Les jeunes du périurbain, captifs de leur territoire ?

Note rapide Habitat-Société-Mobilité, n° 1037

22 mai 2025ContactSéverine Albe-Tersiguel, Corinne de Berny Riche, Lucile Mettetal, Frédérique Prédali, Clara Le Goff (Université de Lyon-ENS de Lyon)

Dans le périurbain francilien, les jeunes peuvent peiner à se déplacer de manière autonome. Les transports en commun y sont moins développés que dans la ville dense, et la voiture souvent indispensable, avec en corollaire une forte dépendance aux parents. Notre enquête qualitative montre que les jeunes font souvent preuve d’une grande capacité d’adaptation à ces contraintes en activant leur réseau amical, et en ayant recours aux mobilités douces là où les circulations sont bien aménagées. Un apprentissage de la mobilité est néanmoins nécessaire pour certains, et le permis de conduire reste un objectif clé. Les difficultés que rencontrent les jeunes des territoires périurbains pour se déplacer pèsent moins sur la manière dont ils se projettent dans l’avenir que leurs aspirations et ressources financières.

Un jeune Francilien sur sept âgé de 15 à 19 ans vit dans la couronne périurbaine en 2021, un espace constitué d’une mosaïque de territoires ayant chacun ses particularités historiques, sociales et paysagères. Défini par la part des actifs résidents qui se rendent dans l’agglomération voisine pour y travailler1, le périurbain est traversé par des problématiques communes, en particulier celle des mobilités. Les déplacements y sont en effet plus contraints qu’en zone densément peuplée, en particulier pour les plus jeunes, dont beaucoup dépendent fortement de l’offre en transports en commun et/ou de leurs parents pour se déplacer. L’enquête régionale sur la mobilité des Franciliens (EMG 20232) montre ainsi que 46 % des déplacements des jeunes âgés de 16 à 25 ans s’effectuent en transports en commun, contre 23 % pour ceux des Franciliens âgés de 26 à 65 ans. D’après les différentes éditions de l’enquête globale transport (EGT), les déplacements ayant pour motif l’accompagnement d’une autre personne sont aussi significativement plus importants dans les espaces périurbains. Notre enquête qualitative menée auprès de jeunes originaires du périurbain, au printemps 2024 (lire encadré plus loin), donne à voir les obstacles rencontrés et les leviers mobilisés pour gagner davantage d’autonomie dans leurs déplacements. Elle explore les choix résidentiels et d’orientation de ces jeunes aux moments charnières que représentent l’entrée dans l’enseignement supérieur ou l’accès à l’emploi, en lien avec leurs pratiques de mobilité et leur milieu social.

UNE OFFRE DE TRANSPORTS COLLECTIFS MOINS PERFORMANTE

L’offre de transports en commun est inégale entre les zones urbaines et les zones périphériques, avec un désavantage marqué pour le « périurbain des champs », éloigné des pôles urbains et des gares. Les possibilités de déplacement sont limitées en raison d’une moindre fréquence des bus ou des trains. Certains villages ne connaissent que le passage du bus scolaire, dont les horaires sont très contraints. C’est le cas d’Émancé (Yvelines), où réside Gaspar, 17 ans. Il a dû renoncer à des activités extrascolaires pour cette raison : « Je n’en fais qu’une seule, mais j’aimerais bien en faire plus. Mes parents sont obligés de venir me chercher parce que, moi, je n’ai des bus que jusqu’à 17 h 45, c’est les horaires du lycée. Après, il n’y a plus rien. » Les retards, les annulations et les imprévus liés aux transports en commun représentent une source de stress, et nécessitent une grande capacité d’adaptation. Agathe, 21 ans, a grandi à Breuillet (Essonne) et garde un souvenir amer de ses « galères de transport » : « Pour le lycée comme pour le collège, il y avait pas mal de galères de transport. Le RER, il y en avait un toutes les demi-heures. Il suffisait qu’il y en ait un qui saute… Et quand les trains étaient en retard, ils s’arrêtaient à Dourdan, alors que mon arrêt, c’était Dourdan-la-Forêt ; du coup, ça rajoutait 30 minutes à pied. » Fiona, 25 ans, déplore l’absence de bus en soirée et le dimanche à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne) : « Je trouve que le week-end, c’est désolant. Le dimanche, il y a un bus par heure, donc ils se sont dit que le dimanche, on n’a pas besoin de sortir de chez nous. » Enfin, l’usage des transports en commun suscite l’appréhension d’une partie des jeunes, en particulier des jeunes femmes, comme Joséphine, 18 ans, résidant à Sonchamp (Yvelines) : « De plus en plus, je trouve qu’il y a des gens pas très nets. Par exemple, la dernière fois, j’ai pris le TER et on m’a touché la cuisse (…). Je me dis que du moment qu’on ne les regarde pas… Peut-être que le mec qui m’a touchée, c’était parce que je l’avais regardé. Quand je reste dans ma bulle, personne ne me saoule. » Les faits divers relayés par les médias et les réseaux sociaux y contribuent. Cette appréhension, confirmée par une enquête de L’Institut Paris Region, parue en 2020, sur le sentiment d’insécurité dans les transports collectifs3, peut amener les jeunes femmes à renoncer à certains trajets ou à adopter des stratégies d’évitement comme celle évoquée par Joséphine.

