L’accession à la propriété, de plus en plus réservée aux ménages aisés

14 janvier 2020ContactJean-Jacques Guillouet, Philippe Pauquet

Un boom de l’accession qui s’est accompagné d’une très forte croissance des prix

L’analyse des enquêtes Logement de l’Insee (ENL) montre un véritable boom de la propriété entre 1973 et 2013 en Île-de-France. Le nombre de propriétaires a en effet doublé au cours de cette période, au point que ce statut représente maintenant près de la moitié des logements (48 %) contre 35 % en 1973.
Ce fort développement de l’accession à la propriété s’est doublé d’une augmentation des prix des logements, deux fois supérieure à celle des revenus des ménages (multipliés par 14,1 pour les premiers et par 7,2 pour les seconds). Ce décrochage, plus net depuis le début des années 2000, a pour conséquence qu’en 2013, un logement représente 5,1 années de revenu, contre 2,4 en 1973.

L’emprunt, toujours essentiel pour acquérir un logement (60 % du prix du logement)

Dans le sillage de la hausse des prix des logements, les sommes empruntées ont été elles aussi multipliées par 14,4 sur la période, et se traduisent par des remboursements élevés : 1 321€/mois. Des montants largement supérieurs aux loyers du secteur libre et meublé (786 €/mois) et à ceux du parc social (425 €/mois).
On pouvait alors craindre pour la solvabilité des accédants qu’un seuil ne soit atteint : leur taux d’effort net atteint en effet 25,1 % en moyenne en 2013, alors qu’il était resté stable autour de 20 % pendant 30 ans (1973-2002). Cependant, les ménages ont été solvabilisés par l’allongement de la durée d’emprunt, mais surtout par la baisse des taux d’intérêts jusqu’au début des années 2000. Cette diminution des taux n’est d’ailleurs pas non plus étrangère à la hausse générale des prix immobiliers

L’apport personnel reste important (40 % du prix du logement)

L’apport personnel constitue un levier essentiel pour financer l’achat d’un logement. En effet, selon le montant de l’apport, le montant des prêts contractés, les niveaux de remboursement et les taux d’effort qui en découlent seront assez différents. En 2013, il s’élève en moyenne à 121 000 €.
Parmi les trois grandes catégories de sources constituant l’apport personnel, la revente d’un logement est de loin celle qui y contribue le plus à l’apport : 64 000 € en moyenne en 2013, soit 53 % de l’apport total. L’épargne courante, avec 35 000 €, en représente 29 %, et les apports extérieurs (principalement les dons) avec 21 000 €, participent à hauteur de 17 %. Cette répartition 50/30/20 est relativement stable depuis 2002.

Des ménages acquéreurs de plus en plus aisés

Les accédants récents sont des ménages quarantenaires qui présentent toujours un profil familial (57 % d’entre eux sont des couples avec enfant). Ils sont toutefois de plus en plus souvent cadres (47 %) et bi-actifs, et affichent ainsi des revenus de plus en plus élevés comparés à ceux des locataires. Conséquence, les accédants récents bénéficiant de prêts aidés ou d’une aide au logement sont devenus moins nombreux. On constate également une baisse sensible du nombre de primo-accédants entre 2002 et 2013.

Des interrogations pour l’avenir

La question se pose alors de savoir si les évolutions des conditions de financement pourront se prolonger dans le temps ? Les taux d’intérêts affichent en 2019 des niveaux particulièrement bas, proches de 1 % : la marge de manoeuvre à la baisse apparaît donc relativement limitée. Quant à la durée des prêts, qui s’établit à 20 ans en moyenne en 2013 selon l’ENL, elle peut être encore allongée, mais jusqu’à quel point ? 30 ans, 40 ans ? Les banques sont-elles prêtes à octroyer des prêts sur des durées aussi longues ?
En dépit des dispositifs d’aide de l’Etat et des collectivités, ces profondes mutations des conditions de financement observées sur la période 1973-2013 ont écarté petit à petit les candidats à l’accession les moins aisés (dont sans nul doute une part de primo-accédants).

Dès lors comment aider les candidats à l’accession les moins aisés en Île-de-France ?

Le choc d’offre prôné par les gouvernements successifs via les lois Duflot et Elan, supposé infléchir durablement à la baisse les prix des logements et relancer ainsi l’accession des ménages les moins aisés, ne sera pas forcément au rendez-vous dans la décennie qui vient, voire les suivantes. Rappelons que la construction annuelle ne représente qu’un à deux pourcents du stock de logements.
Aussi, d’autres pistes à effets plus immédiats peuvent être avancées, comme la généralisation du bénéfice de la TVA à taux réduit ou la dissociation du foncier et du bâti. Une réforme de la fiscalité via la TFPB qui viserait une meilleure équité entre les candidats à l’accession les moins fortunés pourrait être aussi une autre voie à explorer, de même que la mise en place de dispositifs territorialisés pour éviter que l’achat soit synonyme d’un éloignement toujours plus important des aménités.

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Habitat et logement

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