Les outils pour mieux combattre le sentiment d'insécurité dans les transports franciliens

Note rapide Prévention-Sécurité, n° 955

06 octobre 2022ContactAntoine Vielcanet

Les acteurs des transports collectifs en Île-de-France ont investi les questions de sûreté, notamment pour atténuer le sentiment d'insécurité des usagers dans ces espaces, une tâche particulièrement complexe. Identifier les situations anxiogènes lors des déplacements des Franciliens apparaît crucial pour mettre en œuvre les réponses adéquates.

Le sentiment d’insécurité dans les transports collectifs d’Île-de-France reste à un niveau élevé alors même que le risque d’y subir un vol ou une agression demeure relativement faible. Pour mieux comprendre ce décalage et agir sur les peurs des usagers, il est nécessaire d’appréhender ce que vivent les Franciliens au quotidien lors de leurs trajets sur le réseau. Quelles sont les situations les plus anxiogènes en fonction des lieux, du profil des usagers et de l’heure de leurs déplacements ? Deux enquêtes, l’une statistique et l’autre qualitative, conduites par L’Institut Paris Region, permettent d’apporter des éléments de réponse et de tracer des pistes d’amélioration.

En 2020, le ministère de l’Intérieur dénombre 29 victimes de vols et de violences par million de trajets dans les transports collectifs franciliens, contre 22 en 2019. Un taux relativement faible qui masque toutefois une réalité plus nuancée. D’abord, les transports collectifs concentrent une part importante de la délinquance en Île-de-France : un tiers des vols sans violence, un quart des vols violents et deux cinquièmes des violences graves à l’encontre des femmes dans l’espace public se produisent sur le réseau de transport. Ensuite, la mesure des atteintes aux personnes (victimations) reste imparfaite : d’un côté, certaines atteintes sont largement sous-estimées (les agressions verbales ou sexuelles, notamment) ; de l’autre, leur recensement ne prend pas en compte le vécu des individus. Or, avoir été victime ou témoin d’une agression ou d’un vol peut influencer la perception de sécurité des usagers. Autrement dit, les statistiques sous-estiment certaines atteintes, comme leurs impacts sur les individus. Étudier plus précisément les peurs s’avère donc nécessaire pour faire reculer le sentiment d’insécurité dans les transports collectifs.

Île-de-France Mobilités (IDFM), l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT) et L’Institut Paris Region ont ainsi réalisé en 2019 une enquête statistique inédite, « Sentiment d’insécurité dans les transports franciliens » (ESIT-IDF), qui a recueilli 50 222 réponses. Celle-ci révèle des similitudes entre les profils des victimes enregistrées par les services policiers dans les transports et ceux des répondants à l’ESIT-IDF qui ont ressenti de la peur dans ces espaces. Le vol avec ou sans violence, par exemple, est l’atteinte la plus redoutée par les répondants à l’ESIT-IDF comme la plus subie par les victimes recensées dans les transports. De plus, ces résultats démontrent une répartition sexuée des appréhensions, qui correspond peu ou prou à une répartition genrée des victimes : les personnes victimes ou inquiètes d’une agression sexuelle sont en grande majorité des femmes, tandis que celles victimes ou inquiètes d’une agression physique sans vol sont plutôt des hommes. À l’inégale répartition des appréhensions répond une inégale répartition des victimations.
En 2022, dans le prolongement de cette enquête, L’Institut Paris Region a mené une étude pour donner un ancrage territorial aux données quantitatives récoltées (observations et entretiens semi-directifs). Celle-ci identifie les principaux leviers de lutte contre le sentiment d’insécurité dans les transports collectifs : les opérateurs et leurs partenaires humanisent les réseaux (augmenter le nombre ou la coordination des personnels au contact des usagers) ; ils développent également une dimension technique de la sécurité (entretenir, aménager et maîtriser les espaces en s’appuyant notamment sur des technologies innovantes telles que l’usage de l’intelligence artificielle pour guider l’action des équipes) ; ils peuvent enfin inclure les usagers dans le continuum de sécurité (les inciter à adopter les bons réflexes ou comportements). Ces leviers ne sont pas cloisonnés mais fonctionnent en interaction et constituent les maillons d’une chaîne de production de sûreté dans les transports collectifs. Analyser le sentiment d’insécurité peut, par ailleurs, aider à orienter le déploiement de ces outils.

CARTOGRAPHIER L’INSÉCURITÉ

L’enquête statistique ESIT-IDF permet de localiser et de qualifier les peurs, notamment à travers la description précise des dernières expériences de peur des enquêtés. Son caractère territorialisé permet de cartographier les espaces nécessitant une attention particulière de la part des autorités compétentes, en détaillant, par exemple, les facteurs à l’origine de la peur ou les heures les plus anxiogènes. La carte ci-dessous donne à voir l’inégale répartition de la peur nocturne : celle-ci est plus forte dans les grandes gares du centre (particulièrement au nord et à l’est de Paris), mais aussi ponctuellement dans certaines gares de banlieue (plutôt au sud de la capitale).
Ainsi, ce type de dispositif permet de construire des indicateurs de suivi du sentiment d’insécurité et d’évaluation des actions, voire d’établir des diagnostics de sécurité (au niveau des réseaux – métro, RER, bus… –, des lignes ou des arrêts). Si cela est intéressant pour mieux saisir l’insécurité en Île-de-France, sa dimension territoriale offre un outil innovant d’orientation des politiques de sécurité dans les transports. En effet, le rattachement des dernières expériences de peur à un espace-temps singulier, à des causes et à un type de crainte permet d’apporter des réponses adaptées site par site.

