Incertitudes sur le partage de la fiscalité locale dans la Métropole du Grand Paris

Chronique de la fiscalité locale n° 7   Sommaire

04 mars 2021ContactValentin Sauques

Le partage de la fiscalité économique entre la Métropole du Grand Paris (MGP) et les établissements publics territoriaux (EPT) a fait l’objet d’intenses discussions lors du projet de Loi de Finances 2021. Ces débats parlementaires ont mis en exergue la situation encore incertaine dans laquelle se trouvent aujourd’hui les intercommunalités franciliennes de la zone centrale en matière de finances locales. Qu’est-ce que les dynamiques actuelles des ressources nous disent des perspectives de réforme à venir ?

La fiscalité économique (c’est-à-dire celle perçue auprès des entreprises) est une composante majeure du panier fiscal des intercommunalités franciliennes. L’ensemble des quatre taxes1 qui se sont substituées à l’ancienne taxe professionnelle représentent plus de 80 % des recettes fiscales des intercommunalités franciliennes. Lorsque l’on s’intéresse à la zone centrale de l’Île-de-France, leur poids est encore plus notable du fait de l’absence de capacité légale de la MGP et des EPT à lever la taxe d’habitation (remplacée par une fraction de TVA à partir de cette année pour les EPCI à fiscalité propre) ou la taxe foncière. Si l’on met de côté certaines taxes annexes (GEMAPI, taxe additionnelle sur le foncier non bâti, taxe d’enlèvement des ordures ménagères), la totalité des ressources fiscales de la métropole et des établissements publics territoriaux proviennent des impôts économiques et pèsent quelque 2,5 milliards d’euros en 2019, dont 97 % sont issus de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE ; cf. graphique ci-dessous). 

Le partage de la fiscalité économique dans l’espace métropolitain

Le partage des recettes de la fiscalité économique et de sa dynamique  entre les différents établissements publics apparait donc primordial pour permettre à ces derniers de dégager les marges de manœuvres nécessaires à la mise en œuvre de leurs politiques. Entre 2016 et 2019, le produit de la CFE et de la CVAE ont progressé d’environ 190 millions d’euros (+71 M€ pour la CFE et +118 M€ pour la CVAE). 

À l’issue des arbitrages opérés par la loi NOTRe (2015), qui était venue détricoter le modèle, très intégré, de métropole du Grand Paris promu par la loi MAPTAM (2014), une répartition temporaire avait été définie : la CFE revenait jusqu’en 2020 aux établissements publics territoriaux et la ville de Paris tandis que l’IFER, la TASCOM et la CVAE (hors part départementale de Paris), étaient affectées au budget de la MGP. Après une période de montée en puissance de la Métropole, 2021 devait être l’année de l’achèvement du mécano financier au sein de la MGP avec la perception par cette dernière de l’ensemble de la contribution économique territoriale (CFE et CVAE).

Le législateur avait prévu initialement que la perte de CFE par les territoires soit compensée via le fonds de compensation des charges territoriales à hauteur du montant 2020 de la CFE. Avec ce transfert, les EPT se rapprocheraient encore davantage du statut de « syndicat de communes » (dont ils dépendent au sens du code général des collectivités territoriales) plutôt que d’EPCI de droit commun avec pouvoir de lever l’impôt local.  Cette architecture financière s’inscrivait dans une volonté du pouvoir exécutif de l’époque de progressivement intégrer et financer à l’échelle métropolitaine de nouvelles compétences. 
Les compétences de la MGP ont toutefois peu évolué depuis sa création, tout du moins pas dans des proportions justifiant une remise en cause des équilibres financiers et de la répartition des ressources. D’autant que les EPT ont, quant à eux, pu être amenés à continuer, voire élargir, leurs compétences tout en en supportant les coûts. 

Un compromis au devenir incertain

Les discussions parlementaires engagées dans le cadre du projet de loi de Finances 2021 ont donc été l’occasion de questionner le schéma prévu initialement dans un contexte fortement bouleversé par les conséquences économiques de la crise de la Covid. Pour la Métropole du Grand Paris, la perspective de percevoir la CFE aurait en effet constitué une réponse partielle à une baisse très probable de la CVAE, estimée à 35 M€ dans le débat d’orientation budgétaire 2021 de la MGP (source : Journal du Grand Paris). Cette dernière est en effet réputée plus sensible aux variations de conjoncture économique. Dans un contexte où 98 % des recettes de la métropole sont reversées aux communes sous la forme d’attributions de compensation, une baisse de la CVAE sans récupération de la dynamique foncière aurait fragilisé encore davantage les perspectives budgétaires 2021. 
 

NB : l’évolution du PIB présentée sur ce graphique a été décalée d’un an pour prendre en compte le décalage entre le paiement de CVAE par les entreprises et sa perception par les EPCI
Bien que son taux soit fixé au niveau national, la CVAE est un impôt territorialisé. Le montant de CVAE perçu par un EPCI est donc dépendant des secteurs d’activité qui y sont présents. Il est donc très probable que les territoires concentrant les secteurs les plus impactés par la crise2 (aéronautique, automobile, hôtellerie) voient leurs recettes fiscales chuter considérablement ces deux prochaines années.

