Sans travaux de rénovation énergétique, près d'un logement francilien sur deux bientôt interdit à la location

Note rapide Société-Habitat, n° 957

13 octobre 2022ContactFranziska Barnhusen, Sandrine Beaufils, Kevin Chaput (Insee), Philippe Serre (Insee), Ivan Tissot (Insee)

En Île-de-France, en 2018, 2,3 millions de résidences principales ont un diagnostic de performance énergétique classé E, F ou G, soit 45 % du parc francilien de résidences principales. Ces logements, directement concernés par la loi Climat et résilience, pourraient être soumis à des interdictions quant à leur location, sans rénovation. Ces interdictions entreront progressivement en vigueur, en fonction de l'étiquette énergétique du logement, entre 2025 et 2034. Dans le contexte francilien d'un marché immobilier tendu, une meilleure connaissance de ces logements est indispensable pour cibler les actions prioritaires à mettre en œuvre, et ainsi massifier la rénovation énergétique.

Dans un contexte de forte hausse des prix de l’énergie, les performances énergétiques des logements représentent un enjeu majeur. En Île-de-France, les tensions sur le marché du logement sont fortes et pourraient encore s’amplifier si les habitations les plus énergivores du parc ne sont pas rapidement rénovées, sans quoi elles ne pourront bientôt plus être louées. En effet, la loi Climat et résilience vise la disparition des logements à faible performance énergétique. Après le gel des loyers des logements étiquetés F ou G, entré en vigueur en août 2022, des interdictions de louer s’imposeront en 2025, 2028 et 2034, frappant progressivement les logements de classe G, puis F, et enfin E. La loi Climat et résilience renforce aussi l’information sur la performance des logements en imposant la réalisation d’un audit énergétique pour chaque vente. Quantifier, localiser et caractériser les logements énergivores constituent donc des priorités afin que soient identifiés les enjeux de rénovation pour baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES), améliorer le confort d’usage des logements et préserver l’usage résidentiel du parc existant.
En 2018, l’Île-de-France compte 2,3 millions de résidences principales étiquetées E, F ou G, selon les étiquettes énergétiques en vigueur avant le 1er juillet 2021. Cela représente 20 % du parc énergivore de France métropolitaine, alors que le parc francilien dans son ensemble équivaut à 18 % du parc de France métropolitaine. En raison de son histoire et de ses caractéristiques urbaines, l’Île-de-France a un parc de logements énergivores supérieur à celui des autres régions (45 % contre 40 %).

FACTEURS DE FRAGILITÉ : PARC ANCIEN, PARC PRIVÉ ET PETITES SURFACES

Plusieurs facteurs caractérisent le parc de logements étiquetés E, F ou G. La période d’achèvement du logement joue un rôle prépondérant (voir Dataviz), en lien avec l’introduction progressive de réglementation thermique pour la construction des bâtiments. Avant 1974, année de la première réglementation de ce type, aucune norme n’encadrait la performance énergétique des logements construits. Ainsi, 55 % des logements achevés avant cette date sont étiquetés E, F ou G, contre 16 % pour ceux construits depuis 2000. L’année 2000 a vu apparaître l’exigence de performance globale du bâtiment, suivie par des renforcements réguliers de la réglementation thermique.
Les logements de petite surface, plus fréquents dans le parc ancien, sont plus souvent énergivores que les grands logements. En effet, près des deux tiers des logements de moins de 40 m² sont étiquetés E, F ou G. Toutefois, le phénomène touche aussi les grands logements, en particulier les maisons individuelles, qui sont majoritairement énergivores (51 %, contre 43 % pour les appartements).
Le parc privé apparaît comme le plus exposé aux enjeux de rénovation énergétique. C’est notamment le cas des locations, qui sont davantage concernées par le phénomène (55 % étiquetées E, F ou G) que les logements occupés par leurs propriétaires (48 %). Ces proportions relativement fortes reflètent non seulement les singularités architecturale et urbaine de ce parc plus ancien que le parc social, mais découlent aussi, pour partie, des difficultés des propriétaires et copropriétaires privés lorsqu’il s’agit de programmer et d’engager des travaux de rénovation.