RENFORCER LA PRÉSENCE HUMAINE, PLÉBISCITÉE PAR LES PERSONNES SUJETTES À L’INSÉCURITÉ

Plus de la moitié des répondants à l’ESIT-IDF souhaitent augmenter le nombre d’agents de sécurité de la SNCF et de la RATP, et presque autant le nombre de gendarmes et de policiers. 26,3 % des répondants signalent l’absence de personnel lors de leur dernière expérience de peur dans les transports collectifs. Tranquilliser les usagers suppose donc de poursuivre l’humanisation des réseaux.
Différents types de personnels assurent cette mission. Les policiers de brigade des réseaux franciliens parcourent le réseau, sécurisent les points stratégiques et accueillent les victimes dans des postes en gare. Des groupes spécialisés, portés sur le volet judiciaire, luttent contre les phénomènes caractérisés de délinquance dans les transports (vol à l’arraché, graffitis, infractions à caractère sexuel...). Les gendarmes franciliens assurent aussi une présence régulière et organisée dans les gares et les véhicules de transport, qui les amène à intervenir en dehors de leur périmètre géographique habituel. Armés et en uniformes, les agents de la Sûreté ferroviaire (SNCF) et du Groupe de protection et de sécurité des réseaux (RATP) assurent la protection des voyageurs, des personnels et du patrimoine. L’extension de leur champ de compétences les positionne comme des partenaires clés pour les agents de l’État (contrôle des titres de transport, fouilles et palpation, patrouilles en civil, etc.).

MIEUX COORDONNER LES AGENTS SUR LE TERRAIN ET DÉVELOPPER LES PARTENARIATS

Si l’augmentation du nombre de ces acteurs historiques de la sécurité dans les transports est un levier privilégié de la lutte contre l’insécurité, elle représente néanmoins un coût relativement élevé. Aussi, une meilleure imbrication des différents types d’agents sur le terrain permet une plus forte présence humaine dans les réseaux : la création de directions « sûreté » chez les transporteurs a facilité la coordination avec les forces de l’ordre (circulation des bonnes pratiques, formations ou patrouilles conjointes, opérations ciblées communes…). Par ailleurs, la recherche de partenariats innovants renforce la visibilité de la présence humaine : la Région Île-de-France conventionne avec la Gendarmerie nationale, et finance la création de postes d’agents de sécurité privée et de médiateurs. Ces derniers, présents dans les transports collectifs depuis la fin des années 1990, orientent les voyageurs, apaisent les tensions, et atténuent le sentiment d’insécurité des usagers et des personnels. De plus, leur recrutement octroie aux opérateurs la possibilité de dépasser leur mission de transporteurs : prévention dans les établissements scolaires, partenariat avec les collectivités ou les forces de l’ordre…

 

PRÉVENIR LA CRIMINALITÉ ET FAVORISER LE SENTIMENT DE SÉCURITÉ

Pour les gestionnaires des transports collectifs, outre l’humanisation des réseaux, plusieurs moyens techniques permettent de favoriser le sentiment de sécurité. Dans un premier temps, la prévention de la criminalité a cherché à agir sur ses causes (prévention sociale : éducation, insertion professionnelle, sport, culture…). L’impact de ces méthodes restant difficile à évaluer, les transporteurs et leurs partenaires se tournent davantage vers des solutions immédiates et sur mesure (prévention situationnelle : luminosité et ambiance, sièges individuels sur les quais, caméras de vidéosurveillance…).
Pour prévenir l’insécurité dans les transports collectifs à travers l’aménagement de l’espace, trois constats s’imposent. L’intensité du trafic renouvelle constamment les usagers, qui se révèlent être des cibles idéales a fortiori s’ils ne semblent pas habitués aux transports. La nature utilitaire et transitoire des lieux ne favorise pas le sentiment d’appartenance ni l’appropriation des espaces. Le caractère étendu du réseau rend la surveillance complexe.
Ainsi, il s’agit surtout d’affirmer la présence d’un « maître des lieux », selon l’expression consacrée par les théories de la prévention situationnelle. Pour cela, il apparaît nécessaire d’ordonner les flux, en poursuivant les actions engagées pour des sens de circulation clairs, une signalétique efficace, et des véhicules spacieux et adaptés au trafic, notamment. Il faut également découper le réseau en zones : les gares étant ouvertes au public, la validation des titres de transport marque l’entrée dans un espace sous responsabilité d’un gestionnaire identifié. Entretenir les lieux est aussi essentiel – la propreté participe au sentiment de sécurité et incite à mieux respecter les véhicules et les bâtiments –, au même titre que faciliter les vues, en jouant sur la lumière ou le désencombrement de l’espace, afin de permettre aux usagers de voir pour anticiper et d’être vus pour être secourus.

