Quelles formations pour les élus du rural et du périurbain francilien ?

Projet « (Dé)formations »   Sommaire

24 juin 2021ContactBrigitte Guigou

Conscients de la nécessité de s’engager dans la transition écologique et sociale, les élus du périurbain et du rural francilien peuvent se sentir démunis tant ces transformations exigent du temps, des ressources, des convictions partagées, mais aussi une nouvelle culture de l’innovation et de la coopération. Comment leur offrir les formations appropriées et les accompagner pour qu’ils trouvent des réponses adaptées aux enjeux et injonctions, souvent paradoxales, qui traversent les territoires ruraux et périurbains ? La montée en complexité (des profils sociaux, des attentes citoyennes, des normes, des procédures, des enjeux économiques) que tous repèrent, invite à dépasser la seule réflexion municipale. Comment les aider à retrouver des marges de manœuvre individuelles et collectives, dans un contexte où les reconfigurations intercommunales ont parfois été subies et où il est de plus en plus complexe d’être élu local ? 

« Dé-formation » : le projet ambitieux d’une nouvelle offre de formation

Ces questions sont au cœur du projet « Dé-formations ». Porté par L’Institut et la 27e région, avec l’appui de l’agence de conseil « Partie Prenante » et du designer Norent Saray-Delabar, ce projet a démarré en mai 2020 pour une période de deux ans. Sa feuille de route est de s’interroger sur les objectifs, les formats et les contenus des formations proposées aux élus locaux afin de contribuer à construire une offre plus adaptée à leurs attentes. Inscrit dans le programme « Construire au Futur, Habiter le Futur » porté par la Région Île-de-France en réponse à l’appel à projets national « Territoires d’Innovation de grande ambition (TIGA) », Dé-formations se décompose en trois étapes: 

  • une enquête collaborative, menée en décembre 2020 auprès d’une trentaine d’élus et d’une vingtaine de partenaires d’offres de formations ; 
  • une dizaine d’expérimentations de formations innovantes et orientées usagers ;
  • une phase de capitalisation, incluant des évaluations et recommandations pour les acteurs de la formation et de l’accompagnement des élus locaux.

Que retenir de l’enquête collaborative et du cahier des charges sur les objectifs et les attendus des expérimentations qui démarreront à la rentrée 2021 ?

Faciliter l’accès des élus locaux à la formation

Reconnaître l’importance de se former pour soi et pour les autres

Les élus locaux se forment peu et les budgets alloués ne sont pas consommés à hauteur de ce qui est prévu par la loi. La formation est rarement pensée comme stratégique par les collectivités, alors que les enjeux, collectifs et individuels, sont importants. Différents facteurs expliquent ce paradoxe. Pour un élu, se former c’est admettre que l’on a besoin d’apprendre, que l’on ne sait pas tout, c’est aussi prendre le risque de fragiliser sa légitimité. Ces constats laissent à penser que le terme « formation » peut être un obstacle, renvoyant à un besoin d’apprentissage difficile à reconnaître. C’est aussi consommer un temps contraint qui n’est pas directement rentabilisé. L’enquête illustre une crise de la formation continue des élus. Comment la rendre plus attractive ? Une des conditions est que l’exécutif, le maire en premier lieu, en reconnaisse l’importance, par exemple dans la lettre de mission ou dans la charte communale des élus. Pour renforcer l’acceptabilité, une des pistes serait aussi une meilleure information sur les offres et les financements, de simplifier les procédures administratives, comme le prévoit la loi Engagement et Proximité de 2019. 

Mieux répondre à des attentes aussi diverses que les trajectoires et les contextes locaux

Les élus évoquent une offre de formation sur la transition écologique et sociale riche et foisonnante, mais ne répondant pas à la diversité de leurs besoins et aux enjeux propres à leur territoire. Ce décalage entre l’offre et les besoins constitue une difficulté majeure. L’enquête souligne un autre paradoxe : alors que les attentes des élus locaux sont diverses et qu’ils expriment un besoin de formations « sur mesure » et contextualisées, l’offre est plutôt standardisée, voire abstraite. De plus, elle est conçue à titre individuel, alors que les élus sont partie intégrante d’une équipe. 
Cette diversité de besoins est propre au profil de chaque élu (profil, genre, maturité politique, cohérence entre compétences professionnelles et délégation), mais aussi au contexte local qu’il est particulièrement important de prendre en compte quand on parle de transition écologique et sociale. L’objet d’une délégation conditionne aussi les besoins : transversaux lorsque l’intitulé l’est aussi (adjoint au développement durable ou la transition) ; plus techniques si la thématique est celle des travaux ou de l’énergie. Si l’enjeu est de favoriser le partage de l’espace public et les mobilités alternatives, dans ce cas l’apprentissage de la concertation sera à privilégier dans le contenu de la formation. 
Ces aspects démontrent la nécessité de bâtir une typologie et de réaliser en amont un travail avec les élus pour proposer des formations adaptées aux singularités des profils et des contextes territoriaux.

