Réconcilier densité et qualité de la construction
Il faut densifier. Mais à quoi ça ressemble, la densification ? Densifier, est-ce construire à nouveau des grands ensembles ? Est-ce détruire les paysages bâtis ? Enlaidir la ville ? Est-ce nécessairement produire des opérations de piètre qualité, tant pour les riverains que pour les habitants ? Ces questions, parmi d’autres, ce sont un peu celles que se posent les Français lorsque l’on parle de densité ou de densification. Or, avec l’objectif Zéro artificialisation nette, le regard porté sur les sols et la façon du construire la ville est renouvelé. Il appelle à un usage plus mesuré des ressources foncières afin de préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF). Le récent Schéma directeur de la Région Île-de-France écologique (SDRIF-E) le traduit ainsi par une réduction progressive de la consommation foncière d’ici 2050 et par la production quasi intégrale (90 %) de nouveaux logements en renouvellement urbain. Pour autant, les besoins en logements restent considérables : il faut produire 70 000 logements par an, tout en s’inscrivant au sein de l’enveloppe urbaine. Et pour cela, il faut donc intensifier la densification des espaces d’habitat ou la transformation d’emprises auparavant dédiées à d’autres usages.
Mais la question de l’acceptabilité de cette densité induite se pose donc encore. En effet, vertueuse à bien des égards (par la réduction de la consommation foncière, l’amélioration du bilan carbone, notamment), la densification des tissus urbains suscite néanmoins toujours cette méfiance des riverains qui l’associent encore fréquemment à la production de tours et barres de logements, mais aussi des futurs habitants qui y voient des logements étriqués et peu confortables.
La question de la qualité de l’insertion de ces opérations de densification se pose donc : quelquefois mal pensée, elle crée des ruptures paysagères importantes et donc du ressentiment chez les riverains (outre la crainte de voir de nouveaux habitants s’installer à côté de chez eux). Elle produit parfois une certaine standardisation des bâtiments neufs qui s’installent aux quatre coins de la région, sans tenir compte de leur environnement. Et lorsque c’est le cas, elle provoque une banalisation des paysages régionaux, voire nationaux, avec la réplique à l’infini de produits quasi identiques.
Cette étude se focalise donc sur cet enjeu particulier de la densification, celui d’optimiser l’insertion des nouvelles opérations au sein des tissus existants. Elle précise d’abord les notions de densité et de qualité, puis développe un diagnostic inédit de la production immobilière récente. Ce faisant, cette étude s’adresse aux collectivités et acteurs de la construction en identifiant les leviers à leur disposition pour concilier densité et qualité de l’habitat.
Densité et formes urbaines : éléments de contexte francilien
La densité, et a fortiori les phénomènes de densification, suscitent défiance et parfois opposition de la part des habitants. L’association fréquente de la densité à l’image des grands ensembles dit quelque chose de l’importance des formes urbaines et des représentations qui leur sont associées. Ce rapprochement témoigne également du décalage entre la densité perçue, vécue et la densité réelle. À cet égard, l’étude propose une lecture nouvelle des formes urbaines et de leur densité, en s’appuyant sur le référentiel des tissus urbains franciliens (TUF), développée par L’Institut Paris Région. Les imposantes tours et barres des grands ensembles constituent ainsi le type d’habitat collectif le moins dense avec un peu plus de 184 logements/ha en moyenne contre 657 log/ha pour les immeubles « haussmanniens ».
Mais alors, l’Île-de-France, est-elle une région dense ? Les espaces résidentiels sont majoritairement peu denses : près de 80 % de l’espace occupé par du logement accueille des logements individuels présentant une densité moyenne de 34 logements/ha, bien inférieure à celle des formes urbaines qui sont celles de l’habitat collectif (501 logements/ha). Mais rien d’étonnant à ce que les Franciliens considèrent leur région dense. En effet près des trois quarts des logements se trouvent dans l’habitat collectif et se concentrent sur à peine plus de 20 % des espaces dédiés au logement.