PENSER LA SÉCURITÉ EN RÉSEAU

Il s’agit également de penser la sécurité en réseau, selon trois axes. En premier lieu, le besoin de vidéosurveillance : celle-ci facilite la coordination des acteurs sur le terrain dans un univers étendu. La création récente d’un Centre de coordination opérationnelle de sécurité (CCOS) à la préfecture de police de Paris vise à améliorer la célérité et l’efficacité du traitement des faits de sûreté. Le CCOS donne une vision panoptique aux responsables de la sécurité (tout voir sans être vu), qui ne doit pas occulter l’importance du placement et du renouvellement des caméras (mieux voir). Deuxièmement, l’appel au civisme : les transporteurs responsabilisent les usagers dans leurs campagnes de communication afin de prévenir les incivilités, génératrices de sentiment d’insécurité. Ils développent un diptyque fraude-incivilité (limiter le premier servirait la lutte contre le second). L’appel au civisme doit néanmoins s’adresser à tous types d’usagers, au risque d’entrer dans une logique infructueuse d’exclusion (les « bons » contre les « mauvais »). Enfin, le développement de gares servicielles et vivantes : les gestionnaires animent les bâtiments voyageurs selon les principes de la prévention situationnelle (surveillance naturelle, bien-être et sensation d’appartenance). La présence de squatteurs générant de l’anxiété, il faut développer des espaces à la fois attractifs et dissuasifs. La RATP et la SNCF essaient également de prendre en charge les personnes en situation d’exclusion sociale, à travers des référents sociétaux ou des partenariats avec des associations, et IDFM finance à cet effet des maisons solidaires.

ASSOCIER LES USAGERS À LA PRODUCTION DE SÉCURITÉ

Les voyageurs sont bien souvent les primo-intervenants lors de l’apparition d’un désordre. Les transporteurs les incitent donc à relayer l’information, notamment en disposant des bornes sur les quais ou en communiquant sur le numéro et l’application mobile d’appel d’urgence. Il s’agit également d’inclure les usagers ou leurs représentants dans la construction des politiques de sécurité : mieux connaître ses clients pour cibler les aspirations et les besoins ou, plus simplement, évaluer les actions menées au niveau local (mesurer l’impact d’une opération de réhabilitation, par exemple).
Les opérateurs puisent dans les sciences humaines pour rassurer les voyageurs. Par exemple, l’usage du nudge (ou coup de pouce en français), technique issue des sciences comportementales, incite les individus à adopter le comportement recherché (suggérer plutôt que contraindre). De plus, les gestionnaires peuvent jouer sur les codes de comportements acquis par les individus à travers des expériences passées. La mobilisation de l’art dans l’aménagement ou l’animation des espaces permet de procurer une sensation de bien-être comme d’influer sur les comportements du plus grand nombre (respect des œuvres). La commercialisation des espaces de mobilité contribue à accroître la surveillance naturelle des lieux, et importe les proscriptions et les prescriptions issues de la socialisation au shopping (respect du travail des personnels et des autres clients). Il s’agit donc de penser et d’activer des « dispositions à agir » antérieurement acquises, de faire correspondre les comportements aux événements (expositions temporaires) ou aux types de lieux (galeries d’art, commerces, restaurants…).

 

SAISIR L’INFLUENCE DE L’ESPACE SUR LA PEUR

Les acteurs historiques de la sécurité dans les transports et les nouveaux partenaires humanisent les réseaux. Ils gagneraient en visibilité avec une coordination plus imbriquée encore, une meilleure implication des polices municipales ou une plus grande souplesse dans la déambulation des médiateurs et des réservistes. La politique francilienne de sécurisation technique des espaces à travers de grandes opérations de rénovation change l’expérience des transports collectifs. La plupart des bâtiments sont pensés pour le mass transit et comme des lieux de vie, afin d’inspirer la confiance des usagers et de les inciter à respecter ces espaces. Les transporteurs encouragent la vigilance des usagers. Ils mènent des campagnes de sensibilisation sous la houlette de l’autorité organisatrice des mobilités.
Pour accompagner et évaluer ces dispositifs, la construction d’un baromètre recueillant précisément les opinions, les victimations et l’insécurité ressentie apparaît comme une nécessité. La cartographie des peurs en soirée et de leurs causes fournit une aide à la décision : quels leviers activer à quels endroits et à quels horaires pour rassurer les usagers inquiets ? Afin de réduire l’insécurité dans les transports, il est nécessaire de mieux comprendre les ressorts de l’insécurité personnelle dans les transports en général, mais également de saisir l’influence de l’espace sur la peur, en détaillant le ressenti des usagers jusqu’à l’échelle micro-locale du quai d’une gare.■

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