Aller vers une offre de formation plus frugale et économe 

Les élus disposent d’un temps très limité à consacrer à la formation, d’autant plus lorsqu’ils ont une activité professionnelle et que leurs fonctions électives se concentrent sur les soirs et les week-ends. Par conséquent, ils attendent d’une formation qu’elles les aident à résoudre des problèmes concrets, sur un temps contraint. Ils témoignent aussi d’une forte exigence, tant sur les contenus que sur les formats, accentuée par l’urgence climatique, la pandémie et l’image que leur renvoient les citoyens, celle d’une action publique trop lente sur ces sujets. À titre d’exemple, l’idée de voyages d’études « au-delà des frontières » a souvent été perçue comme trop chronophage et coûteuse. Une piste serait de faire évoluer l’offre pour qu’elle s’inscrive plus facilement dans leur emploi du temps. C’est aussi de proposer des formations plus courtes et plus économes permettant, dans la phase de début de mandat, de dérouler la feuille de route et de passer rapidement à l’action. 

Accompagner l’autoformation 

À la formation, les élus interrogés vont souvent préférer l’autoformation qui consiste à aller chercher des ressources au moment où on en a besoin, des contenus en ligne le plus souvent. Face aux responsabilités d’un élu, disposer de données fiables et actualisées est alors indispensable. À titre d’exemple, disposer de données territorialisées sur l’évolution du télétravail et la fréquentation des commerces de proximité dans la période de confinement aide à anticiper. Dans ce contexte, comment accompagner les élus pour qu’ils sélectionnent, hiérarchisent et éditent des contenus en ligne pertinents sur un sujet donné ? Parallèlement, comment les rendre davantage acteurs de leur propre parcours de formation ? 

Transformer la posture des élus

Les élus rencontrés dans cette période de début de mandat le disent, la posture d’élu local est à revisiter car le contexte – institutionnel, environnemental, sociétal, technologique - a profondément changé. Un des enjeux est d’accompagner ces évolutions de posture, que ce soit dans le dialogue avec les services techniques, la coopération avec les initiatives citoyennes ou la mobilisation de leurs co-élus sur les priorités de la transition… C’est ainsi  les aider à mieux prendre la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer en tant qu’élu local et de la façon de le construire dans un collectif d’élus, avec les services et les citoyens. 

Former l’ensemble de l’exécutif municipal

La question du partage des rôles se joue d’abord à l’intérieur de l’équipe municipale. Passer d’une équipe de campagne à une équipe qui gouverne ensemble n’est pas facile. Comment continuer à travailler avec les autres élus alors que les intérêts défendus divergent ? Comment défendre son point de vue et convaincre ?  Comment ne plus passer pour un « empêcheur de tourner en rond » auprès de l’élu aux finances quand on parle d’écologie ? Comment construire son rôle d’élu à la transition et faire partager les orientations au sein d’une collectivité qui fonctionne souvent en silos avec des frontières nettes entre les services et les délégations ? Parce que la transition nécessite de partager les enjeux, une piste est de former collectivement l’ensemble de l’équipe municipale.

Contribuer à mieux construire son rôle politique

Le partage des rôles entre élus et services est un sujet souvent évoqué, surtout lorsque l’on parle transition. Jusqu’où renforcer son expertise technique quand on est élu ? Si un socle de connaissance minimale est indispensable, c’est sur son rôle politique –définir des orientations, donner du sens à l’action publique, relayer les demandes des citoyens- que l’élu doit, avant tout, construire sa légitimité. À condition de pouvoir s’appuyer sur une ingénierie suffisante, ce qui n’est pas toujours le cas dans les collectivités rurales et périurbaines. Améliorer et fluidifier les relations avec les services de la commune et de l’intercommunalité est un enjeu.

Prendre de la hauteur pour mieux résoudre les problèmes locaux

Nombre d’élus, notamment ceux qui entament leur premier mandat, ont le sentiment d’avoir « le nez dans le guidon » et expriment le besoin de faire un pas de côté et de prendre de la hauteur. Mais ils affichent aussi, en ce début de mandat, le besoin de passer rapidement à l’action est de s’ancrer dans les problématiques de leur territoire. Quels outils pour agir dans le temps court du mandat, tout en restant ambitieux et en prenant de la hauteur ? Il s’agit de leur présenter des exemples inspirants dont ils peuvent s’emparer, en privilégiant la proximité géographique et la similarité des territoires. 

S’appuyer sur les conflits pour innover

Face à la nécessité de mobiliser l’ensemble des parties prenantes - élus, services techniques, habitants, société civile- sur le sujet complexe et transversal des transitions, nombre d’élus ont le sentiment de se heurter à des résistances, y compris au sein de leur propre majorité. Les tensions peuvent se transformer en conflits. Accepter et gérer les conflits pour aller vers des solutions partagées, proposer des outils de simulation pour dépasser les tensions sont des pistes d’expérimentation. 

