La renaturation des quartiers en politique de la ville, une dynamique à intensifier

Note rapide Habitat-Société, n° 990

26 septembre 2023ContactHélène Joinet, Nicolas Laruelle, Damien Delaville

Les initiatives de renaturation engagées dans les quartiers en politique de la ville (QPV) sont à renforcer au vu des opportunités et des bénéfices pour le cadre de vie des habitants, la biodiversité et l’adaptation au changement climatique. Ces initiatives doivent être conçues et financées dans la durée pour être réellement bénéfiques, en s'appuyant notamment sur les dispositifs de financement existants.

Renaturer les quartiers en politique de la ville est un enjeu crucial. La précarité socio-économique des habitants, leur assignation plus forte au lieu de résidence, ainsi que le cumul de pollutions et nuisances environnementales confortent cette nécessité. On entend par « renaturation » l’ensemble des actions, intentionnelles ou non, contribuant à la restauration des écosystèmes dégradés ou détruits par les activités humaines. Selon l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) de la loi Climat et résilience de 2022, la renaturation s’applique aux actions de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. La renaturation implique dès lors le retour à la pleine terre, et se distingue de la désimperméabilisation, qui consiste à redonner une perméabilité à la couche superficielle du sol, et de la végétalisation hors-sol (toitures, murs, plants en bacs…). Il existe ainsi une gradation des interventions, et c’est bien l’ensemble de cet éventail qui gagne à être mobilisé pour oeuvrer au retour de la nature dans les QPV.

DES MORPHOLOGIES URBAINES SINGULIÈRES INÉGALEMENT PROPICES À LA RENATURATION

L’architecture de tours et de barres, issue de l’urbanisation des Trente Glorieuses, prédomine dans de nombreux quartiers franciliens en politique de la ville, dont le parc de logements se compose au trois quarts d’habitat social. Cette typologie architecturale s’accompagne souvent d’une emprise au sol limitée, avec un bâti qui ménage de vastes espaces « libres », pouvant accueillir un couvert végétal, herbacé ou arboré, ou, au contraire, des surfaces bitumées, vouées au stationnement automobile. L’implantation des bâtiments en retrait de la voirie crée également des bandes de terrain susceptibles d’être plantées ou entourées de haies végétales. De même, les résidences de taille intermédiaire constituées de plots de type R+3 et R+4 disséminés dans des espaces ouverts proposent également un réseau d’espaces verts, à la qualité écologique et aux modes de gestion variables. À l’opposé, certains QPV sont marqués par un urbanisme de dalle, fondé sur le principe d’une stricte séparation des cheminements piétons et de la circulation automobile, et synonyme d’espaces très minéralisés, propices au phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU), comme les dalles de Choisy-le-Roi, Évry, Cergy ou Noisy-le-Grand. Dans certains de ces quartiers, les jardins suspendus, mails plantés ou esplanades paysagées sont rares et ne suffisent guère en termes de rafraîchissement lors des épisodes de forte chaleur. Loin d’être inexistante, la place de la nature est donc inégale selon les QPV, et son renforcement implique des interventions de teneur et d’ambition variables, qu’il s’agisse d’une désimperméabilisation des nappes de parkings et des cours d’immeubles pour revenir à la pleine terre, de chantiers complexes dans les quartiers de dalle, où des solutions de végétalisation peuvent déjà apporter de premiers bénéfices, ou bien de la mise en place d’une gestion écologique des espaces verts. Mais au-delà de la diversité des contextes, les enjeux de renaturation sont toujours prégnants.

DES ENJEUX DE RENATURATION DÉMULTIPLIÉS

La méthode Regreen, développée au sein de L’Institut Paris Region par l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France (ARB îdF), permet d’identifier le potentiel des zones de renaturation prioritaires en milieu urbain au regard de trois enjeux majeurs : la reconquête de la biodiversité, l’adaptation au changement climatique, et l’amélioration de la santé et du cadre de vie2. Elle montre que les enjeux de renaturation revêtent une acuité particulière dans les QPV : sur les 272 QPV que compte la région, 145 sont concernés à plus de 50 % de leur territoire par au moins un des trois enjeux de renaturation, et 18 d’entre eux le sont à plus de 50 % par les trois enjeux. Une analyse comparative avec l’ensemble des espaces urbanisés en Île-de-France confirme ce constat : si 54 % de la superficie totale des QPV est concernée par au moins un enjeu de renaturation et 10 % par les trois enjeux simultanément, ces proportions chutent respectivement à 16 % et à 6 % pour l’ensemble des espaces urbanisés de la région. C’est dire l’importance de renforcer la place de la nature dans nombre de ces quartiers, d’autant que l’identification des sites franciliens cumulant une pluralité de pollutions et de nuisances environnementales (bruit, air, etc.) tend aussi à mettre en évidence les périmètres des QPV3. Or, si les enjeux sont exacerbés, les opportunités de renaturation sont également multiples. Et le poids du parc social dans ces quartiers pourrait également avoir un effet levier, au vu du possible rôle de relais des bailleurs sociaux pour démultiplier les projets de renaturation.