Incertitude sur les recettes de CVAE pour le bloc communal pour ces deux prochaines années

Les montants de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) payés par chaque entreprise et les recettes qui en sont issues pour les intercommunalités n’ont pas la même temporalité. En 2021, les recettes fiscales revenant aux intercommunalités proviennent des versements effectués par les entreprises en 2020. Or, ces derniers intégraient des régularisations sur le solde de CVAE qu’elles devaient définitivement s’acquitter sur l’exercice 2019. En 2020, les recettes de CVAE ont donc progressé en France, car elles n’internalisaient pas les conséquences de la crise économique. La mission Cazeneuve chargée d’évaluer l’impact de la crise de la Covid sur les recettes des collectivités évaluait ainsi que la CVAE devrait progresser d’environ 3,9 % en 2020. 
Si une baisse de CVAE sur 2021 est déjà attendue pour les intercommunalités (de l’ordre de 2,2 % selon des projections effectuées par Bercy fin 2020), le risque est grand que 2022 soit l’année d’une chute encore plus drastique, car les montants que les entreprises s’acquitteront cette année intègreront la régularisation de CVAE de 2020 qui a connu une chute brutale de l’activité (-8 % environ).

Au même titre que ce qui est arrivé fin 2019 avec la crainte de perte de la dotation d’intercommunalité pour les EPT (voir chronique), un compromis a été trouvé avec le maintien de la perception de la CFE par les EPT et la ville de Paris pendant deux ans, ainsi que le versement des deux tiers de sa dynamique – si elle est positive – à la MGP via un abondement exceptionnel de la dotation d’équilibre en 2021.
Cette mesure transitoire ne règle toutefois pas l’équation budgétaire à laquelle les intercommunalités de la zone centrale sont confrontées. Les territoires conservent, certes, le pouvoir de détermination de la CFE, mais au prix d’une dynamique fortement érodée.

Bien que considérée comme davantage garantie que la CVAE, la dynamique de CFE est tout de même incertaine. L’assiette de cette contribution a beau ne pas porter sur des indicateurs d’activité tels que le chiffre d’affaires ou la valeur ajoutée, des doutes subsistent quant à son dynamisme à court terme. Une analyse rétrospective de la dynamique de CFE dans le temps et l’espace apporte quelques éclairages.
L’évolution de la CFE est principalement liée à deux facteurs : la variation des taux et celle des bases foncières des entreprises soumises à cette cotisation. Sur 2016-2019, les deux tiers de la dynamique observée à l’échelle métropolitaine (+2,1 % par an en moyenne) provenaient de l’évolution des bases. Cette dynamique a toutefois fortement été érodée par le fait que des mesures d’exonération appliquées sur des entreprises réalisant moins de 5 000€ de chiffre d’affaires (article 1647D du code général des impôts) ont fait sortir plus de 100 000 établissements (hors Paris) du champ d’assujettissement de cette taxe.
Les bases ont essentiellement progressé dans les territoires des Hauts-de-Seine (GPSO, Vallée Sud et Paris Ouest la Défense) et le Nord de la Seine-Saint-Denis. À l’inverse, elles ont baissé sur Grand Orly Seine Bièvre et Grand Paris Sud Est Avenir.  

  • À court et moyen terme, plusieurs facteurs devront donc être étudiés pour mesurer la dynamique des contributions perçues par les intercommunalités franciliennes au titre de la CFE : l’évolution des valeurs locatives sur les locaux commerciaux : au même titre que ce qui se passe sur les locaux d’habitation (actualisation des valeurs locatives inférieure à 1 %), l’atonie du marché sur la location de locaux commerciaux ne devrait pas aboutir à une variation notable des bases foncières comme ce fut le cas en 2017 ou 2018 (hausse supérieure à 2,5 %) ;
  • le nombre d’entreprises en situation de défaillance économique. Les dernières statistiques de la Banque de France montrent un recul du nombre de défaillances d’entreprises en 2020 par rapport à 2019. Cette situation paradoxale, et probablement temporaire, est à mettre en perspective avec les soutiens massifs et transitoires accordés par l’État aux entreprises ; 
  • ou, à l’inverse la création, ex nihilo, de locaux commerciaux ou industriels nouvellement soumis à la CFE.

Au-delà de ces incertitudes de court terme sur l’évolution des bases, demeure le devenir des taux. L’année 2021 marque en effet le début de leur période d’encadrement qui vise à une convergence des taux de CFE des territoires et de la ville de Paris vers un taux métropolitain unique.

Bien que le législateur a prévu une longue période (17 ans après la création des EPT, soit 2033) pour unifier ce taux, les transferts de fiscalité au sein de la Métropole pourraient être notables avec une augmentation de la pression sur les territoires où les taux sont actuellement bas (Paris, Paris Ouest la Défense, Grand Paris Seine Ouest) et, à l’inverse, des diminutions de plus de 30 % sur les territoires à taux élevés (Est Ensemble, Terres d’Envol, Plaine Commune, Grand Paris Sud Est Avenir). Le mécanisme de convergence des taux suscite toutefois des incertitudes : il n’aura en effet de sens que si les ressources de CFE font l’objet d’une mutualisation à l’échelle métropolitaine, faute de quoi, les EPT présentant les taux les plus élevés aujourd’hui verraient leurs ressources diminuer demain.

Vers de nouvelles discussions dans le prochain PLF 2022...

En l’état actuel des dispositions prévues dans le code général des collectivités territoriales, la CFE continuera d’être levée à l’échelle des EPT et de la ville de Paris en 2022 mais, à ce stade, sans disposition spécifique prévue de reversement partiel à la MGP. Dans la mesure où les perspectives d’amélioration des marges de manœuvre budgétaires liées à un rebond de la CVAE sont encore illusoires pour la Métropole, comment ne pas imaginer une saison supplémentaire aux feuilletons des relations financières Territoires-Métropole dans la prochaine loi de Finances 2022 ? En attendant sûrement des évolutions plus structurantes lors de la législature suivante...

Valentin Sauques

1. Cotisation foncière des entreprises, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, taxes sur les surfaces commerciales et imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau.
2. Voir étude L'Institut sur les effets de la crise sanitaire sur l'économie francilienne.
 

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