Une histoire de planifications

01 janvier 2014

Paul Delouvrier disait que le schéma de 1965 avait permis au District d’exister. Le regard que l’on peut porter sur un demi-siècle de planification en Île-de-France lui donne raison : l’efficience d’un schéma directeur relève surtout de la volonté des acteurs de le mettre en œuvre, bien plus que de la nature même du projet et de son écriture. Dès lors, la planification devient davantage outil de cohérence et de coordination qu’outil prescriptif.

Histoire de la planification de l'Île-de-France

L’aménagement de l’Île-de-France par la puissance publique a toujours oscillé entre libéralisme et contrainte, entre volonté de développer ou structurer et difficulté à canaliser ou contenir. Le baron Haussmann a taillé dans le vif des tissus de la capitale, ouvrant rues et boulevards, expropriant et assainissant, étendant l’agglomération jusqu’aux fortifications de Thiers. Il a encouragé le capitalisme industriel et financier et les lotisseurs à spéculer, juste avant que le chemin de fer, fruit de la révolution industrielle, n’ait généré la banlieue moderne. Après la vague des lotissements, les plans de l’entre-deux-guerres (plan Prost et PARP) et le PADOG ont tenté pour l’essentiel d’équiper, structurer et limiter l’extension spatiale de l’agglomération parisienne. Au début des années soixante, l’élaboration de ce qui sera le premier schéma directeur relève d’un esprit très différent, prenant en compte la dimension métropolitaine de la région dans le contexte d’une France qui adhère au « marché commun ». C’est dans ce sens que Paul Delouvrier, inspirateur du SDAURP de 1965, va délibérément viser à accueillir une forte croissance démographique et économique, fixant très haut l’hypothèse en matière de population : 14 à 15 millions d’habitants à la fin du 20e siècle pour une agglomération qui en comptait alors 8 millions seulement. L’État, maître d’ouvrage de ce schéma, dont l’objectif est de coordonner sa propre action, va mettre en place les moyens de sa mise en œuvre : ingéniérie, avec la création en 1960 de l’IAURP (qui deviendra L'Institut Paris Region), maîtrise du foncier, avec la création en 1962 de l’AFTRP et la délimitation de 40 000 ha de zones d’aménagement différé dès 1965, triplement des investissements dans les grands réseaux de transports ferrés (RER) et routiers, dans le logement (140 000 logements par an) et les équipements sanitaires et sociaux. La région parisienne entrait ainsi dans l’ère des métropoles. Ce changement de dimension s’est également traduit dès 1964 par l’éclatement de la Seine et de la Seine-et-Oise en sept nouveaux départements, permettant une administration plus proche du citoyen, marquant du sceau préfectoral les « pôles restructurateurs de la banlieue » (Nanterre, Bobigny, Créteil) et les villes nouvelles (Évry, Cergy). Le schéma de 1965 n’a jamais été approuvé, mais il a structuré la puissante action d’un État entièrement centralisé. Les schémas de 1976 et de 1994, accompagnant son désengagement progressif du financement de l’aménagement régional, vont constituer un retour à des schémas contraignants, lui permettant d’asseoir son rôle de contrôle du développement et d’encadrement de l’évolution spatiale de la région-capitale.

Pétrole quand tu nous tiens !...

La fermeture des robinets du pétrole, pour la première fois en 1973, la réduction de la croissance démographique et économique afférente, ont amené l’État à adopter une attitude prudente et défensive, à l’opposé du projet économique et urbain ambitieux sur lequel se fondait le schéma de 1965. Cette attitude constitue un revirement après la période de libéralisme qui a marqué le début des années 1970, Albin Chalandon étant alors ministre de l’Équipement. Les maîtres mots qui avaient présidé depuis plus de vingt ans à l’aménagement de la région parisienne « décentraliser l’agglomération (et notamment l’industrie) vers la province, décongestionner Paris vers sa banlieue, régénérer la banlieue par les grands ensembles » devenaient donc difficiles à mettre en œuvre au travers de la seule attractivité des métropoles de province. La puissance publique n’avait en effet plus la capacité de les équiper à la hauteur des ambitions qu’elle y avait placées. Elle va donc compenser ce relatif manque d’attractivité par un dispositif qui va « corseter » la région-capitale pour y réduire les possibilités de développement. Et ce, juste avant une seconde évolution institutionnelle, le District de la région parisienne devenant Conseil régional d’Île-de-France, et Paris se voyant doté d’un maire. Cette attitude nouvelle s’est traduite dans le schéma approuvé en 1976 par la réduction de l’objectif démographique (11 millions d’habitants en 1985, stabilisé à 12 millions en 2000), l’allègement des projets d’infrastructures de transport et de circulation, le recentrage vers les problèmes de l’agglomération centrale plutôt que vers l’effort de conquête d’espaces urbanisables. Le développement économique, tant industriel que tertiaire, y sera essentiellement orienté vers les seules villes nouvelles. Parallèlement, les espaces ouverts, non traités par le schéma de 1965, vont être préservés par la mise en place des zones naturelles d’équilibre, corollaires des villes nouvelles. Ces « ZNE » deviendront dès lors le projet symbole de la politique urbaine en région parisienne, mais aussi l’assise des premiers « contrats régionaux » mis en place pour compenser la limitation du développement local des collectivités concernées. Vingt ans après, le schéma de 1994 a donné un nouveau « tour de vis », moins lié à un contexte difficile qu’à la volonté de fixer une limite claire à des communes ayant désormais pris à bras le corps la compétence pour gérer leur droit des sols. Le projet est essentiellement porté par le souhait de développer une offre foncière importante et bien desservie, et vise à limiter l’urbanisation en dehors des seules zones identifiées, ne laissant qu’une faible marge aux initiatives locales. Sa révision, initiée par la Région en 2005, se place à nouveau sous le signe d’un renchérissement du prix des énergies fossiles susceptible d’impacter durablement la mobilité des personnes et des biens. Souhaitant anticiper sur une probable rupture, elle vise à trouver un difficile équilibre entre la densification des urbanisations existantes et l’ouverture de nouveaux espaces à la construction, ces derniers devant accueillir des opérations présentant une densité suffisante pour accueillir un nombre significatif de logements ou d’emplois.