DES OPPORTUNITÉS LIÉES AU RENOUVELLEMENT URBAIN

En Île-de-France, dans le cadre du premier Programme national de rénovation urbaine (PNRU, 2004-2020), 41 600 logements sociaux ont été démolis, 42 100 produits, 106 700 réhabilités et 134 000 résidentialisés. Les 102 projets validés lors du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU, 2014-2030) portent sur 28 500 logements démolis, 43 400 logements requalifiés, 35 500 logements produits dans le cadre de la diversification de l’habitat (hors logement social), 288 équipements publics (dont 100 scolaires) construits ou rénovés et 65 opérations immobilières à vocation économique, représentant au total l’aménagement de plus de 5 millions de m2 de foncier. Ces opérations de grande ampleur impliquent généralement une recomposition du plan d’ensemble du quartier et de ses espaces publics, une modification des accès et des circulations, la création de nouveaux équipements, et une délimitation claire des propriétés et des responsabilités de gestion (entre bailleur social, collectivité, copropriété…), avec parfois des cessions de terrains. Cela représente autant d’occasions de repenser la place que l’on souhaite redonner à la nature et à la pleine terre. De plus, les terrains vacants à la suite des chantiers de démolition peuvent être propices à une renaturation temporaire, avant l’engagement de la reconstruction. Certes, la démolition d’un grand ensemble au profit de plusieurs programmes immobiliers de taille plus modeste peut se révéler consommatrice de foncier. Pour autant, des collectivités comme Les Mureaux (78) ou Orly (91) ont fait des continuités écologiques un axe structurant du renouvellement urbain, à même de favoriser les liaisons des quartiers avec leur environnement urbain. Du premier PNRU au NPNRU aujourd’hui en vigueur, l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) accorde une importance croissante à la nature. En témoignent, en 2020, l’appel à projets « Quartiers fertiles », dédié à l’agriculture urbaine, et le déploiement, en 2023, de la démarche « Quartiers résilients », qui organise un accompagnement renforcé des projets aux enjeux de résilience et un appui financier complémentaire pour 50 quartiers (France entière) retenus au vu de leur fragilité climatique ou énergétique, notamment. Sur les 25 premiers sites identifiés, quatre concernent des QPV franciliens : le Val Fourré à Mantes-la-Jolie (78), le Franc-Moisin à Saint-Denis (93), la Dame Blanche Nord à Garges-lès-Gonesse (95) et les Tarterêts à Corbeil-Essonnes (91). Dans ces projets, la renaturation sera un levier, parmi d’autres, pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, améliorer la gestion du cycle de l’eau et atténuer les effets sanitaires du cumul de nuisances environnementales.

 

 

 

CAPTER LE POTENTIEL DES FRICHES

En termes d’opportunités, les friches constituent un potentiel intéressant pour le retour de la nature dans ces quartiers, bien qu’elles soient aussi convoitées pour construire des équipements, ainsi que des programmes de logements ou d’activités économiques, sans consommer d’espaces naturels, selon l’objectif ZAN. Les QPV ne sont pas concernés de façon massive par des logiques d’enfrichement : en effet, outre le critère de la pauvreté des habitants, ils ont été délimités à partir de la densité de population et centrés sur des zones résidentielles.
La base de données des friches franciliennes de L’Institut Paris Region dénombre, en 2022, un total de 2 700 friches, dont 159 friches sont au moins partiellement comprises dans un QPV. Soixante-sept QPV (soit un quart des QPV franciliens) comptent ainsi au moins une friche. Ces 159 friches couvrent une superficie totale de 372 hectares, dont un quart en QPV, pour une superficie moyenne de 2,3 hectares (contre 1,7 hectare en moyenne pour les friches franciliennes dans leur ensemble).
Elles sont majoritairement situées en Seine-Saint-Denis (101 friches sur 159) et, dans une bien moindre mesure, dans le Val-d’Oise (19), l’Essonne (11) et le Val-de-Marne (10). Elles sont principalement issues – dernière occupation licite connue ou supposée – de programmes de logements (50 friches sur 159), d’infrastructures logistiques (23), d’espaces ouverts (22) et d’installations industrielles (19). D’autre part, l’analyse des usages les plus pertinents met en évidence que, pour 83 % des friches en QPV, le maintien ou la transformation en espace de pleine terre, pour des motifs environnementaux et/ou sociaux, mérite d’être envisagé (lire encadré).
Ces friches renaturées ou laissées en libre évolution pourraient, à terme, renforcer les continuités écologiques et contribuer à la conservation de la biodiversité en milieu urbain. Elles sont également parfois déjà mobilisées pour de l’agriculture urbaine éphémère, qui permet d’animer ces espaces vacants et de tester de nouvelles pratiques avant d’envisager des installations plus durables.

