Les effets de la sédentarité, exprimés en coûts, illustrent l’ampleur du phénomène. Une première estimation pour la France est chiffrée à plus de 1,3 milliard d’euros par an1. Ce coût est en grande majorité engendré par les dépenses de santé pour diverses pathologies, dont en premier lieu le diabète de type 2. Viennent s’ajouter des coûts indirects dus à la perte de production causée par la mortalité prématurée.
Lutter contre la sédentarité répond alors au double enjeu de finances publiques et de bonne santé des populations. La promotion de l’activité physique constitue un puissant vecteur d’action, avec notamment la prise en compte du rôle important de l’environnement direct des individus. Nous verrons que la marche y a toute sa place.
Vivre la ville en bonne santé, marcher, bouger !
Chronique de la marche et de l'espace public n° 4 Sommaire
La sédentarité, directement en cause dans nombre de maladies chroniques, occasionne une facture médicale et sociale considérable pour les ménages, les collectivités et l’État. Les bienfaits de l’activité physique sur la santé ne sont plus à démontrer. Dans ce contexte, la marche, qui occupe une place de choix parmi les sources d’activité physique recommandées par les institutions, n’est peut-être pas encore assez considérée. Parmi les éléments incitatifs, l’environnement urbain fait l’objet d’une recherche académique en plein essor. On parle alors de marchabilité d’une ville ou d’un quartier.
Les bienfaits irréfutables de l’activité physique
L’OMS2 définit l’activité physique comme « tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui requiert une dépense d’énergie ». L’activité physique désigne tous les mouvements que l’on effectue, notamment dans le cadre des loisirs, sur le lieu de travail ou pour se déplacer d’un endroit à l’autre. D’intensité modérée ou soutenue, elle a d’indéniables effets bénéfiques sur la santé.
L’activité physique régulière est associée à une baisse de la mortalité prématurée comprise entre 29 et 41 %3 selon différentes études. Elle a des bénéfices spécifiques en diminuant le risque de survenue de nombreuses maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète, les maladies respiratoires chroniques et l’asthme, certains cancers… Elle permet le contrôle de son poids, réduit l’état de stress psychologique et favorise le bien-être physique et mental. Elle est également reconnue depuis 2011 par la Haute autorité de santé4 en prévention tertiaire (c’est-à-dire une fois la maladie installée) comme une thérapeutique non médicamenteuse de la plupart des maladies chroniques : elle réduit le risque de récidives, d’exacerbations et d’aggravation de ces maladies chroniques. Elle peut même, dans certains cas, être prescrite en première intention, à l’exclusion de tout traitement médicamenteux pour le diabète débutant, la dépression modérée notamment. Elle retarde aussi l’entrée en dépendance des personnes âgées. Depuis 2016, elle peut, dans la cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, être prescrite par les médecins pour les patients atteints d’une affection de longue durée.
Les innombrables preuves scientifiques des bénéfices de l’activité physique pour lutter (et prévenir) contre les conséquences de la sédentarité ont, depuis le début des années 2000, fait l’objet de nombreux rapports d’expertises qui les résument5. Elles sont de plus en plus intégrées dans les politiques publiques en tenant compte des recommandations de l’OMS pour chaque population : enfants à différents âges, adolescents, adultes, femmes enceintes et allaitantes, personnes âgées, personnes atteintes de maladies chroniques et personnes handicapées, etc.
Par exemple, les adultes de 18 à 64 ans devraient « consacrer au moins 150 à 300 minutes par semaine à une activité d’endurance d’intensité modérée (ce qui correspond à une demi-heure de marche rapide chaque jour) ; ou pratiquer au moins 75 à 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue ; ou une combinaison équivalente d’activités d’intensité modérée et soutenue tout au long de la semaine » ; et « devraient […] remplacer la sédentarité par une activité physique, quelle qu’en soit l’intensité (y compris légère) ».
La marche (ou le vélo dans une moindre mesure), classée comme un type d’activité physique modéré, est parmi l’éventail des activités physiques ou sportives celle qui est la plus accessible à tous les types de populations. On peut facilement l’intégrer dans une routine quotidienne, sans ou avec peu d’encadrement, sans être coûteuse, à l’exception d’une paire de chaussures adaptée et d’éventuels bâtons de marche.
Des liens avérés entre environnement urbain et santé
Le lien entre le niveau d'activité physique et l’environnement urbain a fait l'objet de nombreux travaux, dont la plupart montrent une relation entre certaines caractéristiques de l'environnement bâti et le niveau d'activité physique de la population (notamment avec la marche). Il est ainsi question de la capacité d’un territoire à susciter la pratique de la marche (voir chronique n° 2). Ce concept de « marchabilité » a été repris dans de multiples travaux épidémiologiques visant à examiner les liens entre marchabilité des territoires et divers indicateurs de santé6. Dans ces études de santé environnementale, la marchabilité est présentée comme une variable quantifiable (indice). Plusieurs outils synthétiques ont été développés pour les professionnels ou le grand public, dont certains sont utilisés dans les études épidémiologiques tels que le Walk Score®. Mais les chercheurs peuvent aussi adopter leur propre définition, il n’existe donc pas d’indicateur standardisé, ce qui entraine un manque de comparabilité des résultats et ne permet pas de conclure de manière univoque. Toutefois, les résultats de ces travaux montrent que quand l’indice de marchabilité augmente, la pratique de la marche est plus importante et les paramètres d’état de santé (surpoids, obésité, pression artérielle (hypertension) ou encore prévalence du diabète de type 2) sont plus favorables. Comme ce domaine de recherche en pleine expansion est encore récent, ces résultats doivent néanmoins être interprétés avec précautions.