Mieux travailler avec ses pairs, faire système

Mieux coopérer, créer une dynamique collective

L’impératif de transition place les élus locaux en situation de responsabilité. Face à cet énorme chantier qui suppose une appropriation de tous - élus, services, citoyens, entreprises -, un élu et son administration ne peuvent faire seuls. Ils doivent associer l’ensemble des parties prenantes. Une des attentes formulées principalement par les élus en charge de la transition, est de les aider à créer une dynamique collective et à mieux coopérer. Loin de l’image d’Epinal de l’élu omniscient, la transition invite à la modestie et à considérer le rôle de l’élu  plutôt comme celui de chef d’orchestre. Quels contenus et dispositif de formation pour contribuer à bâtir une culture commune, parler le même langage et partager des références ? Des voies plus collectives doivent donc être explorées. Reste la question de l’échelle et du périmètre. L’enquête montre que l’échelle de la dynamique collective, de l’action et du projet est plutôt locale. Faire projet à l’échelle de l’intercommunalité reste largement un impensé, que la loi NOTRe a certainement accentué.

Apprendre de ses voisins, organiser la proximité

Un constat, presqu’unanime, est que l’échelle locale contient des ressources que les formations doivent mobiliser, y compris dans les territoires ruraux peu denses d’Île-de-France. Cela suppose que cette proximité soit organisée, condition pour que les innovations se diffusent et s’ancrent. Comment organiser ces échanges entre élus, proposer des visites inspirantes, renforcer les réseaux ? Comment s’appuyer sur les compétences disponibles à proximité et sur les innovations, qu’elles soient forgées par la coopération ou produites par le conflit ? Il s’agit de mutualiser les savoirs et les expériences, par exemple en imaginant des plateformes permettant aux élus de solliciter telle ou telle compétence sur les sujets de la transition.

Renforcer l’implication des citoyens

L’impératif de transition est indissociable d’une démocratie renouvelée qui nécessite une implication des citoyens. Des initiatives intéressantes sont à partager, comme ce projet de  « conseil de la transition écologique » associant élus, agents, citoyens et associations dans l’objectif de réviser le PLU et d’orienter les projets du mandat. Sur ce sujet complexe, certains élus sont en attente d’outils et de bonnes pratiques pour s’appuyer sur la plus-value citoyenne. Maîtriser les différents types de montages propices à une coopération avec les citoyens, comprendre les mécanismes d’une gouvernance partagée des ressources, ou apprendre à privilégier l’approche par les conflits d’usage sont des pistes. Il est aussi question, pour les élus, de contribuer à redonner confiance dans l’action publique et de lutter contre la défiance ou la désaffection des citoyens vis-à-vis de la représentation politique.

Ne laisser personne sur le bord du chemin

L’impératif de transition est à la fois écologique et social. C’est une condition de son acceptabilité et de son appropriation, particulièrement dans les territoires ruraux où résident nombre de ménages modestes et dépendants à la voiture. Cet enjeu majeur est peu abordé par l’offre de formation existante et le sera dans les expérimentations. 

Mettre en œuvre les expérimentations

Les expérimentations vont démarrer à la rentrée 2021. Comment et avec quelles modalités pédagogiques ? 

S’appuyer sur différentes modalités pédagogiques

Le principe de réciprocité sera privilégié sous différentes formes : formations entre pairs ; mentorat entre élus (relation interpersonnelle de soutien, d’entraide et d’échanges entre une personne d’expérience et une qui a des compétences à acquérir) ; groupes d’échanges de pratiques, barcamp ou « non-conférence » des élus où tous sont à la fois formés et formateurs ; visites de sites pour donner à voir et apprendre des autres. Une autre approche consistera à « mettre les élus au travail » en leur donnant des objectifs de production identifiés, via la réalisation d’une enquête collaborative, de petits cafés élus/techniciens pour organiser et outiller des échanges réguliers entre élus et services, ou l’organisation de jeux tels que ceux menés par l’association « La fresque du climat ». Nous proposerons aussi d’outiller les élus pour faciliter leur accès aux formations, via l’autodiagnostic individuel et collectif pour mieux identifier leurs besoins, ou encore « la boussole » pour qu’ils s’orientent dans l’offre de formations, labellisée ou non. 

Des expérimentations portées par L’Institut et d’autres par des partenaires

Certains tests seront portés par des partenaires, comme des ALEC, des intercommunalités, des CAUE, des associations, des coopératives. D’autres, portés par L’Institut, proposeront des méthodes et pédagogies innovantes appliquées à des programmes et projets inscrits dans l’agenda des élus et de leurs services (PCAET, PLU, plan vélo, cour oasis). Avec, par exemple, des tests sur le rôle des élus dans l’acceptabilité de la méthanisation (programme Prometha), dans la diffusion des pratiques de rénovation énergétique des copropriétés (programme Récif), ou dans la mise en place de solutions fondées sur la nature et la biodiversité. Des formats de visites innovantes et de jeux collectifs comme « La fresque  du climat », seront aussi testés. 
Nous verrons ainsi les champs du possible en matière d’innovation et de travail collectif.

Anne-Claire Davy, Brigitte Guigou, Alienor Heil-Selimanovski, Lucile Mettetal
Avec l’appui de l’équipe Dé-formations : Assad Ali Cherif, Thomas Cormier, Thomas Hemmerdinger, Jeanne Rouillard.
 

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