Les nouveaux élus franciliens : portraits et territoires

Note rapide Gouvernance, n° 970

12 janvier 2023ContactManon Courrègelongue, Isabelle Zugetta, Léo Fauconnet

Entre 2020 et 2022, la quasi-totalité des strates politiques a été renouvelée en Île-de-France - seuls les sénateurs franciliens siégeant actuellement ont été élus avant, en 2017. C'est la première fois que l'intégralité du personnel politique de la région a été désignée en vertu des nouvelles règles concernant le cumul des mandats de parlementaires avec les fonctions de maires et de présidents de collectivités.

Cette nouvelle conjoncture constitue une occasion de mieux connaître les élus franciliens et la manière dont ils représentent leur territoire. L’analyse statistique permet de dégager des ordres de grandeur sur l’identité de ces élus, à mettre en perspective avec les chiffres nationaux. Une étude plus qualitative et spatialisée de la répartition géographique des mandats cumulés par les conseilleurs municipaux propose d’identifier des espaces clés en Île-de-France et les critères qui peuvent expliquer la concentration territoriale des pouvoirs.

UNE RÉGION CAPITALE PLUS PARITAIRE

Les taux de féminisation des élus en Île-de-France sont globalement meilleurs qu’en province. Cependant, chez les exécutifs franciliens, y compris leurs chefs (adjoints, maires, vice-présidents et présidents), ils baissent, jusqu’à rejoindre, voire passer en deçà des moyennes des autres régions. Ces situations contrastées résultent pourtant de scrutins encadrés par les mêmes lois. Chaque type de mandat répond à des exigences en termes de parité qui lui sont propres. Les listes municipales doivent être paritaires avec alternance entre femmes et hommes pour les communes de 1 000 habitants et plus1. La désignation des exécutifs se soumet à une obligation de parité uniquement pour les villes de 3 500 habitants et plus. Le facteur démographique pourrait expliquer partiellement la meilleure féminisation d’une région urbaine, mais il est important de noter que l’Île-de-France reste en partie rurale, et que plus de 40 % de ses communes comptent moins de 1 000 habitants. Le mandat communautaire est systématiquement le moins paritaire, bien que les conseillers communautaires soient élus en même temps que les conseillers municipaux et, parmi eux, sur une liste qui doit aussi présenter une alternance des sexes. Les membres des instances spécifiques à l’Île-de-France (Métropole du Grand Paris-MGP et établissements publics territoriaux-EPT) sont élus sur le même mode. Malgré le principe d’alternance, une liste impaire de candidats rendra possible une majorité d’un sexe ou de l’autre, déterminée par l’identité de la première personne y figurant. Quant à la parité presque parfaite des assemblées départementales, elle est une conséquence directe du scrutin binominal mixte et de l’élection de l’exécutif2 sur liste avec alternance, ce qui n’empêche pas une majorité écrasante d’hommes au poste de président. Les représentants régionaux sont, eux, élus sur listes paritaires avec alternance et désignent leur exécutif en leur sein de la même façon3. En ce qui concerne les élections parlementaires, les partis ont la consigne de présenter un nombre égal de femmes et d’hommes, mais ce n’est qu’incitatif pour l’élection des députés – une pénalité financière sera appliquée au parti en cas de non-respect de la règle.