Comment relier la marchabilité d’un quartier et la santé des résidents ?
Considérons deux quartiers dans lesquels l’état de santé de leur population serait différent. À quoi peut-on imputer cette différence ? À la morphologie urbaine qui serait propice à la marche ? À la marchabilité du quartier qui attirerait des résidents marcheurs ? Au statut social des habitants ? Difficile d’identifier ce qui est l’origine de quoi.
Ces réflexions sont prégnantes dans la recherche sur les effets de quartier depuis plus de 150 ans. Elles sont importantes car, selon la réponse, les politiques publiques devront orienter leurs efforts sur les individus ou sur l’urbanisme et l’aménagement.
Cependant, l’environnement et l’individu font partie d’un même système. Il serait artificiel de vouloir dissocier les deux dont les relations sont à double sens : les quartiers ont une influence sur les individus, et inversement. Par exemple, la présence de primeurs dans un quartier peut augmenter la consommation de fruits et de légumes des résidents ou des actifs qui y travaillent ; et réciproquement, leurs habitudes de consommation peuvent conduire des primeurs à s’implanter dans un lieu plutôt qu’un autre. Par ailleurs, le quartier peut différemment interagir avec les individus selon les groupes de population : la présence d’escaliers dans un parc peut favoriser l’activité physique chez certaines personnes, mais constituer un véritable obstacle pour d’autres ayant des difficultés de mobilité (fauteuil roulant, personnes âgées, poussettes…). Enfin, il est compliqué d’identifier un effet spécifique de la marchabilité sur la santé. D’autres caractéristiques du quartier (notamment liées au sentiment de sécurité) peuvent influencer les options et les décisions de sorties des résidents (en particulier les femmes et les personnes âgées) et impacter, à terme, leur état de santé.
Pour répondre à la question « comment la marchabilité influence-t-elle la santé des individus ? », on voit donc que plusieurs mécanismes interreliés sont à l’œuvre. Cette complexité peut sembler déroutante, mais comporte un avantage indéniable : la modification d’un élément peut entraîner une réaction en chaîne et améliorer, à terme, la santé par plusieurs canaux. Créer des espaces publics avec des bancs peut, par exemple, faciliter la santé physique des personnes âgées via un encouragement à leur mobilité, mais aussi agir sur leur santé mentale et leurs compétences cognitives en favorisant la sociabilité et la cohésion sociale. C’est pour cela que l’OMS encourage, depuis 2005, les age-friendly cities7, ou les villes amies des aînées. Il s'agit d'intervenir sur plusieurs domaines, dits interconnectés (comme l’accessibilité des rues, des bâtiments, ou encore le respect et l’inclusion sociale), afin de soutenir un vieillissement actif et en bonne santé. Ce programme se concentre sur les personnes âgées car elles sont particulièrement sensibles à leur environnement qui peut menacer leur autonomie et le maintien de leurs relations sociales. Mais les bénéfices apportés par l’amélioration du cadre de vie sont bien évidemment étendus à toutes et à tous, des nouveau-nés aux séniors.
Isabelle Grémy
Isabelle est directrice de l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France (ORS), département de L’Institut Paris Region. Elle est diplômée de l’école de santé publique de Harvard, avec un master en sciences, en épidémiologie et un doctorat en santé publique. Elle a également un master en santé publique, obtenu à Mexico. Riche d’une expérience internationale, elle a notamment conduit différentes missions professionnelles aux États-Unis, en Amérique latine et en Afrique. Spécialisée en santé publique, elle est l’auteure de nombreuses contributions sur des sujets tels que les cancers, le VIH sida, les drogues. Elle a co-coordonné l’édition 2017 du rapport de la DREES/Santé publique France "L’état de santé de la population en France".
Sabine Host
Ingénieure diplômée de l’École des hautes études en santé publique, Sabine est chargée d’études santé environnement à l’Observatoire régional de santé Île-de-France (ORS). Documenter l’interaction des facteurs de risque environnementaux avec la santé dans le contexte régional, mieux connaître les impacts sanitaires font partie de ses principales missions. Son expertise, qui couvre un large éventail de domaines (air et santé, habitat et santé, inégalités environnementales…), est mise au service des instances d’élaboration et de suivi des diverses politiques territoriales de santé environnementale.
Caroline Laborde
Socio-démographe à l’Observatoire Régional de Santé (ORS) Île-de-France, Caroline conduit des travaux en santé publique, sur les inégalités sociales et de genre de santé aux âges élevés. Actuellement, elle explore comment l’environnement physique influence la santé des personnes âgées, et plus largement des populations vulnérables.
1. Ding D, Lawson KD, Kolbe-Alexander TL, et coll. The economic burden of physical inactivity : a global analysis of major non-communicable diseases. Lancet 2016 Sep 24 ; 388 : 1311-24.
2. Page dédiée sur le site de l’OMS
3. Actualisation des repères du PNNS – révisions des repères relatifs à l’activité physique et à la sédentarité. Avis de l’ANSES rapport d’expertise collective
4. Voirle rapport d’orientation de la Haute autorité de santé
5. Voir notamment l’expertise Collective de l’Inserm « Activité physique : Prévention et traitement des maladies chroniques » (2019)
6. Citons les travaux de Meline et al., de Courrèges et al. ou encore la revue de den Braver et al.
7. Les informations sur les age-friendly cities sont disponibles sur le site de l’OMS. Voir aussi une description du réseau francophone des villes amies aînées
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