Les ressorts d'une région bâtisseuse

Vingt ans de construction de logements en Île-de-France

23 mars 2023ContactMartin Omhovère, Philippe Pauquet, Amélie Rousseau, Emmanuel Trouillard, Philippe Louchart, Noémie De Andrade

En caractérisant la géographie de la construction, la nature des logements produits ainsi que les ressources foncières mobilisées, L’Institut Paris Region dévoile vingt ans de mutations majeures, marquées par une augmentation de la production de logements, concurrencée par de nouveaux usages et des prix à la hausse. Au moment où les révisions du schéma directeur (Sdrife) et du SRHH sont engagées, ce travail éclaire l’impact de la production neuve sur la diversification du parc de logements et les enjeux de développement d’une offre abordable, questionnant la capacité du parc final à loger les Franciliens.

Le booster des 70 000 logements

En 2010, le législateur introduisait un objectif francilien de construction de 70 000 logements par an dans la loi Grand Paris. Que s’est-il passé depuis ? En 2017, l’objectif est atteint et la dynamique de construction francilienne est plus vigoureuse que dans le reste du pays. La construction y est même plus dynamique qu’à Londres ou New York, tout au long des vingt dernières années. De 420 000 logements construits à près de 660 000, la construction progresse de moitié entre les deux décennies. Cette augmentation s’accompagne de mutations profondes, dans sa géographie comme dans la nature des logements construits.

 

La transformation de la petite couronne

La progression est particulièrement marquée en petite couronne, avec des niveaux parfois doublés, d’importants projets d’aménagement, la transformation d’anciens territoires industriels et l’achèvement des opérations du premier programme Anru. Autant de grands projets qui participent à la transformation de la petite couronne. La grande couronne bouge aussi avec ses grands projets d’aménagement et rénove ses quartiers des années 1960 et 1970.

 

Une dynamique portée par l’habitat collectif

De 2011 à 2020, la réalisation de maisons recule de 9 % par rapport aux années 2000. La construction d’appartements, elle, bondit de 78 %. Cette dernière décennie est aussi marquée par le développement des résidences pour étudiants, jeunes ou encore personnes âgées en petite couronne. Ces mutations s’étendent aussi à la grande couronne avec une importante diversification de la production permettant de répondre aux besoins des jeunes décohabitants, étudiants et jeunes actifs.

 

Près 9 m² de perdus en superficie en moyenne

Ces vingt dernières années se singularisent également par la réduction de la surface moyenne des logements construits. Si cette baisse de surface s’explique notamment par le recul de la construction de maisons et la montée en puissance des appartements, à structure de logements constante, la superficie moyenne des logements neufs a tout de même perdu 9 m².

Moins de maisons individuelles, plus de renouvellement urbain : le pari de la sobriété foncière tenu

La baisse de la production de maisons individuelles réduit la consommation d’espace : 19 % des surfaces urbanisées pour le logement étaient prélevées sur les espaces naturels agricoles et forestiers de 2016 à 2020, contre 25 % de 2001 à 2005. Par ailleurs, la densité des opérations résidentielles a progressé et ce, quel que soit leur type. En grande couronne, l’optimisation foncière se traduit par des extensions d’une densité proche des tissus urbains existants. Le renouvellement urbain et les changements d’usages augmentent. Deux modes de production foncière qui portent l’intégralité de l’augmentation récente de la construction de logements.

 

 

Davantage de logements sociaux, mais plus chers

Au-delà de la dimension quantitative, développer une offre abordable et complémentaire au parc existant pour contrebalancer la cherté de l’immobilier privé, est essentiel. Ces vingt dernières années, près de 367 000 logements sociaux supplémentaires ont été mis en service, représentant une progression de plus d'un quart (27 % de l’offre régionale. L’offre sociale se diffuse et se renforce en grande couronne au cours des dix dernières années : près d’une construction sociale sur deux y a été réalisée. Mais l’offre neuve s’avère plus onéreuse que le parc social existant : seulement 12 % de constructions sociales récentes présentent des loyers faibles, contre 44 % dans l’ensemble du parc social. Les efforts évidents de production de logements sociaux à bas loyer – notamment en grande couronne – restent donc insuffisants pour répondre à la forte demande des ménages franciliens aux revenus les plus modestes.

