Collectivités franciliennes : des finances sous tension, un investissement qui résiste

Chronique de la fiscalité locale n° 18   Sommaire

25 septembre 2025ContactValentin Sauques

Les comptes 2024 des collectivités et de leurs groupements ont été publiés, cet été 2025, par la Direction générale des finances publiques et l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale (OFGL). Leur analyse à l’échelle des structures franciliennes confirme une dégradation de leur situation financière. Ce constat se rencontre-t-il pour toutes les strates territoriales ? La situation dans la région diffère-t-elle de la tendance nationale ?

Cette nouvelle chronique s’inscrit dans la mission d’observation et d’analyse des finances locales franciliennes menée par L’Institut Paris Region. Ce travail repose sur une lecture globale des comptes locaux franciliens, déclinés par échelon territorial.

Un maintien de l’investissement malgré une dégradation sensible de l’épargne

En 2024, les dépenses de fonctionnement des collectivités franciliennes et de leurs groupements s’élevaient à 39,4 milliards d’euros, en hausse de 4,1 % par rapport à 2023 (+1,56 milliard d’euros). Cette progression est portée pour 40 % par les dépenses de personnel (+630 M€) : elle s’inscrit dans un contexte de hausse du point d’indice de la fonction publique début 2024 et de l’internalisation sur une année pleine d’une précédente revalorisation à la mi-2023. Avec une hausse de 4,7 %, les achats de biens et services progressent également fortement (+375 M€ d'euros). Enfin, même si leur poids pèse encore peu dans les dépenses, les charges financières ont progressé sur toutes les strates territoriales (+75 M€ d’euros, soit +11 %) en raison d’un recours accru à l’endettement, ces dernières années.

Une fragilisation de la situation financière des départements

Les Départements franciliens font face à une situation financière particulièrement défavorable, marquée par une érosion de leurs deux principales recettes :

  • la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) stagne dans un contexte macroéconomique d’atonie de la consommation ;
  • les produits perçus au titre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) poursuivent leur chute pour atteindre un niveau inférieur de 37 % par rapport au point haut de 2022 (contre -31 % sur le reste du territoire).

Cette tension sur les ressources s’accompagne par ailleurs d’une croissance de leurs dépenses d’intervention, notamment sur leur principale compétence : l’action sociale. L’Institut estime en effet que les dépenses de fonctionnement allouées sur cette prérogative ont progressé de 8 % depuis 2022. Des rationalisations importantes semblent avoir été opérées : réduction inédite des achats et prestations de services, stabilité des dépenses d’équipement portées par les Départements, baisse notable des subventions d’investissement versées aux communes, groupements et acteurs privés (-120 M€).

Dans ce contexte, les Départements franciliens ont massivement accru leur endettement (+780 M€). Les indicateurs traditionnellement utilisés en finances locales pour mesurer la situation financière des collectivités montrent bien cette dégradation. Ainsi, sur cinq des sept départements franciliens (hors Paris), le taux d’épargne (rapport entre l’épargne brute et les recettes de fonctionnement) se situe à un niveau inférieur ou égal à 7 %, le seuil d’alerte défini par la Cour des comptes. Tous présentent une capacité de désendettement (rapport entre la dette et l’épargne brute) supérieure à la médiane nationale de six ans (cf. graphique). Enfin, sur la période 2019-2024, l’encours de dette a augmenté de 20 % (contre 2 % sur le reste du territoire).
Les départements les plus touchés par cette érosion des recettes (Yvelines, Hauts-de-Seine) présentent toutefois des niveaux d’endettement inférieurs ou proches de la médiane nationale.

Région : maintien d’une dynamique d’investissement malgré une érosion des ressources

Au même titre que les Départements, la Région subit l’absence de dynamique sur sa principale recette de fonctionnement : la TVA. La légère progression des ressources provient pour l’essentiel d’une modification d’assiette de la taxe sur les cartes grises avec la suppression de l’exonération sur certains véhicules « propres » (hybrides). Les dépenses de fonctionnement ont, quant à elles, légèrement baissé malgré l’effet « hausse du point d’indice » sur la masse régionale (+4 % par rapport à 2023), portées par une contraction des dépenses d’intervention (-60 M€).

Dans ce contexte, la Région voit son épargne brute progresser de plus de 100 millions d’euros, atteignant un point haut depuis 2019 (1,1 milliard d’euros). En matière d’investissement, les dépenses ont fortement progressé par rapport à 2023 (+191 M€), notamment sur les politiques ayant trait à l’enseignement (+11 %, sources : calculs IPR d’après balances de la DGFIP) et les transports (+9 %). Ces hausses s’observent davantage sur les subventions versées (+170 M€) que sur des dépenses d’équipement portées sous la maîtrise d’ouvrage directe de la Région (+30 M€). Un recours accru à l’emprunt est également observé (progression de l’encours de dette de 435 M€). Sur la période 2019-2024, la croissance de la dette est toutefois inférieure de 10 points par rapport à celle observée sur les autres régions métropolitaines (+28 % contre +38 %). Sa capacité de désendettement (nombre théorique d’années nécessaires pour rembourser le capital emprunté par l’épargne), est sensiblement stable depuis 2021 (autour de six ans).