En réalité, l’approche régionale masque de très grandes différences territoriales. À l’échelle locale, la densité et les formes urbaines présentent des profils distinctifs liés à l’histoire de leur urbanisation. Le paysage parisien compte ainsi une grande majorité d’immeubles haussmanniens (42,5 %) alors que l’habitat individuel domine en grande couronne, avec un peu plus de la moitié du bâti mais 87 % du foncier mobilisé pour du logement. Plus surprenant : à forme urbaine donnée, les densités bâties varient parfois du simple au triple selon les territoires, témoignant d’une adaptation des constructions aux contextes locaux.
Des processus de densification spécifiques à chaque contexte
Afin d’observer les formes prises par la densification dans la production résidentielle récente, l’étude passe en revue 133 opérations réalisées dans le diffus entre 2016 et 2020, dans 12 communes présentant des localisations et densités contrastées. Qu’il s’agisse des formes urbaines produites ou du type d’opération foncière et immobilière (démolition-reconstruction, urbanisation en dent-creuse, densification parcellaire), les processus de densification adoptent des formes différentes selon les tissus urbains et selon les territoires. Ainsi, dans les coeurs de ville des communes les plus denses, l’immeuble traditionnel reste la forme quasi-exclusive tandis que d’autres formes urbaines sont privilégiées dans les environnements moins denses et aux marchés fonciers moins valorisés (habitat intermédiaire, maison de ville densifiée par division…). Les processus de mutation du foncier observés varient selon la densité des communes : plus la commune est dense et les fonciers non-bâtis rares, plus le recours à la démolition / reconstruction sera important. Pour être rentables, les opérations de démolition-reconstruction ou de surélévation exigent des prix immobiliers élevés. Lorsque les tissus urbains abritent encore des terrains non bâtis et que les marchés immobiliers sont plus détendus, la construction sur dent creuse, la réhabilitation du bâti ou encore l’extension sur des espaces NAF deviennent plus fréquentes.
Réconcilier densification et qualité architecturale et urbaine
La notion de qualité de l’habitat n’est pas évidente à formaliser tant elle a évolué à travers le temps et tant les politiques du logement ont pu fluctuer en la matière. Pour la période récente, ce sont surtout les qualités des modes constructifs qui ont retenu l’attention des pouvoirs publics (mise en place de normes PMR et thermiques, par exemple), tandis que la crise du Covid-19 a remis en lumière les besoins des habitants : espace, luminosité, accès à l’extérieur. Face à ces considérations importantes, l’angle de la qualité urbaine est trop souvent occulté. Or, il n’y a pas de qualité du logement sans qualité urbaine : la relation de l’opération avec son environnement, la présence d’espaces extérieurs, le traitement des limites, les matériaux utilisés sont autant d’éléments qui rejaillissent sur la qualité du logement mais aussi sur l’acceptabilité de ces opérations. Afin d’objectiver cette notion et pour aller au-delà d’un jugement esthétique, trois entrées ont été retenues et définies : la qualité urbaine, la qualité architecturale et la qualité d’usage. Passées au crible de ces trois axes, les 133 opérations analysées ont donné naissance à neuf fiches thématiques mettant en évidence leurs qualités et défauts, le tout permettant d’établir à des préconisations.
La qualité urbaine : de la bonne insertion urbaine des opérations au sein des tissus
La qualité urbaine des opérations en densification repose tout d’abord sur leur insertion harmonieuse au sein du tissu urbain préexistant. Il faut évaluer, d’une part, l’attention portée à l’intégration du bâti dans son environnement et à une réécriture architecturale pertinente et respectueuse des lieux, mais aussi, d’autre part, prendre en considération la potentielle amélioration du cadre de vie offerte par un nouveau programme, tant pour les habitants que pour le voisinage. Les programmes observés s’insèrent pour la plupart habilement dans leurs tissus, par l’attention portée aux gabarits, aux choix des formes urbaines… Mais les rapports entre espaces publics et privés, la requalification du cadre de vie ou encore le traitement des pieds d’immeuble manquent parfois d’attention. Autant d’éléments particulièrement visibles pour les riverains et les piétons qui, sans être traités, peuvent nourrir l’appréhension vis-à-vis des nouvelles constructions.
