Agriculture et biodiversité
Biodiversité et agriculture sont étroitement liées depuis la naissance de cette dernière, à la période Néolithique. Les paysans, comme leur nom l’indique, ont littéralement façonné la diversité des paysages que nous connaissons aujourd’hui, depuis les openfields du Bassin parisien jusqu’aux prairies bocagères de l’ouest de la France, en passant par les paysages de polyculture élevage, les vergers, les cultures en terrasses ou les coteaux viticoles. Ils ont appris à collaborer avec le vivant, et même à le diversifier génétiquement en créant de nouvelles races animales et variétés végétales adaptées aux différents terroirs : l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture dénombre ainsi 8 800 races animales et 6 000 plantes cultivées pour l’alimentation.
Pourtant, depuis la seconde moitié du XXe siècle, l’agriculture, poussée par les politiques publiques nationale et européenne, s’est détachée de la biodiversité pour se tourner vers des pratiques et des outils plus technologiques et plus productifs. Ces changements ont conduit à une simplification et à une homogénéisation des paysages et de la biodiversité qu’ils accueillent, réduisant notre potentiel d’adaptation aux changements globaux qui se dessinent.
C’est la raison pour laquelle nombre d’agriculteurs se tournent aujourd’hui vers des pratiques variées, renouant une collaboration étroite avec la biodiversité présente dans et autour de leurs parcelles, en particulier avec les auxiliaires que représentent les pollinisateurs sauvages, les prédateurs des ennemis des cultures, ou encore les organismes ingénieurs du sol que sont les vers de terres, bactéries ou champignons.
Ce livret est un recueil de pratiques éprouvées à la fois par la science de l’écologie et par les agriculteurs pour travailler pour et avec la biodiversité. Il décrit et prône une agriculture plurielle, diversifiée, moderne, résiliente, qui prend soin des sols, de la faune, de la flore et des milieux naturels. Le format choisi est abondamment illustré et la rédaction se veut pédagogique afin d’intéresser à la fois les agriculteurs, les décideurs et le grand public, de sorte que ces derniers accompagnent les premiers dans la pratique d’une agriculture performante sur le plan agronomique mais aussi environnemental, économique et social : l’agriculture d’aujourd’hui.
Ce document constitue l’une des productions du projet interdisciplinaire MOBIDIF (mobiliser et protéger la biodiversité dans les exploitations agricoles franciliennes).
L’agriculture francilienne en quelques chiffres
L’espace agricole s’étend sur 47 % de la surface de l’Île-de-France. Agir en faveur de la biodiversité agricole, c’est donc favoriser le vivant sur presque la moitié du territoire. Dans notre région, la majorité des exploitations est orientée vers les grandes cultures (79 % des exploitations, mais 92 % de la surface agricole utile), majoritairement vers la production de blé. On observe toutefois une redynamisation du maraîchage et, dans une moindre mesure, de la viticulture, tandis que l’élevage continue de diminuer (hors filière volailles qui se porte bien). Le nombre d’exploitations en bio a presque triplé (286 %) entre 2010 et 2020, tandis que le nombre d’exploitations vendant en circuit court a augmenté de 22 % sur la même période.
Quel rapport entre biodiversité et agriculture ?
Depuis le Néolithique, la biodiversité contribue au développement de l’agriculture : pollinisation par les insectes (les trois quarts des cultures mondiales de fruits ou de graines cultivés pour l’alimentation humaine dépendent de l’action des pollinisateurs), contrôle des ravageurs, formation et amélioration des sols, perméabilité à l’eau et rétention des terres cultivées, filtration des polluants, soin et bien-être des animaux d’élevage, digestion des ruminants, production de combustible ou de fibres textiles... Dans la seconde moitié du siècle dernier, pour mettre fin aux pénuries agricoles d’après-guerre et au manque de paysans disparus au combat, l’agriculture occidentale s’est engagée dans un processus de stimulation de la production, accompagnée par les politiques nationales et européennes (loi d’orientation agricole, politique agricole commune, révolution verte). L’intensification de la productivité par hectare et par actif agricole a été atteinte en développant des pratiques combinant recours à la mécanisation, usage d’intrants de synthèse (engrais et produits phytopharmaceutiques) et spécialisation régionale des productions (élevage de porcs en Bretagne, grandes cultures dans le Bassin parisien, par exemple). Ces changements de pratiques ont simplifié et homogénéisé les paysages agricoles : agrandissement des parcelles, drainage, retournement de prairies, suppression des éléments fixes tels que rus et fossés, chemins ruraux, mares, arbres isolés, haies, prés-vergers, etc.
« Les côteaux du Vésinet » (Yvelines) peint par Camille Pissarro en 1871. Aujourd’hui, en Île-de-France, engrais et machines ont majoritairement remplacé les animaux aux champs.