L’AGRICULTURE URBAINE (RE)TRACE SON SILLON DANS LES QPV

De fait, l’agriculture urbaine est présente sous de multiples formes dans les QPV : jardins collectifs tels que les jardins ouvriers devenus « jardins familiaux », jardins partagés ou jardins pédagogiques, mais aussi fermes et micro-fermes urbaines. Elle y assure de multiples fonctions. Les espaces voués à l’agriculture sont à la fois des sites productifs jouant un rôle d’appoint économique et alimentaire, des lieux de lien social propices aux événements pédagogiques et festifs, des leviers de formation, d’apprentissage, d’insertion professionnelle et de structuration de filières locales, ainsi que des poumons verts porteurs d’aménités. Ces espaces mobilisent un vaste écosystème d’acteurs, où travaillent en partenariat des collectifs d’habitants, des collectivités locales, des bailleurs sociaux propriétaires des pieds d’immeubles, des représentants de l’économie sociale et solidaire, des associations, ainsi que des institutions comme l’Éducation nationale (projets développés au sein des collèges) ou des opérateurs comme l’Anru, dont l’appel à projets « Quartiers fertiles », conçu dans une logique productive, compte 23 lauréats en Île-de-France6 (sur 100 dans la France entière).
Au total, on recense 1 320 jardins collectifs7 parmi les sites d’agriculture urbaine franciliens, dont 119 (9 %) se situent dans un QPV, 532 (40 %) à moins de 800 mètres d’un QPV et 730 (55 %) dans une commune en politique de la ville, contribuant, à leur échelle, au lien social et à la transition écologique des territoires dans lesquels ils s’inscrivent.
Ces sites font écho et pourraient renouer avec le passé maraîcher de certaines communes franciliennes. Citons, à Vitry, la pomme reinette et le haricot flageolet, à Montreuil la pêche, à Aubervilliers l’asperge verte, la betterave rouge et le panais, à Saint-Denis le chou et la poire, à Meaux la chicorée8… Or, valoriser le patrimoine et la mémoire des quartiers est l’un des dix objectifs de la politique de la ville : l’histoire agricole et vivrière, constitutive de l’identité locale, a toute sa place dans ce travail de mémoire.

GÉRER ET FINANCER DANS LA DURÉE

Les actions de renaturation et de création d’espaces de nature dans les QPV sont souvent menées dans une perspective de formation et « d’encapacitation » des habitants, associés dès la conception du projet, puis à l’entretien et à l’animation des lieux, l’adhésion initiale étant un gage d’appropriation dans la durée. Il existe cependant un enjeu de maintien de la dynamique, face au turn-over inévitable des habitants impliqués.
Cet enjeu de pérennisation vaut aussi pour les financements, car, au-delà des dépenses d’investissement initiales, les coûts de gestion peuvent être conséquents pour les collectivités aux capacités financières souvent réduites9. D’autant que ces dernières, comme les bailleurs sociaux et les copropriétés privées, doivent aussi intégrer les enjeux de sécurité10 et de surveillance dans la conception et l’entretien des espaces de nature (accès, éclairage, hauteur et densité de la végétation, voire recours aux caméras de vidéosurveillance, etc.).
Générant des externalités positives mais un faible retour sur investissement immédiat, les projets de renaturation étaient traditionnellement peu financés. Mais divers fonds sont désormais mobilisables, sans être strictement dédiés au seul objet de la renaturation dans les QPV.
Ainsi, au-delà des financements de l’Anru, auxquels contribuent un ensemble de partenaires financiers, on peut citer le Fonds vert déployé par l’État, sur la base d’une gestion déconcentrée, pour accélérer la transition écologique dans les territoires. À la mi- 2023, 843 dossiers avaient été déposés en Île-de-France pour bénéficier des subventions du Fonds vert, dont 21 % pour des projets de renaturation. Les cinq premiers projets retenus concernent la rénovation de bâtiments et de l’éclairage publics, ainsi que la gestion de biodéchets. À terme, des projets de renaturation dans les QPV émergeront probablement, dans la mesure où le Fonds vert comprend un fonds de renaturation des villes et où les projets situés dans les QPV en renouvellement urbain, particulièrement ceux inscrits dans la démarche « Quartiers résilients », figurent parmi les dossiers prioritaires.

