Les plans locaux d'urbanisme au service du patrimoine

06 octobre 2022

La protection et la valorisation du patrimoine français ont longtemps été réduites à une réglementation spécifique. Progressivement, la planification s’est révélée utile pour appréhender
un projet patrimonial, de la stratégie globale à sa déclinaison fine dans les quartiers et les ensembles. À l’aune des dernières évolutions législatives, les outils s’articulent pour saisir les différentes formes patrimoniales. Que permettent-ils ?

Si les documents initialement portés par le ministère de la Culture, à partir de la loi sur les Monuments Historiques de 1913, focalisaient leur attention sur le patrimoine historique le plus noble, les outils de planification ont peu à peu introduit des nuances dans cette acception légèrement élitiste de la notion de patrimoine. Les collectivités ont, dès lors, pu commencer à regarder différemment le petit patrimoine, le paysage, les faubourgs, les quartiers de la Reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, certains hameaux ruraux, les ensembles bâtis, etc. Cette nouvelle vision permet ainsi une approche intégrée du patrimoine, au-delà du prisme des monuments historiques et des sites inscrits ou classés. La protection du patrimoine est devenue aujourd’hui un enjeu d’identité dont se sont saisis les élus locaux, favorisant sa considération, notamment dans les documents d’urbanisme, qui co-existent et se superposent avec les périmètres dédiés à la protection du patrimoine, régis par une législation spécifique.

Les outils dédiés à la protection du patrimoine

La dernière grande réforme en matière de protection du patrimoine a été opérée par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine du 7 juillet 2016. Elle a pour ambition de moderniser la protection du patrimoine, en en simplifiant le régime, et institue, les Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR) qui succèdent à plusieurs dispositifs : les secteurs sauvegardés issus de la loi de 1962, dite loi Malraux, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager créées par la loi de décentralisation de 1983, et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine issues de la loi de 2010, dite loi Grenelle 2.

Le « Site Patrimonial Remarquable »
Le SPR est, avant tout, un périmètre de protection qui constitue une servitude d’utilité publique, instaurée dans un but d’intérêt général. Son périmètre peut être d’un seul tenant ou non, et concerner plusieurs communes et/ ou plusieurs établissements publics de coopération intercommunale. Un classement en SPR peut être proposé par l’État, par la Commission du patrimoine et de l’architecture – nationale ou régionale –, mais aussi par l’autorité compétente en matière de Plan Local d’Urbanisme (PLU). Une commune, non compétente en matière de PLU parce qu’il est intercommunal, peut également proposer un classement en SPR.

Les suites et effets du classement en SPR
Le classement d’un bien doit donner lieu à un plan de gestion, qui peut être soit un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), soit un Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), soit les deux. Le classement en SPR implique, par ailleurs, que toute demande d’autorisation de travaux sur les immeubles situés dans son périmètre requiert un avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France, et induit des possibilités d’avantages fiscaux et d’aides pour les travaux. Il est possible de supprimer un SPR, mais il faut apporter la preuve que la qualité patrimoniale s’est dégradée malgré l’existence de l’outil.

Le PSMV, document « 2 en 1 »
Le Plan de sauvegarde et de mise en valeur tient lieu de PLU et en adopte globalement le régime (procédure, contenu), avec quelques spécificités dues à son statut de document protecteur du patrimoine (initiative de l’élaboration, personnes publiques associées et consultées, outils réglementaires spécifiques). Adapté aux territoires qui nécessitent une approche globale et intégrée de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine, il permet des prescriptions à l’échelle de l’immeuble, y compris dans ses parties intérieures, si nécessaire. Il est possible de définir des « obligations de faire » à l’occasion d’opérations d’aménagement (démolition, modification des constructions). Ainsi, le PSMV est pertinent dans des environnements urbains denses avec une forte valeur historique, ou lorsqu’il s’agit d’ensembles très singuliers tels une cité ouvrière ou une ville nouvelle (bastide, ville royale, etc.).

Le PVAP : une servitude s’imposant au PLU
Le PVAP, incluant un rapport de présentation et un règlement, est une servitude d’utilité publique à annexer au PLU. Il ne se substitue pas à ce dernier, contrairement au PSMV, mais vient s’y superposer. L’autorité compétente en matière de PLU peut décider de son élaboration.

Le PLU au service du patrimoine

Dans le cadre de l’élaboration de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, il a été envisagé de consacrer juridiquement la notion de « PLU patrimonial ». Mais les partisans d’une approche plus coercitive de la protection du patrimoine s’accommodaient mal de l’idée d’une intégration des dispositifs de protection dans un document d’urbanisme pouvant être plus aisément modifié qu’un dispositif patrimonial dédié. L’idée a donc été écartée. Néanmoins, dans la pratique, il est parfois fait référence au « PLU patrimonial » pour mettre en exergue une mobilisation forte d’outils de protection par le document d’urbanisme. Une étude, financée par l’Agence nationale de la recherche, menée entre 2015 et 2019, a identifié les points communs au sein d’un échantillon de PLU dits « patrimoniaux », comme un Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) donnant une certaine assise patrimoniale au PLU, et le recours à des règles de protection ou de valorisation du patrimoine. L’un des grands avantages du PLU est de pouvoir régler les questions de protection, en même temps que celles du droit des sols.