Les races animales et variétés végétales ont été standardisées, aboutissant à une réduction de la diversité génétique cultivée. En Île-de-France, où les grandes cultures sont majoritaires, l’élevage et la production régionale de fumiers et autres amendements organiques ont fortement décliné. Ces évolutions ont permis à notre agriculture des gains de productivité sans précédent, mais ont aussi conduit à des atteintes environnementales, avec des effets négatifs sur la qualité de l’eau (pollutions par les nitrates, phosphates et pesticides), le climat, les sols, et a fortiori, sur la biodiversité. Cette modernisation a aussi et encore des conséquences sur l’évolution du nombre d’agriculteurs. En témoignent les résultats du dernier recensement général agricole qui dévoile la perte de 100 000 exploitations agricoles entre 2010 et 2020 à l’échelle nationale. L’Île-de-France s’inscrit dans cette tendance : sur la même période, le nombre d’exploitations agricoles franciliennes est passé de 5 026 à 4 425 (-12 %). Forts de ces divers constats, de nombreux agriculteurs prennent davantage conscience de leur dépendance au vivant et s’orientent vers des pratiques qui leur permettent de favoriser et préserver la biodiversité de leur territoire tout en s’appuyant sur les services qu’elle leur fournit pour améliorer et optimiser leur production.
Ce guide leur propose des clés pour favoriser la mise en place de systèmes mobilisant la biodiversité afin d’accroître les performances agronomiques, économiques, sociales et environnementales de leur production.
LES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES
L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, commandée par l’ONU en 2005, a classé les services rendus par la biodiversité en quatre catégories :
- les services de support sont les services qui concourent aux grands processus de fonctionnement des écosystèmes : le cycle de l’eau, de l’azote, du carbone, de l’oxygène (photosynthèse), la formation des sols, etc.
- les services d’approvisionnement sont impliqués dans la production de nourriture (agriculture, pêcheries…), de fibres (laine, coton, lin…), de bois (chauffage, papier, mobilier, construction…), d’énergie (pétrole, biomasse…), etc.
- les services de régulation assurent le contrôle des maladies, des ravageurs, des inondations, ou encore la purification de notre eau et la pollinisation des fruits et des légumes.
- enfin, les services culturels alimentent les activités de loisirs telles que les promenades à pied, à vélo ou à cheval, la pêche et la chasse, la cueillette (noix, baies, muguet, champignons…), l’observation de la nature, le ressourcement, le bien-être psychologique et spirituel…
À noter : le concept de « service écosystémique » doit être utilisé avec précaution et suscite des critiques car il sous-tend une logique utilitariste (voire monétariste) de la nature. Il faut distinguer logique de protection de la biodiversité et logique de gestion des services écosystémiques, qui ne se superposent pas nécessairement. Certes, la biodiversité peut offrir de multiples services écosystémiques mais elle ne saurait être réduite à cela. Une telle approche pourrait conduire à des dérives pour maximiser un ou plusieurs services en faisant fi de l’intégrité des écosystèmes (par exemple, développement de monocultures pour la séquestration de carbone, surdéveloppement des ruches au détriment des pollinisateurs sauvages...). Il est important de rappeler que la protection de la biodiversité renvoie avant tout à des considérations éthiques dépourvues de tout utilitarisme. Plutôt que de se demander pourquoi protéger la biodiversité, le champ de l’éthique se demande « à quoi bon la détruire ? » .
L’EXEMPLE DES OISEAUX
En mai 2023, un article basé sur une collaboration scientifique européenne regroupant les données de suivi de 170 espèces oiseaux recueillies durant trente-sept ans dans 28 pays et sur plus de 20 000 sites est publié dans une revue scientifique majeure. Cette masse de données a permis de quantifier pour la première fois l’intensité du déclin des oiseaux européens, mais surtout de hiérarchiser l’impact direct de différentes activités humaines sur ce groupe faunistique à l’échelle du continent. Au total, l’Europe a perdu presque un quart de ses oiseaux sur la période étudiée. Les facteurs identifiés et pris en compte par les chercheurs sont l’évolution des températures, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles. Si les populations d’oiseaux souffrent de l’ensemble de ces pressions, les recherches montrent l’effet dominant de l’intensification de l’agriculture, avec un déclin de 56 % des oiseaux dans les milieux cultivés, suivi de près par les effets négatifs du réchauffement climatique. La chance à saisir, c’est que de nombreux exemples montrent que les milieux agricoles peuvent être hospitaliers à la biodiversité si les itinéraires techniques de la production végétale et de l’élevage tiennent compte de la biodiversité au moyen de pratiques adaptées.
Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Biodiversité et Société |
Milieux agricoles