DES ÉLUS PLUS JEUNES

Le personnel politique francilien se caractérise par un âge moyen plutôt inférieur à celui des élus de province et par une représentation plus forte des moins de 30 ans – cela est à mettre en relation avec le fait que l’Île-de-France est la région la plus jeune de France4 –, mais aussi par une répartition légèrement plus homogène parmi les âges. Certaines tendances sont néanmoins communes à tout le territoire français. Les élues sont, par exemple, toujours un petit peu plus jeunes en moyenne que leurs homologues masculins. Les courbes d’âge du bloc communal suivent les mêmes tendances en Île-de-France et ailleurs, avec des exécutifs municipaux représentatifs de leurs assemblées (conseillers) mais plus âgés qu’elles, sans que ce soit le cas dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Leurs élus étant souvent maires ou adjoints de leur commune, le contraste entre exécutifs et conseillers y est moins marqué. Les élus des instances métropolitaines (MGP et EPT) sont relativement bien répartis parmi les classes d’âge et, fait notable, ont, chez les femmes, un exécutif dont l’âge médian est inférieur à celui des assemblées. Les mandats départementaux et régionaux sont marqués par de fortes dissemblances Île-de-France/province. Les élus départementaux franciliens ont tous plus de 30 ans, bien que leur âge médian soit inférieur à celui des autres régions, et, chez les hommes, l’âge des élus dans l’exécutif est plus dispersé que celui des conseillers. Au contraire, les âges des exécutifs régionaux restent particulièrement concentrés autour de l’âge moyen. Quant aux parlementaires, ils suivent des dynamiques semblables sur toute la France, si ce n’est que l’âge auquel les femmes sont le mieux représentées est plus bas de dix ans dans la région capitale.

DEUX FOIS PLUS D’ÉLUS CADRES ET ÉTUDIANTS

Du point de vue des catégories socioprofessionnelles des élus, on observe un taux de cadres et de chefs d’entreprise particulièrement élevé en Île-de-France, représentatif de la forte concentration de ces professions dans la région5. La seconde catégorie francilienne concernée par un rapport du simple au double par rapport à la province est celle des étudiants (population elle aussi surreprésentée dans la région6), une donnée étroitement liée à la jeunesse des élus. À l’inverse, bien que l’Île-de-France reste une région agricole (50 % de l’occupation des sols)7, les agriculteurs y sont trois fois moins représentés que dans le reste de la France. En Île-de-France, les mandats locaux sont caractérisés par une plus faible proportion de cadres et de professions libérales, et par un taux plus élevé d’agriculteurs et d’étudiants. Les effectifs de la MGP et des EPT sont plus proches sociologiquement des élus départementaux que des élus communautaires de grande couronne. Cela aurait pu s’expliquer par le fait que la proportion d’élus territoriaux ou métropolitains qui sont aussi élus départementaux est deux fois plus élevée qu’en grande couronne, mais ce chiffre reste néanmoins assez bas (8 %). On peut en déduire que les élus communautaires de petite couronne ressemblent davantage aux élus des strates supérieures, quand les élus communautaires de grande couronne ressemblent aux élus municipaux. Au-delà des caractéristiques qui constituent leur identité, que peut nous indiquer l’ancrage local des élus franciliens ?