UNE FORTE DÉPENDANCE À LA VOITURE ET AUX PARENTS

Dans le périurbain, la voiture est souvent perçue comme indispensable en raison de la faible offre de transports collectifs, y compris par les adolescents. En 2020, 95 % des ménages périurbains franciliens possédaient au moins une voiture et 49 % en possédaient deux ou plus4. Cette dépendance représente un frein pour les jeunes qui n’ont pas les moyens financiers de passer le permis et de s’équiper d’une voiture, notamment lorsqu’ils cherchent un emploi peu qualifié ou sont encore étudiants. Lisa, 23 ans, résidant à La Chapelle-la-Reine (Seine-et-Marne), est autonome dans ses trajets depuis qu’elle a obtenu son permis de conduire, un an plus tôt, mais elle se rappelle les crispations avec ses parents lorsqu’elle devait faire appel à eux : « Des fois, j’étais bloquée à la gare ; du coup, ils étaient obligés de venir me chercher et ça les gonflait. » Véritable rite de passage vers l’âge adulte, le permis est au programme de la majorité des lycéens interrogés, lorsqu’ils ne l’ont pas déjà. Mehdi, 18 ans, habitant de Montereau-Fault-Yonne et étudiant en STS, en a besoin pour travailler : « J’ai envie d’avoir le permis, surtout pour les intérims ou même le travail que je vais faire plus tard ; il y a beaucoup de déplacements. Du coup, c’est pour ça que j’ai besoin du permis. Par exemple, demain, j’ai un intérim, je vais devoir aller à Montereau-sur-le-Jard, c’est à 40 minutes de voiture et j’essaie de trouver quelqu’un qui pourrait me déposer. » En recherche d’emploi, Camilla, 21 ans, habitant la même ville, fait un constat analogue : « Même les boîtes d’intérim, elles ne t’appellent pas parce qu’il faut que tu aies le permis, sinon tu ne peux pas travailler, ce n’est pas sur Montereau qu’elles ont des besoins. » Mais une partie des jeunes, lorsqu’ils ne peuvent pas compter sur l’aide financière de leur famille, peinent à financer le permis, puis l’achat et l’entretien d’une voiture. Certains rencontrent même des difficultés à faire face à leurs dépenses de transports en commun lorsqu’ils ne sont plus scolarisés, comme en témoigne Guillaume Garson, le président d’Essonne Mobilités, une association qui accompagne les personnes en difficulté pour se déplacer afin de faciliter leur insertion sur le marché du travail. Les jeunes représentent environ un quart de son public, principalement dans le sud du département. À Montereau, l’association Carrefour de la réussite, financée par la commune, prend en charge les cours de conduite des jeunes les plus défavorisés en contrepartie de travaux au profit de la municipalité. Une autre association, Wimoov, partenaire de plusieurs collectivités locales en Île-de-France et ailleurs en France, forme les publics qu’elle accompagne, dont les jeunes, à l’utilisation des transports en commun en travaillant sur les freins cognitifs qui les entravent.