La qualité architecturale : ancrer l’opération dans son contexte en évitant la banalisation des paysages
La notion de qualité architecturale renvoie plus particulièrement au bâtiment en tant que tel, à l’« objet » dessiné par un architecte. Afin de dépasser la subjectivité liée à l’esthétique retenue, l’objectivation des critères porte sur trois axes : l’identité architecturale, le choix des matériaux et le traitement paysager. Parmi les opérations analysées, de nombreux projets présentaient de grandes similitudes architecturales (matériaux et couleurs employés, forme du bâtiment…) bien qu’il ne s’agisse ni du même architecte, ni du même territoire, le tout contribuant à une banalisation des paysages bâtis franciliens, mais aussi au dénigrement de la construction neuve en tant qu’objet standardisé. Les programmes les plus qualitatifs proposent une vraie réflexion sur le choix des matériaux et couleurs, en rapport avec l’histoire et les bâtiments voisins, sur la composition de la façade ou encore sur l’aménagement paysager pour valoriser l’opération, apporter du confort aux habitants mais aussi préserver la biodiversité.
La qualité d’usage : favoriser un projet qui permette la bonne utilisation des espaces par les habitants
La qualité d’usage se perçoit partiellement depuis l’espace public. Sans accès à l’intérieur des logements, l’étude l’approche par l’analyse des espaces extérieurs, collectifs ou individuels, de la qualité de la lumière et de la vue, de l’« écrin » autour de l’opération, et enfin par la gestion du stationnement qu’il soit automobile ou cyclable. Concernant les espaces extérieurs, si la plupart des projets proposent des balcons, loggias et terrasses, l’observation des usages montre qu’ils ne sont pas toujours investis par les habitants pour différentes raisons : mal orientés, exposés à la vue, trop petits, peu sécures ou encore situés en rez-de-chaussée. Les habitants déploient divers artifices pour préserver leur intimité (canisses, barrières…) ou les transforment en lieu de stockage. De ce fait, les riverains ou passants sont parfois confrontés à des opérations très minérales ou à un patchwork d’usages individuels qui nuisent à l’esthétique d’ensemble. Le manque d’attention portée à la qualité d’usage pénalise non seulement les habitants mais rejaillit également sur la qualité perçue depuis la rue et l’insertion urbaine de l’opération.
Au regard de l’ensemble de ces critères, il est difficile d’émettre un constat homogène concernant la qualité des opérations de densification récentes : certaines opérations sont en effet réussies du point de vue de leur insertion urbaine mais leur identité architecturale fait défaut. Et inversement. L’analyse montre aussi que les opérations de « standing » ne sont pas nécessairement de qualité, du moins du point de vue de leur architecture et de leur insertion urbaine.
Alors que la qualité de l’insertion urbaine des nouvelles constructions appelle une prise en considération attentive du contexte local, cette étude rappelle le rôle essentiel qui est celui des communes pour accompagner et guider les processus de densification. Avec leurs groupements, elles constituent l’acteur le plus à même de veiller à la qualité des opérations d’habitat en amont des projets de construction en élaborant des documents d’urbanisme adaptés aux formes urbaines locales et à leur évolution (règles, OAP). Plus en aval, elles peuvent accompagner les particuliers et les opérateurs, au moment de la négociation puis de l’instruction des permis de construire. Le recours possible aux cahiers de recommandation architecturale, les « chartes promoteurs », l’urbanisme négocié… peuvent ainsi encadrer une production urbaine plus qualitative.
Amélie Darley/L’Institut Paris Region
Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires |
Aménagement |
Densification |
Foncier |
Société et habitat |
Habitat et logement