De même, dans le cadre d’une mission sur le « verdissement » des QPV, la Caisse des dépôts privilégie une approche intégrée des projets de renaturation, par exemple en lien avec des schémas plus globaux tels que les trames vertes et bleues ou des réseaux cyclables, etc. Cette synergie permet de combiner les investissements. La Caisse des dépôts entend également s’appuyer sur le rôle de levier des bailleurs sociaux multipropriétaires, à même de coordonner plusieurs opérations de renaturation, et de les répliquer sur plusieurs sites.

Dans le cadre du Plan régional d’adaptation au changement climatique, la Région Île-de-France a lancé en 2023 – via Île-de-France Nature – un appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Retour de la nature en ville ». Ce dispositif d’aide à l’ingénierie de projet finance des études techniques. Sur les 38 communes ayant déposé un projet lors de la première session de l’AMI, 18 sont en politique de la ville. D’autres aides de la Région peuvent accompagner des projets de renaturation : le Plan vert régional, les dispositifs régionaux « Création d’îlots de fraîcheur et de toitures végétalisées » et « Reconquête de la biodiversité », le Plan friches, etc.

DYNAMISER LA RENATURATION DES PROCHAINS QPV

Fin 2023 devrait intervenir une actualisation des périmètres des QPV afin de tenir compte de l’évolution des caractéristiques socio-économiques de la population. Les critères d’identification seront inchangés, à savoir le niveau de revenus des habitants et le nombre d’habitants. Certains quartiers vont sortir de la géographie prioritaire et d’autres vont l’intégrer, et des périmètres vont être ajustés. Mais les enjeux de renaturation conserveront toute leur acuité dans ces contours renouvelés, au vu de la vulnérabilité sociale des habitants face aux impacts du réchauffement climatique et de l’impérieuse nécessité d’améliorer leur cadre de vie et l’attractivité des quartiers. En contribuant au rétablissement de continuités écologiques et paysagères, les sites de renaturation pourront aussi être un levier pour conforter l’insertion des quartiers dans leur environnement plus large.■

 

LES QPV FRANCILIENS

Depuis la loi Lamy du 21 février 2014, la géographie prioritaire de la politique de la ville est fondée sur le critère unique du revenu des habitants. La politique de la ville vise à réduire les écarts de développement au sein des villes, à restaurer l’égalité républicaine dans les quartiers défavorisés et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants. L’Île-de- France compte 272 QPV, dans lesquels vivent 1 570 338 habitants (soit 12,7 % de la population régionale). 40 % des habitants de ces quartiers ont moins de 25 ans ; 35,3 % sont immigrés. La part des familles monoparentales s’élève à 29 %. 39 % des actifs sont employés et 29 % sont ouvriers. Le taux de chômage est de 21,6 %. 81 % des ménages sont locataires.
Source : Insee, recensement de la population 2019.

LA PLATEFORME CASSIUS : QUEL USAGE PRIVILÉGIER, À TERME, POUR LES FRICHES EN QPV ?

La plateforme Cassius (Contribution à l’appariement spatial des sites et des usages) de L’Institut Paris Region a été utilisée afin d’éclairer l’identification des usages les plus pertinents pour chacune des 159 friches situées, entièrement ou partiellement, en QPV. Parmi les 15 usages considérés, la « renaturation » apparaît comme le plus pertinent pour 56 friches, et comme l’un des trois plus pertinents pour 87 friches. Plus largement, l’un des usages liés à la pleine terre (« renaturation », mais aussi « espaces verts », « sanctuarisation d’espaces de nature existants » ou « agriculture urbaine ») apparaît comme le plus pertinent pour 80 friches et comme l’un des trois plus pertinents pour 132 friches.

 

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires | Aménagement | Environnement urbain et rural | Développement durable | Société et habitat | Habitat et logement | Politique de la ville

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