régime fiscal des établissements publics de coopération intercommunale (fiscalité additionnelle (FA) ou fiscalité professionnelle unique (FPU)), des compétences exercées, des choix des intercommunalités d’instituer ou non certaines taxes...

Une représentation « simplifiée » des principales impositions s’appliquant aux entreprises est proposée dans l’infographie ci-dessous.

Dans une région concentrant plus de 31 % du PIB national, le poids des impôts locaux émanant des entreprises est prépondérant : on estime que plus de 50 % (11 milliards d’euros) de la fiscalité locale directe levée par les collectivités et leurs regroupements en Île-de-France émanent de ces agents économiques. Cette proportion diffère toutefois selon le type d’établissement public. Avec la perception de la taxe d’habitation et, dans une moindre mesure, de la taxe foncière, les communes bénéficiaient, jusqu’à 2020, de ressources fiscales émanant principalement des ménages (78 % des impôts locaux levés). Peu d’EPCI franciliens ont en effet opté pour le régime de la fiscalité additionnelle impliquant un « partage » de l’impôt économique entre communes et intercommunalités sur un même territoire.

La situation était en revanche beaucoup plus contrastée pour ce qui concernait les EPCI de grande couronne, la Métropole du Grand Paris et les établissements publics territoriaux (EPT) qui la constituent. S’ils percevaient tous la contribution économique territoriale (avec un partage de la CFE et de la CVAE entre EPT et MGP), les EPCI de grande couronne levaient par ailleurs, dans leur grande majorité, une taxe d’habitation qui pesait significativement dans leurs recettes fiscales (26 % en 2018). La suppression de la TH cette année va modifier substantiellement la donne pour le bloc communal : renforcement de la composante « foncière » avec le rattachement de sa part départementale, attribution d’une fraction de TVA en substitution à la TH intercommunale... Autant de mouvements de fond  qui seront abordés lors d’une prochaine chronique.

Pour ce qui concerne le conseil régional et les départements, les proportions élevées de fiscalité directe d’origine économique sont à relativiser car ces collectivités bénéficient davantage de taxes dites indirectes : (droit de mutation à titre onéreux, taxe sur les cartes grises) ou de fraction de taxes nationales (TVA, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques).

Abréviations de la fiscalité

  • CET : contribution économique territoriale (composée de la CFE et de la CVAE)
  • CFE : cotisation foncière des entreprises
  • CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
  • GEMAPI : taxe sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations
  • IFER : imposition forfaitaire des entreprises de réseaux
  • TASA : taxe additionnelle spéciale annuelle
  • TASCOM : taxe sur les surfaces commerciales
  • TEOM : taxe d’enlèvement des ordures ménagères
  • TH : taxe d'habitation
  • TSE : taxe spéciale d’équipement

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