EFFECTIFS FRANCILIENS ET CUMULS DE MANDATS

Parmi les élus franciliens, tous mandats confondus, on ne trouve qu’environ 200 individus sans attache municipale. Cela concerne 40 % des conseillers régionaux et 13 % des conseillers départementaux. Ainsi, 122 conseillers régionaux et 268 conseillers départementaux exercent un mandat dans leur commune. À noter que, bien que la loi ne l’interdise pas, aucun élu francilien ne siège à la fois à la Région et dans son Département. Il semble alors que plus l’échelle sur laquelle s’exerce le mandat s’éloigne de celle de la commune, moins les élus concernés ont tendance à siéger aussi dans leur municipalité. Concernant les chefs d’exécutif locaux, la présidente de Région est élue municipale, tout comme les présidents de Départements (à l’exception de Pierre Bédier, dont ce n’est plus le cas). François Durovray et Olivier Capitanio, présidents respectivement de l’Essonne et du Val-de-Marne, ont la particularité de présider également leur EPCI, dont la majorité des 63 présidents – président de la MGP inclus – n’exercent pas de mandat dans une strate supérieure au bloc local. Seuls quinze d’entre eux sont également élus départementaux et huit siègent au conseil régional d’Île-de-France (Crif). Le cumul avec d’autres mandats est pratiqué par près de la moitié des parlementaires franciliens. Au cours du mandat précédant la loi de 2014, près de 70 % des députés franciliens étaient également élus municipaux. Après les élections de 2017, ce chiffre a été divisé par deux et a continué à baisser parmi les députés élus en juin 2022 (26 %). Trois députés siègent dans un Département et dix à la Région ; un seul exerce deux autres mandats (municipal et départemental). Chez les 29 sénateurs franciliens qui cumulent plusieurs mandats, 22 sont élus municipaux ou intercommunaux, cinq sont élus dans un Département et trois à la Région. Là aussi, un seul sénateur occupe deux sièges (Région et commune) en plus de celui au Palais du Luxembourg. Contrairement à ce que l’on observe chez les députés, le taux de sénateurs cumulant un mandat local ne semble pas avoir été affecté par les dernières restrictions législatives. Il a même légèrement augmenté entre la mandature de 2011 (57 %) et celle de 2017 (62 %). Mais ces constats à l’échelle régionale doivent être complétés par un regard sur les situations locales, révélant des différences d’ancrage : là où Paris ne compte que quatre parlementaires sur 30 exerçant un mandat local, la norme dans les départements franciliens se situe plutôt aux alentours de 30 % de parlementaires dans ce cas. L’Essonne et les Hauts-de-Seine apparaissent atypiques, la moitié de leurs parlementaires siégeant dans une municipalité.

 

TERRITOIRES CLÉS : UNE CERTAINE CONCENTRATION GÉOGRAPHIQUE DES POUVOIRS

L’encadrement strict des cumuls de mandats et la recomposition du paysage politique ont fait disparaître la figure du « député/sénateur-maire ». Certes, les parlementaires et autres « grands » élus entretiennent nécessairement des liens étroits avec les élus locaux de leur circonscription, mais ceux-là sont d’une autre nature que dans la situation où une même personne était à la fois à la tête de la mairie et d’une collectivité de niveau supérieur (Département ou Région) et/ou représentait sa terre d’élection au niveau national (au Parlement). Pour autant, on peut encore identifier des contextes qui témoignent de formes de concentration géographique des pouvoirs. La méthode choisie ici consiste à recenser et à localiser tous les « grands » élus (parlementaires, conseillers régionaux et conseillers départementaux) qui exercent également un mandat municipal. On parvient, de cette manière, à identifier certaines communes dont les élus locaux sont plus ou moins nombreux à assurer des liens directs avec les niveaux de décision supérieurs. Cela n’épuise pas les relais d’influence dont peuvent bénéficier les élus locaux afin de mobiliser des ressources pour leurs territoires, mais cette approche quantitative permet tout de même de dessiner une géographie et une typologie des territoires qui « pèsent » dans l’organisation politique et institutionnelle francilienne. Les points sur la carte ci-contre représentent, pour chaque commune, les types de mandats de niveau « supérieur » exercés par un ou plusieurs élus municipaux. Si les mandats intercommunaux ne sont pas pris en compte, chaque municipalité bénéficiant de représentants, les communes d’élection des présidents d’EPCI apparaissent sur la carte. On constate ainsi un maillage très contrasté de l’Île-de-France par les grands élus. Dans les départements de petite couronne, l’immense majorité (83 %) des 123 communes compte au moins un élu municipal qui siège également à un niveau « supérieur ». Une certaine logique de densité se fait jour : les territoires fortement peuplés étant représentés par un plus grand nombre d’élus (départementaux, régionaux et parlementaires), la probabilité y est plus forte qu’un élu local ait accédé à un autre mandat. Dans la continuité, les communes limitrophes de la petite couronne, qui font partie de l’agglomération parisienne, présentent des caractéristiques similaires. Pour autant, au sein de ce coeur d’agglomération, des concentrations particulières s’observent au bénéfice de certaines communes. Boulogne-Billancourt incarne ce phénomène, avec six « grands » mandats exercés par ses élus communaux. Saint-Denis et Créteil suivent, avec chacune cinq mandats. Plus largement, toutes les communes présentant une forte concentration de « grands » mandats (quatre ou plus) ont pour points communs d’être, à l’échelle de leur intercommunalité, le centre fonctionnel (commune la plus peuplée) et/ou politique (ville d’élection du président de l’EPCI). Seules Courbevoie, Le Blanc-Mesnil (cinq mandats chacune) et Pantin (quatre) dérogent à cette logique. Dès que l’on accède aux territoires périurbains et ruraux, le nombre de communes accueillant de « grands » élus chute brutalement. Ainsi, les territoires des intercommunalités de grande couronne accueillent pour la plupart (18 sur 31) seulement un ou deux élus locaux ayant un autre mandat. Dans chacun des départements de grande couronne, on trouve même au moins une intercommunalité – toutes situées aux franges de l’Île-de-France – dont aucun élu local ne siège à un niveau supérieur. À cet égard, la communauté de communes de la Brie des Rivières et Châteaux ainsi que la communauté d’agglomération Rambouillet Territoires apparaissent atypiques, avec chacune quatre mandats permettant la représentation à plus grande échelle. La communauté de communes du Val d’Essonne l’est encore plus, avec cinq mandats. Les rares cas de conseils municipaux de grande couronne où l’on trouve des élus occupant plusieurs mandats de niveaux « supérieurs » sont tous ceux de villes-centres (villes les plus peuplées de leur intercommunalité) et bien souvent les terres d’élection des présidents d’EPCI. On recense seulement quatre exceptions de villes qui ne remplissent pas ces critères : Saint-Denis-lès-Rebais (77), avec la sénatrice Anne Chain-Larché, qui est également conseillère municipale et régionale ; Beauvoir (77), où le député Jean-Louis Thiériot est conseiller municipal en plus de siéger au Département ; Mennecy (91), dont le maire, Jean-Philippe Dugoin-Clément, est le vice-président de la Région et dont une conseillère siège également au Département ; et enfin Mantes-la-Ville (78), où le conseil municipal compte dans ses rangs deux élus régionaux (dont le maire, Sami Damergy) et une élue départementale.