UN ENJEU D’APPRENTISSAGE DE LA MOBILITÉ POUR UNE PARTIE DES JEUNES

Une partie des jeunes habitant le périurbain manquent de compétences pour tirer parti des ressources disponibles. La socialisation joue un rôle important dans la manière dont ils perçoivent et utilisent les moyens de transport. Elle influence leur familiarisation avec les différents modes, leurs compétences en matière de déplacement, ainsi que leurs représentations. L’apprentissage d’aptitudes telles que la lecture de plans, d’horaires ou de correspondances, l’orientation dans l’espace, la pratique du vélo ou encore la conduite accompagnée s’effectue (ou non) en grande partie dans le cadre familial. Des inégalités se forgent ainsi dès l’enfance, en fonction du milieu social, mais aussi du genre. À Montereau, par exemple, une jeune fille n’est jamais sortie seule de son quartier avant la classe de troisième parce que ses parents considéraient le reste du territoire comme trop dangereux. Les habitudes et les pratiques de mobilité des familles ont aussi un impact significatif sur la manière dont les jeunes se représentent les différents modes de transport. Les enfants de familles utilisant peu les transports en commun peuvent alors les craindre. C’est le cas d’Oscar, 23 ans, originaire de Parmain (Val-d’Oise) et désormais installé à Paris pour ses études : « Les trains, ça m’angoissait de fou, j’avais peur de me perdre… mes parents étaient angoissés (…). J’étais très perdu dans les gares, genre gérer les horaires, les directions, choper le bon train, arriver à l’heure… » Maëlle, 24 ans, navigue entre Melun, où elle vit avec son petit ami, Évry, où elle étudie, et Paris, où elle travaille en alternance. Elle mesure les progrès qu’elle a accomplis, avec le temps, pour se déplacer : « Quand j’étais plus jeune, j’avais vraiment la phobie de me perdre dans les transports (…), mais, maintenant, je commence à prendre l’habitude, j’ai été à droite, à gauche, donc j’arrive vraiment à mieux me repérer. » La maîtrise d’applications spécialisées facilite cette appropriation, comme en témoigne désormais Oscar : « Pour moi, utiliser les transports en commun, c’est une technique (…), je l’ai ressenti très intensément quand je devais me déplacer à Paris. Ça peut paraître c*n, mais juste maîtriser l’appli SNCF… À partir du moment où tu sais utiliser les bons outils pour te repérer, là, te déplacer devient OK. » La question de l’apprentissage de la mobilité se pose ainsi, quel que soit le mode de transport.

DES MOBILITÉS SOUVENT COLLECTIVES

Au-delà de l’influence familiale, les expériences avec les pairs, amis et fréquentations peuvent également façonner les pratiques de mobilité. Les interactions sociales pendant les trajets dans les transports en commun rendent plus agréables et conviviales ces expériences partagées. Agathe garde ainsi un bon souvenir de ses trajets vers le lycée : « Il y avait beaucoup de lycéens qui se retrouvaient dans le RER et, du coup, on était vraiment beaucoup, avec des gens d’autres classes. C’étaient des moments où on discutait tous ensemble, c’était quand même chouette. » Ces trajets familiers, de même que les sorties en groupe plus lointaines, jouent un rôle dans l’acquisition de l’autonomie. Une pratique régulière facilite l’appropriation et réduit l’appréhension. Les jeunes pratiquent aussi le covoiturage, principalement avec des voisins ou des amis. Ces arrangements se concluent de manière informelle, sans passer par des applications spécifiques. Ils témoignent d’une forme de solidarité entre jeunes pour s’entraider dans leurs déplacements. Les premiers à avoir leur permis deviennent « chauffeurs » pour leurs amis, comme le décrit Oscar : « Comme on était un groupe de potes soudé, tout pouvait fonctionner avec mes deux potes qui ont eu le permis à 18 ans. Dès que j’avais vraiment besoin d’une voiture, c’était eux qui me véhiculaient. » Cette forme de dépendance est moins mal vécue que la dépendance familiale. Bien que marginal, l’auto-stop est parfois pratiqué par les jeunes, avec circonspection, compte tenu du risque de mauvaises rencontres.