LE PARC LOCATIF PRIVÉ, PREMIER IMPACTÉ PAR LA LOI

Le parc locatif privé est le plus concerné par les dispositions de la loi Climat et résilience. Au regard des performances énergétiques, sans rénovation efficace, 745 000 logements pourraient être interdits de mise en location, dont 22 % dès 2025 (étiquette G), 30 % en 2028 (étiquette F) et 48 % à l’horizon 2034 (étiquette E). Cet important volume de logements représente 15 % de la totalité des logements occupés en Île-de-France, équivalant à près de onze années de construction, en se fondant sur l’objectif fixé par la loi relative au Grand Paris de bâtir 70 000 logements chaque année.
Cette situation s’explique d’abord par l’ancienneté des logements du parc locatif privé : 69 % se concentrent dans Paris et la petite couronne, où la grande majorité (73 %) date d’avant 1974, c’est-à-dire avant les premières réglementations thermiques. Paris est de loin le territoire le plus concerné, avec 265 000 logements locatifs privés classés E, F ou G, soit les deux tiers du parc locatif privé parisien.
Dans les territoires ruraux, notamment en Seine-et-Marne, les logements locatifs privés sont peu nombreux en volume mais, parce qu’ils se concentrent là aussi dans le parc ancien, présentent plus souvent de moins bonnes performances énergétiques (voir carte). Dans le Gâtinais Val de Loing, le Provinois ou le Pays de Fontainebleau, près des deux tiers des locations privées sont énergivores. À l’inverse, les logements locatifs énergivores sont moins présents dans les territoires où l’urbanisation est plus récente, comme dans les ex-villes nouvelles : ainsi, seul 38 % du parc locatif privé de la communauté d’agglomération de Val d’Europe est étiqueté E, F ou G, ou 43 % de celui de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise.
En moyenne, les locataires des logements énergivores franciliens disposent de revenus inférieurs de 6,1 % à ceux des autres locataires. C’est dans le parc locatif privé que les écarts de revenus entre occupants de logements énergivores et occupants de logements plus performants sont les plus importants – sauf à Paris, où l’écart est plus important parmi les propriétaires. Du reste, si près de la moitié des logements locatifs du parc privé sont occupés par des personnes vivant seules (47 %), cette situation est encore plus fréquente dans les logements énergivores (52 %).

LE PARC OCCUPÉ EN PROPRIÉTÉ : PRÈS DE LA MOITIÉ DES LOGEMENTS CLASSÉS E, F OU G

Près de 1,2 million de logements occupés par leurs propriétaires sont énergivores, soit 24 % de l’ensemble des résidences principales de la région. Cela constitue le volume de logements énergivores le plus important de l’Île-de-France.
À l’inverse des logements locatifs privés, les logements occupés en propriété, qu’ils soient énergivores ou non, se répartissent de façon plus homogène sur le territoire régional.
Ainsi, d’un département à l’autre, la proportion de logements étiquetés E, F ou G au sein du parc occupé en propriété varie peu (voir carte). Moindre dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne (43 %), elle atteint son maximum (51 %) dans les Yvelines et en Seine-et-Marne.
Ces écarts, quoique modérés, reflètent la variété de logements composant ce parc : en grande couronne, les logements occupés en propriété sont certes plus récents, mais il s’agit souvent de grandes maisons individuelles typiques de la périurbanisation des années 1970 et 1980 ; à Paris et en petite couronne, en revanche, le parc occupé en propriété correspond souvent à des appartements, moins énergivores que des maisons.
À l’échelle infra-départementale, les logements énergivores sont moins concentrés dans les territoires au développement urbain récent et dense (Val d’Europe Agglomération, Grand Paris Sud-Est Avenir, etc.) ainsi que dans les territoires aisés, notamment les Hauts-de-Seine.
Les logements énergivores en propriété sont plus souvent occupés par des retraités et des personnes seules, notamment des femmes, que l’ensemble des logements en propriété. Les couples avec enfants y sont légèrement moins présents (34 %, contre 36 %). Par ailleurs, les ménages résidant dans ces logements énergivores disposent d’un niveau de vie systématiquement inférieur à celui des autres propriétaires (29 360 € en moyenne par an, contre 30 730 €).