ÉLUS CHARNIÈRES DU MILLEFEUILLE FRANCILIEN

Les élus franciliens semblent représentatifs de leur région, par ce qu’ils sont et par le maillage territorial qu’ils constituent. Les caractéristiques des parlementaires résultent probablement autant des évolutions politiques que de celles du cadre juridique. Les mêmes règles ont ainsi produit des effets totalement différents entre des députés, élus au suffrage universel direct, dont l’ancrage local est en chute libre, et des sénateurs, désignés majoritairement par des élus locaux, et qui le sont eux-mêmes plus que jamais. Cet état des lieux révèle également des différences de nature entre les mandats départementaux, encore très connectés au niveau communal, et ceux à la Région, qui le sont beaucoup moins. Il serait d’ailleurs intéressant de mieux comprendre ce qui crée la forte dissociation politique entre les institutions départementales et régionales, étant donné qu’aucun élu en Île-de- France ne siège à la fois dans les deux types d’assemblées. L’encadrement des cumuls de mandats a aussi eu pour effet de limiter une certaine accession des présidents d’intercommunalités – qui conservent pour la plupart leur casquette de maire – aux scènes politiques supérieures. Pour autant, leurs communes d’élection sont souvent celles qui polarisent les grands élus, notamment en grande couronne, où ceux-ci sont moins nombreux. En petite couronne, la logique démographique au profit des communes les plus peuplées semble l’emporter. À ce titre, l’ouest du coeur d’agglomération apparaît tout de même comme singulier, avec des connexions particulièrement fortes entre niveaux locaux et supérieurs. Ce constat pourrait être complété par la prise en compte d’autres catégories de responsabilité, comme les présidents de grands syndicats de services urbains, dont la moitié sont maires dans les Hauts-de-Seine.

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