LE RECOURS À DES MODES ACTIFS APPORTANT UN GAIN DE TEMPS

Face aux contraintes de mobilité qu’ils connaissent, les jeunes développent d’autres stratégies pour gagner en autonomie. Une partie d’entre eux utilisent le vélo pour des trajets courts ou moyens, en raison des gains de temps qu’il présente par rapport à la marche et de sa flexibilité, bien supérieure à celle des transports en commun sur des distances limitées. L’usage du vélo est particulièrement important chez les jeunes dont les parents n’ont pas la disponibilité pour les accompagner. Certains ont fait le choix de la trottinette électrique, une alternative appréciée pour sa facilité d’utilisation, comme le souligne Camilla : « Je trouvais ça plus pratique, en montée tu n’as pas d’effort à faire (…), en plus, sur certaines lignes de train, tu dois payer pour prendre un vélo. » Son usage peut donc plus facilement être combiné avec les transports en commun. D’autres, enfin, sont des adeptes du skate, également facile à transporter, et dont la pratique nourrit leur sociabilité au sein de groupes formés de jeunes amateurs. Cependant, les aménagements indispensables à une pratique sécurisée de ces modes actifs, quels qu’ils soient, sont souvent insuffisants. Trottoirs inexistants, étroits ou en mauvais état, et absence de pistes cyclables sécurisées ou de parkings adaptés découragent leur pratique. Le risque d’accident est évoqué par plusieurs des jeunes interrogés, comme Ugo, étudiant de 22 ans vivant à Montereau, qui a renoncé à utiliser son vélo après un accident, ou Joséphine, qui évite de le prendre la nuit : « J’ai peur quand il fait nuit. Les gens vont à fond sur la route. » Mehdi déplore l’absence de parkings aux alentours de son lycée : « Je me disais que je pourrais y aller à vélo, mais il n’y a pas d’endroit pour le mettre une fois arrivé là-bas. Des parkings voiture, il y en a beaucoup, mais pour les vélos, il n’y en a pas énormément. »

 

 

PARTIR OU RESTER DANS LE PÉRIURBAIN FRANCILIEN : UN CHOIX SOCIALEMENT CONTRAINT

Si la majorité des jeunes parviennent à gagner en autonomie dans leurs déplacements en faisant preuve de créativité, les choix d’orientation aux moments charnières de l’insertion professionnelle ou de la poursuite d’études supérieures dépendent principalement des ressources et des aspirations de la famille. Pour les jeunes de Montereau hébergés par leurs parents, un emploi est indispensable pour espérer décohabiter. C’est la perspective d’un emploi dans une autre région, s’il obtient le permis, qui a ainsi poussé Ugo à contacter l’association Carrefour de la réussite. Ceux recherchant un emploi peu qualifié sur leur territoire ont aussi souvent besoin du permis pour se porter candidats. Au moment de se projeter dans l’enseignement supérieur, les futurs étudiants sont confrontés à des choix engageant aussi leurs parents. Marvin, qui habite Les Essarts-le-Roi (Yvelines) et étudie en BTS à Saint-Denis, ne pouvait pas quitter le domicile de ses parents : « Mes parents n’ont pas les moyens de me payer un logement. J’envisageais de prendre quelque chose à Paris, le problème, c’est que c’est super cher. Et le problème aussi, c’est que je n’ai pas le temps de taffer avec les études à côté. »5 Au moment de choisir son master, Lisa a décidé, elle aussi, de rester en Île-de-France : « Quand j’ai postulé, il y avait plein de masters qui m’intéressaient dans d’autres villes, comme Toulouse. Et mon père m’a dit non. Du coup, j’ai choisi Évry, pour la facilité. » Au contraire, des parents aisés ont pu investir dans un pied-à-terre à Paris pour que leurs enfants y poursuivent leurs études, à l’instar d’Alexandre, 23 ans, originaire de Rambouillet.