Diffusion du logement social : l’effet SRU et au-delà une nécessité

Environ 694 communes accueillaient des logements sociaux en Île-de-France en 2021, soit 45 de plus que dix ans plus tôt. Selon les indicateurs développés par L’Institut Paris Region, l’application de la loi SRU contribue à soutenir la construction de logements sociaux : dans les 206 communes qui en comptaient moins de 20 % en 2011, entre 27 à 40 % des constructions réalisées visent le développement de l’offre sociale. Outre l’application de la loi SRU, des logements sociaux sont aussi construits dans des territoires situés en dehors du périmètre d’application de la loi, pour répondre aux besoins en logements abordables de leur population, notamment jeunes décohabitants, « travailleurs clés » ou encore familles monoparentales. Malgré ces efforts, la production sociale n’a été que de 20 700 logements par an au cours de la période 2011-2020 en Île-de-France, loin des 32 000 logements sociaux attendus chaque année au titre de la loi SRU.

 

Déficit de construction : le paradoxe de la mixité sociale

Le secteur social n’a pas pleinement bénéficié de l’embellie de la construction observée au cours des années 2015-2019. Outre les évolutions propres au secteur (réorganisation du tissu des bailleurs, compensation obligatoire de la réduction des APL), l’étude identifie d’autres facteurs fragilisant la production sociale, en particulier sa dépendance croissante à la production libre. Les programmes mêlant social et libre, permettent d’équilibrer le bilan de la partie sociale. Cette production plus « discrète » des logements sociaux facilite l’acceptabilité locale des projets. Mais systématiquement, ces opérations sont synonymes d’une part sociale minoritaire au sein des programmes, limitant d’autant le rythme de la diversification.

Diminution de l’offre de logements : la captation par de nouveaux usages

Malgré une construction dynamique, la captation de logements par de nouveaux usages a freiné l’augmentation du parc occupé par des Franciliens. Le parc « inoccupé » (résidences secondaires, pied-à-terre occasionnels, locations saisonnières à l’année, logements transitoirement vacants) s’est en effet accru, ces dernières années (+16 500/an). Ces mutations observées dans l’utilisation du parc existant découlent autant du dynamisme économique et de l’attractivité économique de la métropole francilienne (pied-à-terre, locations touristiques à l’année), que des périodes d’immobilisation nécessaires aux travaux de rénovation, aux ventes et aux remises en location entre deux occupants. Ces logements « inoccupés » progressent plus vite que le reste du parc, 525 000 en 2013 à 640 000 en 2019 (+21,5 %), en grande et petite couronne, contribuant à faire diminuer, depuis la fin des années 2000, la part des logements servant à loger durablement les Franciliens.

Pour une nouvelle mobilisation des acteurs

Cette étude montre qu’il est possible de concilier l’exigence ZAN avec les objectifs de construction, le tout dans le respect des territoires. La question réside dès lors davantage dans la nature des logements à construire, non seulement pour atteindre les 70 000 logements, mais aussi et surtout pour répondre aux besoins des Franciliens. La question suivante étant celle des moyens à réunir pour y parvenir, dans un contexte où la production sociale est davantage tributaire de la production privée, production privée elle-même fragilisée par la dégradation des conditions de financement des ménages. L’amélioration de la connaissance de la vacance et, plus globalement, des logements inoccupés à l’année dans le parc francilien, reste un enjeu fort pour l’orientation des politiques de l’habitat, en appréhendant plus finement les liens entre construction et évolution du parc.

À l’avenir, les enjeux massifs de rénovation du parc ainsi que l’augmentation du nombre de Franciliens « à temps partiel », liée au télétravail, pourraient encore limiter l’utilisation du parc existant au bénéfice de résidents franciliens. Une perspective qui renforce la nécessité de maintenir des objectifs de construction ambitieux, tout en maîtrisant la destination des logements nouvellement construits. Dans un contexte où la production sociale est davantage tributaire de la production privée, production privée elle-même fragilisée par la dégradation des conditions de financement des ménages, répondre aux objectifs de la loi Grand Paris pour améliorer les conditions de logement de Franciliens appelle une nouvelle mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’habitat, collectivités, aménageurs et acteurs fonciers, promoteurs et bailleurs sociaux, pour établir une vision commune et opérationnelle de l’offre de logements à construire.■

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Société et habitat | Habitat et logement | Politique de la ville