L’épineuse question de l’identification du patrimoine
La phase de diagnostic et l’analyse environnementale, dans le cadre de l’élaboration du PLU, sont une opportunité pour identifier un patrimoine à préserver et/ou valoriser. Généralement, l’identification du patrimoine repose sur des inventaires réalisés hors PLU par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, par les services régionaux ou départementaux du patrimoine et de l’inventaire ou par les Parcs Naturels Régionaux (PNR), par exemple, et/ou un recensement réalisé dans le cadre de l’élaboration du PLU. Parfois, les collectivités recourent à des plateformes collaboratives ou à la concertation avec le public pour affiner cette notion de patrimoine, ou encore s’appuient sur des comités d’experts ad hoc. Une fois le patrimoine bâti identifié, une hiérarchisation des enjeux de protection et de valorisation peut être envisagée, donnant lieu à des règles adaptées. Par exemple, le PLU intercommunal (PLUi) de Grenoble Alpes Métropole distingue trois catégories de patrimoine : « intéressant » (règles de protection a minima), « remarquable » (règles encadrant les évolutions) et « exceptionnel » (règles de protection strictes). La métropole a ainsi défini des règles particulières – énoncées dans un fascicule dédié au patrimoine – sur chaque secteur ou élément identifié, à côté de la règle générale.

Les outils du PLU
Le PLU peut recourir à deux approches pour préserver et valoriser le patrimoine, et les articuler : celle du règlement, auquel les autorisations d’urbanisme doivent être conformes, et celle des Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP), qui s’imposent en termes de compatibilité à ces mêmes autorisations. L’outil le plus utilisé, via le règlement du PLU, permet d’« identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural » (art. L.151-19 C. urb.). Concrètement, ces dispositions donnent lieu à une représentation sur les documents graphiques du PLU et des prescriptions spécifiques. Le PLU peut ainsi procéder à :

  • une simple identification de secteurs ou d’éléments, sans protection définie, mais pour lesquels une autorisation d’urbanisme peut être requise quel que soit le type de travaux envisagés (dans cette hypothèse, les « petits » travaux non soumis à permis de construire font l’objet d’une déclaration préalable, et les démolitions font l’objet d’un permis de démolir) – l’exigence de cette autorisation permet de surveiller l’évolution du bâti ;
  • une identification avec interdiction de démolition, avec ou sans prescriptions spécifiques, par exemple, dans l’objectif de la conservation ou de la réhabilitation des éléments visés.

La question des matériaux à utiliser pour la construction ou la rénovation des bâtiments est un sujet important pour la protection du patrimoine, car il est difficilement concevable de distinguer l’esthétique de la matière. Mais, en dehors des sites patrimoniaux remarquables, le PLU ne peut en principe imposer ou interdire spécifiquement certains matériaux, car cela n’entre pas dans son champ d’habilitation réglementaire. Toutefois, au titre des règles relatives à l’aspect des bâtiments, le juge admet parfois que le PLU puisse favoriser le recours à certains matériaux ou en proscrire certains autres.

Une approche plus stratégique, ou plus opérationnelle, peut être adoptée dans le cadre des OAP, qui viennent compléter le règlement du PLU. Elles peuvent être thématiques et concerner l’ensemble ou une partie du territoire couvert par le PLU, en visant « la conservation, la mise en valeur ou la requalification des éléments de paysage, quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs qu’elles ont identifiés et localisés pour des motifs d’ordre culturel, historique, architectural ou écologique » (art. R. 151-7 C. urb.). On parle alors d’OAP « patrimoniales ». Par exemple, le PLUi de Rennes métropole comprend des OAP visant à mieux prendre en compte le patrimoine bâti, en lien avec les questions de préservation des paysages et de la trame verte et bleue. Ces OAP définissent six « ambiances » urbaines, dans lesquelles les nouveaux projets doivent s’inscrire, et protègent un certain nombre de constructions. Les OAP peuvent aussi être sectorisées, dans la perspective de projets d’aménagement à venir, avec des schémas d’aménagement de principe.

Elles ont dans ce cas une vocation plus préopérationnelle. Sans entrer dans un trop grand niveau de détails, elles permettent de cadrer le projet, de lui donner de la visibilité et d’articuler les différents enjeux du PLU, notamment ceux en matière de protection et de valorisation du patrimoine.

D’une façon générale, le document d’urbanisme, en raison de son caractère transversal, met en tension des politiques publiques qui peuvent être divergentes. Ainsi, la densification et le renouvellement urbain qui permettent d’éviter l’étalement, ou les actions pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, bien que justifiées, peuvent conduire à fragiliser le patrimoine « familier » ou le petit patrimoine local, souvent non protégé par des dispositifs dédiés, tels que les SPR, ou des servitudes très ciblées, comme les monuments historiques ou les sites inscrits. En complément des dispositifs spécifiques précités, le PLU se pose donc comme un outil pertinent pour assurer une transition urbaine et architecturale avec les périmètres protégés, mais aussi comme un outil majeur pour réguler la pression foncière s’exerçant sur le patrimoine, pression qui va s’accroître eu regard à l’enjeu de réduction drastique de l’artificialisation des sols, à l’aune de la récente loi, dite « loi climat et résilience », de 2021.

Grégoire Bruzulier, directeur du Conseil d’Aménagement, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) de Loir-et-Cher
Alexandra Cocquière, juriste, L’Institut Paris Region
Amaury Krid, urbaniste, AGence d’URbanisme d’Agglomérations de Moselle (AGURAM)

 

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