Ville vivable, ville marchable

Chronique de la marche et de l'espace public n° 2   Sommaire

27 janvier 2022Teodora Nikolova, Frédérique Prédali, Gaëtane Carette

Au tournant des années 2000, différentes villes du monde, dont Paris, notent un retour de la marche en ville1. Aujourd’hui, renforcé par les préoccupations liées à la crise sanitaire, ce sujet revient dans les débats d’aménagement urbain, tant en France que sur la scène internationale. Cette chronique interroge les ingrédients idéaux du cadre de vie urbain nécessaires au développement de la marche.


Face à la progression alarmante de maladies liées à la sédentarité aux États-Unis d’Amérique, un lien de cause à effet a rapidement été établi avec les formes urbaines des villes américaines marquées par le « tout-automobile ». Pour contrer les effets de l’étalement urbain, des villes tentent de revitaliser leur centre en allouant certaines rues aux piétons (premier mall2  à Kalamazoo au Michigan, puis à Fresno en Californie). Dès les années 1960, les urbanistes américains engagent une réflexion sur les facteurs qui inciteraient à la pratique de la marche et ceux qui la freinent3. Après avoir observé les espaces publics des villes européennes, ils en déduisent qu’une ville « marchable » disposerait de plusieurs éléments favorables à cette pratique tels que la trame urbaine, la présence de commerces ou d’autres points d’intérêt paysagers ou patrimoniaux, mais aussi d’éléments de confort tels que des fontaines, des bancs, des espaces ombragés…

Les qualités fondamentales d’une ville marchable

Résumées sous le vocable de « marchabilité »4, ces qualités représentent le potentiel piétonnier d’un territoire, c’est-à-dire, sa capacité à susciter les déplacements à pied. 

La connectivité et la perméabilité des voies sont les premiers déterminants de la marchabilité d’un territoire urbain. Une trame viaire dense permet aux piétons de limiter les détours et leur offre plusieurs itinéraires. Les rues permettant des trajets directs, sûrs et agréables sont plus attractives et fréquentées par les piétons. 

La compacité d’une zone urbaine (îlots urbains d’une longueur optimale comprise entre 60 et 120m), ainsi que des rues quadrillées à intervalle régulier, assurent une meilleure porosité du tissu bâti et favorisent ainsi les déplacements en modes actifs. 

Les citadins marchent davantage lorsque les rues et les aménagements destinés aux piétons relient les principales destinations de la ville et combinent plusieurs destinations à la fois (gares, commerces de proximité, bâtiments administratifs, équipements scolaires et sportifs par exemple). 

L’incitation à la marche dépend fortement de la densité d’habitations et de la mixité de l’occupation des sols. La coprésence de services et d’équipements permet à la fois de répondre aux différents besoins du marcheur tels que s’arrêter, boire et manger et lui offre des points d’intérêt et de repère dans l’espace. Aussi, la localisation des transports en commun à proximité du lieu d’habitation ou du travail est un incitatif à la marche. Les personnes utilisant les transports collectifs pour se rendre au travail marchent (lors des rabattements, correspondances et diffusions) finalement autant que ceux qui s’y rendent à pied !

L’incitation à la marche passe, en plus, par une implantation judicieuse du bâtiment sur son site et une bonne insertion dans l’environnement. Il est important de travailler les interfaces entre le bâtiment et la rue, entre le site et le quartier, pour s’assurer qu’elles soient favorables aux piétons. De ce point de vue, l’animation commerciale a un rôle primordial.

La présence de végétation, d’espaces verts et de rives de fleuve favorise la marche puisqu’elle contribue à l’amélioration de l’ambiance urbaine de l’espace et le rend donc plus attractif. Par exemple, les rues plantées ou végétales donnant la priorité aux mobilités actives et notamment aux piétons, permettent d’installer la nature en ville et donc de participer à son rafraichissement tout en luttant contre la pollution atmosphérique. De même, la discontinuité dans l’utilisation du sol permet l’intrusion de la nature dans la ville et la création d’espaces verts. 

Les aspects perceptuels tels que la sécurité et l’esthétique sont des facteurs importants pour encourager ou contraindre la marche.
La pollution, le bruit et la violence routière sont des sources de stress environnemental sur lesquelles le piéton n’a pas ou peu de contrôle si ce n’est par le choix de ses itinéraires. 

Le baromètre national sur la marche lancé en 20215 a permis aux répondants de l’enquête de s’exprimer sur les facteurs d’incitation et les obstacles à la marche.

L’espace public, clé de voûte de la marchabilité

La qualité de l’espace public est un important déterminant de la marchabilité. L’espace public ne doit pas être un simple corridor de passage sous peine d’engendrer la sensation de traverser un non-lieu. Il doit être un véritable lieu de vie. Plus il abritera une large palette d’activités civiques, culturelles, communales (marchés, spectacles et arts en plein air, activités sportives, etc.), plus cet espace sera qualifié d’urbain et incitera à la marche ses habitants et visiteurs. La création d’une ambiance urbaine implique un travail sur l’aménagement de l’espace public, l’implantation de commerces et autres aménités, mais aussi de porter une attention particulière au choix des matériaux, du mobilier urbain, de l’usage d‘arbres, de plantes et d’espaces verts.