RESTER VIVRE CHEZ LES PARENTS : LE CHOIX DU CONFORT

De nombreux témoignages reviennent sur le confort de la vie chez les parents, du moins au début de leurs études supérieures. Maëlle est ainsi restée à Gretz-Armainvilliers (Seine-et-Marne) les trois premières années de ses études avant de déménager à Melun pour les poursuivre : « C’était vraiment du confort. Je le vois maintenant que j’ai mon appart. Pas besoin de faire le ménage, ma mère faisait tout à la maison, donc c’était du temps que je pouvais consacrer en plus à mes études. C’était vraiment un plus. » À cet aspect pratique s’ajoute le soutien émotionnel auquel contribue la proximité bienveillante de ses proches : « Je pense que c’était aussi une chance d’être entourée de sa famille, de rester là où on avait toutes nos connaissances, tout ça. Je pense que ça a été bénéfique, ça aide à se sentir soutenu pendant ses études. » En Île-de-France, l’édition 2020 de l’enquête « Conditions de vie des étudiants » de l’Observatoire de la vie étudiante montre en effet que les étudiants logés chez leurs parents sont globalement plus satisfaits (77 %) que ceux indépendants (70 %), en particulier en ce qui concerne le confort et la superficie de leur logement. En revanche, la proximité au lieu d’études et les conditions de travail pour les études (calme, temps pour soi, pour étudier…) donnent davantage satisfaction aux étudiants qui ne vivent plus chez leurs parents, et tout particulièrement à ceux logés en résidence étudiante.

DES TEMPS DE TRAJET PARFOIS TRÈS LOURDS POUR CEUX QUI RESTENT

Les étudiants qui restent vivre chez leurs parents en grande couronne périurbaine ont des temps de trajet quotidiens particulièrement élevés : plus de 2 h 30 par jour en moyenne en 2020 en Île-de-France, d’après l’enquête « Conditions de vie des étudiants », contre 2 h 10 pour ceux résidant en petite couronne et 1 h 35 pour ceux résidant à Paris. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Arnaud, originaire de Mittainville (Yvelines) et étudiant en école de commerce à Cergy, y consacre quatre heures par jour : « Quatre heures de transport par jour, c’est un enfer absolu, même si je travaille ou que je fais autre chose. » Marvin détaille les privations qu’entraînent trois heures de trajet quotidien entre son école et le domicile de ses parents : « Au début de ma première année, à cause de mes gros temps de transport, je ne suis pas du tout sorti. Parce que je suis du style à très vite ne pas aller en cours si je suis fatigué. J’étais super casanier pour être rigoureux (…) et le deuxième semestre, c’était l’inverse, je n’étais quasiment jamais chez moi. » Mehdi, lui, a fini par renoncer à un poste à la gare de Lyon en raison de la distance depuis Montereau. D’autres, comme Marvin, tentent de rentabiliser les heures passées dans les transports en commun : « Quitte à faire du temps de transport, autant l’optimiser. Je fais du Duolingo6, mais il y a des gens, ils préfèrent aller sur Insta, d’autres préfèrent regarder des reportages, d’autres dessiner… Si tu te trouves un truc à faire, c’est pas long en tant que tel. » Mais ces temps de trajet peuvent aussi provoquer des abandons en cours de formation. D’après l’Insee, les habitants du périurbain francilien poursuivant des études supérieures en 2020 étaient les plus éloignés de leur destination : 28 km en moyenne, plus que les actifs (20 km). Si la mobilité est davantage contrainte dans les territoires périurbains, en particulier pour ceux qui ne disposent pas de voiture, les récits des jeunes rencontrés illustrent leur inventivité pour gagner en autonomie et trouver ainsi les moyens de réaliser leurs aspirations. Ils parviennent à s’adapter en se familiarisant avec les outils numériques et grâce à l’entraide générationnelle. Interrogés sur les raisons qui les ont amenés à choisir leur formation lors de leur première inscription dans l’enseignement supérieur, les étudiants habitant en grande couronne mentionnent à peine plus souvent que ceux de petite couronne et de Paris la proximité de l’établissement (13 % en première ou deuxième raison, contre 11 % en petite couronne et 6 % à Paris). Comme les autres étudiants, leur principale motivation réside dans l’intérêt qu’ils portent à la discipline. Cependant, des trajets longs et inconfortables peuvent conduire au décrochage des études ou de l’emploi. Les jeunes rencontrant des difficultés dans leurs déplacements, encore plus lorsqu’ils les cumulent avec un faible niveau de ressources, peinent davantage à se projeter dans l’avenir.