Bloc communal : des situations contrastées

L’analyse des communes et des intercommunalités met en évidence des tendances contrastées, qu’il s’agisse des dynamiques de ressources, de dépenses ou encore d’endettement.

Les communes hors Paris

Au niveau des recettes, tout d’abord, le bloc communal dispose de ressources locales encore dynamiques (taxes assises sur le foncier, cotisation foncière des entreprises) sur lesquelles les structures disposent d’un pouvoir de taux. En 2024, près de 230 communes avaient ainsi augmenté celui de la taxe foncière sur les propriétés bâties, leur principale recette de fonctionnement. L’échelon communal (hors Paris) est le seul dont les recettes de fonctionnement ont progressé plus rapidement que leurs dépenses (3,7 % contre 3,3 %). Cette croissance provient également d’une hausse inédite de leurs recettes tarifaires dont le produit total a progressé de plus de 10 % entre 2023 et 2024. Cette progression semble provenir d’une contribution accrue des usagers aux activités périscolaires, culturelles et sportives et, dans une moindre mesure, à une hausse des recettes ayant trait au stationnement (ex : forfait post stationnement).

Les intercommunalités

Les intercommunalités ont également vu leurs recettes croître à un rythme important (+5 %), corollaire d’une croissance de la TVA (+175 M€ par rapport à 2023), dont les modalités de versement aux EPCI diffèrent des Départements et de la Région, et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (+74 M€). Au même titre que les communes, les EPCI voient leurs recettes tarifaires augmenter (+61 M€). Une part de ces recettes provient d’une internalisation des redevances perçues au titre de l’eau et de l’assainissement, dans un contexte de recours accru à la régie pour la gestion de ces services publics.

La Ville de Paris

L’évolution des recettes à Paris diffère en revanche sensiblement des autres structures du bloc local. Bien que la Ville enregistre une explosion de sa taxe de séjour (270 M€ soit +136 M€ par rapport à 2023), notamment grâce à l’accueil des Jeux olympiques, elle connaît en revanche une situation proche de celle des Départements, marquée par une chute des DMTO (-163 M€) et une stagnation de la TVA. Cette inertie des ressources de fonctionnement se conjugue, pour Paris, avec une hausse plus importante des dépenses (+7,8 %), entraînant une chute drastique de l’épargne (-497 M€ par rapport à 2023).

Une croissance de l’investissement portée par les intercommunalités et la Ville de Paris

En matière d’investissement, l’année 2024 voit une nette croissance des dépenses d’investissement pour les communes hors Paris (+9 %), corollaire d’une montée en régime des projets d’investissement traditionnellement observée lors de la seconde moitié des mandats municipaux.

Sur la période 2019-2024, cette croissance est toutefois inférieure de sept points par rapport au reste du territoire. Bien que globale (cf. graphiques ci-contre), cette tendance s’observe plus particulièrement pour les communes de moins de 1 000 habitants. La Ville de Paris se distingue par une progression de l’investissement (hors emprunt) de 19 % sur cette même période.

Sur ces dernières années, l’investissement public local est davantage porté par les intercommunalités, et plus particulièrement les structures de la zone agglomérées (communautés d’agglomération, établissements publics territoriaux, métropole, communauté urbaine).

Les dépenses d’investissement des communautés de communes ont en effet fortement reculé en 2024, pour atteindre leur niveau de 2019 (soit une chute drastique en tenant compte de l’inflation).

Quelles perspectives à court terme pour les collectivités franciliennes ?

Les perspectives de reconstitution d’une épargne pour les collectivités semblent incertaines pour 2025. Du point de vue des ressources, les Départements peuvent s’attendre à une progression des DMTO, avec la reprise fragile du marché de l’immobilier. Le bloc communal dispose de la croissance des bases foncières (+1,7 % en 2025) dans un contexte où le levier du taux devrait être moins sollicité qu’en 2024 : le nombre de communes ayant augmenté en 2025 le taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties est deux fois plus faible qu’en 2024. Certaines dispositions de la loi de finances 2025 devraient toutefois contribuer à limiter la croissance de leurs ressources :

  • mise en place d’un dispositif de prélèvement sur les ressources fiscales de collectivités et groupements (DILICO, cf. chronique précédente) pour un impact sur l’Île-de-France évalué à 333 M€ toutes strates confondues, soit un tiers de l’effort demandé au niveau national ;
  • gel de la TVA perçue par la Ville de Paris, les intercommunalités, les Départements et la Région ;
  • réduction des aides à l’investissement (ex : Fonds vert).

Cette « contrainte sur la ressource » ne devrait pas enrayer l’investissement local en cette année pré-électorale, si l’on se fie aux tendances budgétaires relevées récemment par l’Observatoire des investissements du bloc local piloté par la Banque des Territoires. Reste à savoir si ces intentions d’investissement se traduiront dans les faits, dans un contexte politique marqué par de fortes incertitudes. ■

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