Néanmoins, la marchabilité varie d’un quartier à l’autre, d’une rue à l’autre. Pour rendre compte de la diversité du potentiel de marche selon les quartiers de la ville, il faudrait idéalement arriver à combiner des caractéristiques physiques quantifiées, et d’autres données sur les qualités urbaines participant au confort perçu (transparence, perspective, échelle humaine, etc.) et les impressions personnelles recueillies lors d’enquêtes ou de concertations d’usagers d’un quartier.

Focus sur le potentiel de marchabilité de Gennevilliers

Une commune marquée par son activité portuaire et logistique, un quartier au nord peu favorable à la marche, et de nombreuses coupures urbaines liées à la présence d’emprises routières et ferroviaires. S’esquisse aussi un centre-ville autour de la mairie grâce à la présence de commerces et équipements variés.

Cet indice est construit à partir des caractéristiques spatiales quantitatives actuellement disponibles sous SIGR6 ayant une influence positive ou négative sur la marche en ville, telles que la présence d’équipements sportifs, de santé ou scolaire, les commerces de proximité et autres aménités, mais aussi les îlots de chaleur urbain ou le trafic automobile (via le nombre et la largeur des voies de circulation). Il pourrait s’enrichir avec la disponibilité de données nouvelles. Par exemple, celles liées au confort urbain (notamment la présence, largeur et revêtement des « trottoirs ») et celles sur le mobilier urbain (fontaines, bancs, éclairage…), ou encore sur le bruit ou l’éclairage des rues, des données indisponibles à l’échelle régionale. Toutefois, même en disposant de tous les éléments quantitatifs sur l’espace public, cet indice ne saurait relater la qualité de l’ambiance urbaine : celle-ci fluctue au cours de la journée, des saisons, et d’un individu à l’autre, selon son genre, son âge entre autres. L’absence de nuisances dans un espace et la présence d’aménités ne suffisent pas toujours à faire émerger le sentiment de confort urbain. Dépendant de critères individuels, ce sentiment n’est ni unanime ni stable dans le temps. Il nécessite des méthodes d’enquêtes et d’observation adaptées comme l’urbaniste danois Jan Ghel l’a largement développé.

Pour une approche sensible de la conception urbaine

Définir ce qu’est une ville marchable ne signifie pas créer un modèle urbain standardisable qui vouerait tous les espaces publics à l’uniformisation. C’est plaider pour une approche sensible de la marche et de l’aménagement qualitatif des espaces publics. Renverser le regard et partir des piétons, plutôt que des flux automobiles. À l’évidence, chaque lieu doit rester singulier et participer à l’âme de la ville. La ville doit s’adapter à la marche, accueillir tous les piétons, y compris en prenant en compte les besoins basiques comme la présence de toilettes publiques.

Alors que faire pour des « villes à vivre » ? Dans les grandes villes denses, les espaces ouverts sont de plus en plus rares et précieux. Leur attribuer une seule fonction limiterait à coup sûr leur attractivité. Il est donc souhaitable d’y permettre des usages diversifiés : déambulation, déplacement, jeux, sport, restauration, relaxation, activités culturelles et commerciales... Ces usages sont à imaginer en concertation avec la population résidente et les usagers tout en acceptant qu’ils seront amenés à évoluer dans le temps, ainsi va la ville !

Teodora Nikolova

Teodora est ingénieure et architecte-urbaniste. Elle travaille au département Urbanisme, Aménagement et Territoires de L’Institut où elle a développé des compétences dans la planification urbaine, la conception architecturale, les transports, le paysage urbain et la santé publique. Elle a notamment coordonné le cahier Territoires, incubateurs de santé ? et a publié récemment une Note rapide sur le design actif des espaces publics.

Gaëtane Carette

Gaëtane Carette est géomaticienne au département Mobilité transports de L’Institut Paris Region. Diplômée du master géomatique appliquée aux études urbaines et aux risques de l’Université de Cergy, elle travaille, entre autres, sur les sujets des mobilités actives et développe un outil cartographique sur la marchabilité des communes franciliennes.

Frédérique Prédali

Frédérique est urbaniste des transports, docteur en mobilité de l’École d’Urbanisme de Paris. Elle travaille au département mobilité et transport de L'Institut où elle mène de nombreuses études sur les politiques des transports, des benchmarks et s’investit dans des sujets préfigurant la mobilité de demain. Elle est impliquée dans un projet européen sur le pilotage de l’énergie pour faire correspondre les besoins liés à l’électromobilité et la production des énergies renouvelables. Elle a publié récemment une étude IRVE et une Note rapide sur la qualité de service dans les transports publics. Elle coordonne cette série de chroniques sur la marche.

1. F. Papon et R. de Solère, 2009, « Les modes actifs : marche et vélo de retour en ville », La Revue du SOeS, CGDD
2.  Les premiers malls en 1960 n’étaient pas des centres commerciaux mais des rues à vocation commerciale paysagées dédiées aux piétons.
3. Citons les œuvres de Lewis Mumford (La cité à travers l’histoire, 1961), Jane Jacobs (Déclin et survie des grandes villes américaines, 1961), fondatrices du mouvement pour un nouvel urbanisme New Urbanism qui intègre la question piétonne dans les aménagements urbains.
4. Du concept américain « walkability » né dans les années 1990.
5. Place aux piétons, Baromètre des villes marchables, septembre 2021
6. Système d’information géographique régional

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