La redistribution des cartes

Depuis cet acte I de la décentralisation, les rôles des différents acteurs de l’aménagement et du développement de l’Île-de-France sont en pleine redistribution : loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 donnant compétence à la Région pour élaborer le SDRIF en association avec l’État, loi SRU remodelant l’instrumentation mise en place en 1969 par les décrets d’application de la loi d’orientation foncière, montée en puissance des intercommunalités… « En 1965, le programme duodécennal avait précédé la parution du schéma directeur. L’ensemble du processus de planification s’inscrivait dans un effort pour mettre en place de nouvelles institutions régionales, conçues comme un maillon déterminant de l’appareil d’État dans la mise en œuvre des politiques urbaines (…). (En 1976), du projet offensif, on est passé à l’acte défensif pour légitimer la poursuite des actions engagées et consolider l’instrumentation foncière, dernier rempart dont l’administration espère qu’il protègera son pouvoir sur l’aménagement de l’espace. » En quarante ans, les investissements de l’État ont été réduits et, surtout, leur programmation s’est déconnectée de la planification de l’aménagement de la région. Jusqu’aux années 80, le programme duodécennal de l’État s’était attaché à mettre en œuvre les infrastructures routières et de transports prévues par le schéma de 1965. En revanche, les réalisations postérieures ont été différentes de ce que prévoyait le schéma de 1976, comme par exemple la réalisation de la Francilienne sous la pression des Départements, ou l’abandon de A87. En 1994, le schéma se présente comme une image de ce que devrait être la région en 2030, sans exprimer les stratégies permettant d’identifier les priorités et les acteurs susceptibles de se mobiliser : ceci était renvoyé à la négociation des contrats de plan. Dès lors, le constat tiré par l’État, la Région et le Conseil économique et social régional au moment de la mise en révision de ce schéma a convergé sur l’absence de mobilisation des partenaires pour sa mise en œuvre. C’est pourquoi, en tant que maître d’ouvrage de la révision, la Région prête la plus grande attention au positionnement des acteurs : le projet doit certes aborder la question du « combien ? » (60 000 logements par an ?) et du « où ? » (densification ? extension ?), mais aussi et surtout du « comment ? ».

2008 : cinq grands objectifs

  1. offrir un logement à tous les Franciliens, avec un objectif central : construire 60 000 logements par an pendant vingt-cinq ans et viser un taux de 30 % de logement social à terme,
  2. doter la métropole d’équipements et de services de qualité,
  3. préserver, restaurer, valoriser les ressources naturelles et permettre l’accès à un environnement de qualité,
  4. accueillir l’emploi et stimuler l’activité économique, garantir le rayonnement international,
  5. promouvoir une nouvelle politique de transports au service du projet régional.

Une consultation étendue

Un dispositif d'ateliers et de forums a mobilisé les partenaires de l'aménagement et du développement du territoire de l'Ile-de-France et du Bassin parisien. La Région a regroupé autour d'elle tous les acteurs susceptibles de concourir demain à la mise en oeuvre de ce schéma : Etat, CESR, départements et chambres consulaires, intercommunalités, collectivités, associations, professionnels.. (forum de restitution à Aubervilliers-septembre 2005).

Pourquoi le projet de Sdrif adopté par le conseil régional en 2008 n'est-il pas entré en application ?

Le Gouvernement de l'époque n'a pas transmis le projet au Conseil d'État pour approbation comme prévu par la procédure. Cette transmission est intervenue deux ans plus tard, c'est-à-dire après la promulgation des lois Grenelles et Grand Paris. Le Conseil d'État a alors estimé qu'il lui était impossible d'approuver le décret dans la mesure où la population avait émis un avis dans le cadre de l'enquête publique de 2007 en fonction d'un paysage institutionnel différent. Ce motif d'ordre constitutionnel n'a donc pas permis à l'État de prendre le décret d'approbation du Sdrif. Néanmoins, la loi Bricq du 15 juin 2011 a permis une application ponctuelle du projet de Sdrif de 2008 par les collectivités.

Construire l'Île-de-France de 2030

Le Sdrif « Île-de-France 2030 » a été adopté le 18 octobre 2013 par délibération du conseil régional d’Île-de-France et approuvé par décret en Conseil d’État du 27 décembre 2013. Il a été élaboré par la Région Île-de-France (maîtrise d'œuvre de L'Institut Paris Region) en association avec l’État. Il tient compte des contributions des départements, du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), de l’autorité environnementale et des chambres consulaires, mais aussi des résultats d’une vaste concertation en direction des élus franciliens, des aménageurs, des chercheurs et experts, et des Franciliens, notamment à travers l’enquête publique conduite entre mars et mai 2013. La vision stratégique de la région Île-de-France à l’horizon 2030 repose sur trois piliers : relier-structurer : le réseau de transports collectifs francilien s’enrichira de nouvelles dessertes pour une meilleure accessibilité ; polariser-équilibrer : des bassins de vie multifonctionnels polariseront le territoire ; préserver-valoriser : la consommation d’espaces naturels sera limitée et les continuités écologiques seront préservées.

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