DES OBSTACLES À LA RÉNOVATION, SPÉCIFIQUES AU PARC PRIVÉ

Dans un contexte de marché tendu, la performance énergétique semble demeurer pour beaucoup de personnes un critère secondaire dans le choix de leur logement. Selon une récente étude du Conseil supérieur du notariat, la « valeur verte » des logements, c’est-à-dire le surplus de valeur lié à leurs performances énergétiques, est très limitée en Île-de-France : l’effet de l’étiquette « énergie » est, en 2020, de seulement -2 points pour les « passoires thermiques ». Les logements locatifs privés sont pour leur part convoités, car ils constituent une étape souvent incontournable pour une majorité des nouveaux ménages (les décohabitants et ceux arrivant de province) en raison de leur localisation centrale. Leur location s’en trouve facilitée, sans que leurs propriétaires aient besoin d’assumer d’importants travaux.
Deux tiers du parc privé est composé d’appartements, généralement situés dans des copropriétés. Or la gouvernance de ces immeubles exige des décisions partagées pour engager des travaux. Depuis le début des années 2000, le désengagement des bailleurs institutionnels ainsi que les politiques de l’habitat ont contribué à la constitution de nouvelles copropriétés (mixité des programmes neufs, ventes HLM dispersées au sein du parc existant…). Cette multiplication d’acteurs au sein d’un même immeuble affaiblit la capacité à engager des rénovations énergétiques efficaces. La difficulté est renforcée par le profil des occupants du parc énergivore, davantage composé de personnes seules, âgées ou modestes. L’accompagnement des copropriétaires devient dès lors essentiel. En ce qui concerne les propriétaires bailleurs, la rénovation des logements énergivores pose également question, a fortiori quand ces logements accueillent des ménages âgés, qui y résident depuis plus longtemps et qui s’acquittent ainsi de loyers inférieurs à ceux pratiqués sur le marché.
Les retours d’expérience montrent que les logements les plus énergivores ne seraient pas nécessairement rénovés en priorité et que les travaux réalisés ne seraient pas synonymes de gains énergétiques suffisants. À titre d’exemple, l’observatoire CoachCopro (plateforme nationale développée par l’Agence parisienne du climat) a recensé les étiquettes « énergie » de 130 000 copropriétés rénovées énergétiquement. Seules 7 % présentaient une étiquette F ou G avant travaux, et seulement un quart une étiquette E, soit une sous-représentation très nette comparativement au parc de logements. En 2017, l’enquête TREMI (Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles) a permis à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) de tirer un bilan similaire sur l’habitat pavillonnaire : 75 % des travaux intégrant un volet énergétique n’avaient pas permis d’améliorer la classe énergétique de la maison.
Ces éléments témoignent notamment des difficultés à intégrer les contraintes patrimoniales (immeubles haussmanniens, maisons en meulière, etc.) à la rénovation énergétique. La loi Climat et résilience en prend acte et prévoit des exemptions à l’interdiction de louer en cas de contraintes architecturales importantes.
Des questions se posent également en matière de compétences, tant pour la réalisation des travaux que pour leur pilotage. Coordonner un projet global de rénovation énergétique dépasse généralement les capacités des propriétaires. Enfin, en cas de rénovation lourde, quitter son logement le temps des travaux peut s’avérer aussi nécessaire que difficile en pratique.

UNE LONGUEUR D’AVANCE POUR LE PARC SOCIAL

Dans le parc social, la situation apparaît plus favorable : 29 % des logements sociaux franciliens sont énergivores, soit 354 000 logements. Cela tient en partie à la relative jeunesse du parc social (43 % des logements ont été construits après 1974). Mais ces bons résultats sont aussi issus d’une gestion centralisée et des rénovations globales assurées par les bailleurs sociaux avec le soutien de l’État et des collectivités. D’un point de vue technique, ces rénovations ont pu être facilitées par des contraintes architecturales moindres lorsqu’elles concernent des immeubles construits entre 1948 et 1974 (période dite des Trente Glorieuses), ce qui est le cas de 43 % du parc social francilien.
La géographie du parc social n’est pas uniforme en Île-de-France : 63 % des logements sociaux se situent dans la Métropole du Grand Paris. Celle des logements sociaux énergivores ne l’est pas non plus. La part de logements sociaux étiquetés E, F ou G est la plus forte à Paris, les logements énergivores représentant plus d’un tiers du parc social parisien, contre 27 % en petite couronne et 30 % en grande couronne. Les occupants de ces logements énergivores se différencient peu des autres occupants du parc social. En effet, les rénovations énergétiques sont entreprises en fonction des caractéristiques des bâtiments, indépendamment de leurs occupants.

VERS UNE AMPLIFICATION DE LA RÉNOVATION ?

Plusieurs enjeux se dégagent donc pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 du parc de logements et améliorer les conditions de vie des Franciliens. Il s’agit, d’abord, d’assurer la mobilisation et l’accompagnement des propriétaires, mais aussi de soutenir la poursuite des rénovations dans le parc social. Pour cela, il s’agirait de lever les freins du financement des travaux, et de renforcer l’accompagnement technique et la formation de l’ensemble des acteurs impliqués, notamment les syndics de copropriété. Les collectivités ont un rôle à jouer en tant que financeurs des dispositifs publics de conseil au niveau local ou au travers des aides complémentaires à l’action nationale qu’elles peuvent apporter, en visant notamment les foyers les plus modestes. Avec cette note, il s’agit d’accompagner les collectivités territoriales en apportant une première estimation de l’ampleur des enjeux locaux.
Ensuite, un défi réel réside dans l’amélioration de la performance des travaux réalisés. Il s’agit d’associer les professionnels du secteur du bâtiment au défi que représente la rénovation du parc pour développer les savoir-faire sur la rénovation énergétique globale, sur l’articulation entre les différents postes (isolation, chauffage, ventilation…) et sur les matériaux biosourcés.
Se pose enfin la question de l’accompagnement social des populations. En effet, les habitants des logements à faible performance énergétique ne sont pas les plus gros consommateurs d’énergie. Cela demande d’anticiper dès à présent les effets potentiels des restrictions, y compris sur les ménages les plus modestes, dont certains pourraient de facto se trouver exclus du parc locatif privé si la rénovation entraîne des hausses de loyer. ■

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