Après 75 ans, plus d’un tiers des personnes ont toutes leurs capacités mentales et physiques, et peuvent faire les choses qu’elles veulent1 ; un deuxième tiers est en situation de perte d’autonomie et a besoin d’aide pour réaliser des activités du quotidien (allant de faire ses courses à se laver) ; et le tiers restant connaît un état de santé entre ces deux extrêmes. Pourquoi, au même âge, certains sont-ils en bonne santé et d’autres dépendants ? Ce n’est pas le fruit du hasard.
Le rôle des caractéristiques des individus est bien connu, notamment celui des caractéristiques biologiques (hérédité et patrimoine génétique) et démographiques (âge et sexe), celui du statut socioéconomique, des conditions de vie (y compris pendant l’enfance), de travail, et enfin l’importance des comportements de santé (alimentation, consommation de tabac, d’alcool, activité physique). Outre les expositions environnementales (air, bruit), le lieu dans lequel on vit et la façon dont il est aménagé jouent un rôle dans la santé et l’autonomie. Mais les mécanismes liant environnement résidentiel et santé aux âges élevés sont complexes, enchevêtrés, et appellent des éclaircissements.
Des liens de causalité toujours questionnés
En 2021, des chercheurs de Yale ont réalisé une étude dans le Connecticut, et y ont observé un écart de deux ans d’espérance de vie en bonne santé entre les quartiers favorisés et défavorisés2. Comment expliquer un tel écart ? Deux hypothèses sont proposées. Tout d’abord, l’effet de composition : les plus riches vivent plus longtemps et en meilleure santé, donc les quartiers comptant beaucoup de personnes riches ont des espérances de vie en bonne santé plus élevées. Ensuite, l’effet contextuel : les quartiers les plus riches proposent un meilleur accès à des infrastructures et aménités de qualité, bénéfiques à la santé des résidents. Qui de la poule ou de l’œuf ? Les implications de cette question, débattue depuis plus de 150 ans, sont essentielles pour comprendre les mécanismes de causalité et identifier la nature des interventions susceptibles d’améliorer la santé. Dans un cas, les politiques et actions sociales ou de santé porteront sur les individus ; dans l’autre, elles se concentreront davantage sur l’aménagement de contextes favorables à la santé.
Mais force est de constater que de plus en plus de travaux identifient la présence d’effets simultanés du quartier et des individus sur la santé. De façon caricaturale, une personne pauvre vit en meilleure santé dans un quartier bien aménagé que mal aménagé (effet de quartier), et, quel que soit le quartier, une personne riche est toujours en meilleure santé qu’une personne pauvre (effet individuel). Contrairement à une vision manichéenne longtemps admise, reconnaître l’existence d’effets de quartier ne remet donc pas en question celle d’effets individuels, et invite à proposer un nouveau cadre de pensée en termes de politiques publiques.
Comment l'environnement résidentiel peut-il affecter la santé ?
Les quartiers comportent plusieurs dimensions, économiques (comme le niveau de richesse), sociales (comme le niveau d’interaction sociale entre voisins), et physiques (comme l’accès aux commerces, aux infrastructures ou aux services de santé). Un premier mécanisme s’enclenche par les liens entre ces différentes dimensions, susceptibles d’interagir entre elles et de se renforcer les unes les autres. Par exemple, la ségrégation résidentielle (qu’elle s’exprime en termes de statut social ou d’âge) peut affecter le niveau des dotations en commerces et équipements du quartier, et renforcer la ségrégation existante. De la même manière, une bonne entente entre voisins peut encourager à se regrouper et à plaider pour la piétonnisation des rues, laquelle peut à son tour favoriser les relations sociales. Ainsi, décider (ou ne pas décider) d’améliorer les caractéristiques physiques d’un quartier exerce une influence sur son climat social, voire sa structure socioéconomique. Considérer ces synergies est crucial lors de la mise en place d’interventions environnementales.
Un deuxième mécanisme repose sur le fait que ces dimensions physiques et sociales des quartiers sont chacune associées directement à la santé des résidents. Le rôle de l’aménagement urbain dans les comportements de marche est largement reconnu : des infrastructures piétonnes de mauvaise qualité, un manque de bancs, un trafic routier dense, etc., sont des barrières aux mobilités et pénalisent la marche, notamment pour les plus âgés. À titre d’exemple, le suivi pendant quinze ans de personnes américaines âgées a conclu que les quartiers favorisant les trajets motorisés multipliaient, chaque année, le risque de déclin moteur par 1,5 par rapport aux quartiers piétons3.