Différents leviers peuvent être mobilisés pour faciliter leurs déplacements, et les aider à mieux tirer parti de l’offre de formation et d’emploi en Île-de-France, dans un contexte de cherté du logement. Des associations comme Wimoov à l’échelle nationale, Essonne Mobilités ou encore Carrefour de la réussite à Montereau œuvrent dans ce sens en proposant différentes ressources. La Région Île-de-France y contribue également à travers des aides financières au permis de conduire pour les jeunes de 18-25 ans en insertion, des aides à l’achat de vélos électriques, la mise en place du réseau Vélo Île-de-France, avec rabattements sur les gares et stationnements à leurs abords, des cars express en grande couronne et la nouvelle tarification des transports en commun7 favorisant les résidents de grande couronne.

1. Périurbain : la classification opérée par l’Insee détermine les pôles principalement à partir de critères de densité et de population totale. Au sein du pôle, la commune la plus peuplée est appelée « commune-centre ». Les communes qui envoient au moins 15 % de leurs actifs travailler dans le pôle constituent la couronne de l’aire.
2. Enquête Mobilité par GPS réalisée par L’Institut Paris Region en 2023 sur 3 337 Franciliens âgés de 16 à 80 ans.
3. Julien Noble, « Sentiment d’insécurité dans les transports collectifs franciliens. Enquête 2019 », L’Institut Paris Region, 2020. Et Hélène Heurtel, Antoine Vielcanet, « Mieux comprendre les peurs féminines dans les transports publics », Note rapide n° 914, L’Institut Paris Region, octobre 2021.
4. Insee, recensement de la population.
5. Le loyer des étudiants décohabitants et résidant à Paris est en moyenne de 838 € par mois d’après l’enquête « Conditions de vie des étudiants » menée en 2023 par l’Observatoire de la vie étudiante.
6. Application gratuite d’apprentissage de langues étrangères.
7. Depuis le 1er janvier 2025, le tarif des transports en commun est le même quelle que soit la distance parcourue.

LE VÉLO : UNE PRATIQUE LIMITÉE CHEZ LES JEUNES

La pratique du vélo utilitaire était, dans les années 1970, l’apanage des scolaires, des jeunes et des ouvriers avant de s’effondrer, dans les années 1980. Alors que 31 % des déplacements domicile-études se faisaient à vélo en 1976, leur part était inférieure à 2 % en 2018. Désormais, cette pratique est majoritairement le fait de cadres urbains très diplômés. Le cœur d’agglomération réunit en effet de meilleures conditions pour l’usage du vélo : courtes distances, réseau cyclable et services. Cependant, certains territoires périphériques pourraient être tout aussi propices si un réseau cyclable maillé et sûr était proposé, ainsi que du stationnement vélo. En 2023, en Île-de-France, sur 1,8 million d’usagers du vélo de 16 à 80 ans, les lycéens utilisent 2,4 fois moins le vélo que les cadres, et les étudiants 1,7 fois moins. Les résidents des territoires périurbains l’utilisent 2,5 fois moins qu’en zone urbaine. L’enquête régionale sur la mobilité des Franciliens (EMG 2023) montre aussi que les femmes y ont beaucoup moins recours que les hommes (ils effectuent 69 % des déplacements à vélo).

Vous aimerez aussi

Dany Nguyen-Luong, « Enquête régionale sur la mobilité des Franciliens », avril 2024.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Périurbain | Modes actifs | Déplacements | Équipements et infrastructures | Éducation et formation | Équipements et services

Études apparentées