Habitat et Humanisme se dote d’un office foncier solidaire
Habiter autrement n° 15
Entretien avec Yves Caplain
Yves Caplain est président de l’association Accession solidaire, créée en 1951 sous le nom de Mouvement d’aide au logement jusqu’en 2018. L’association est membre du mouvement Habitat et Humanisme. L’accession sociale à la propriété constitue le cœur de métier d’Accession solidaire, qui se consacre depuis soixante-cinq ans au développement de l’épargne solidaire. Dans sa nouvelle stratégie, elle a décidé de poursuivre dans cette voie mais d’y inclure un nouvel outil qu’est l’office foncier solidaire (OFS).
Comment vous est venue l’idée de créer un office foncier solidaire au sein d’Habitat et Humanisme ?
Depuis sa création, notre association œuvre en faveur de l’accession sociale à la propriété. L’OFS constitue un nouvel outil pour nous, qui s’inscrit pleinement dans le champ de l’accession sociale, et il nous paraissait essentiel d’en faire un axe de notre nouvelle stratégie, qui se veut plus ambitieuse. Pour nous, l’OFS présente deux avantages majeurs. D’une part, il permet à la fois d’abaisser le coût d’acquisition pour les ménages modestes dans les zones tendues, mais également de pérenniser la vocation sociale du bien. Notre projet a été très bien accueilli par la préfecture de la région Île-de-France et nous avons obtenu l’agrément à la fin de l’année 2018. La forme légale que nous avons choisie pour notre OFS est celle de l’association car elle constitue à la fois une structure de référence pour nous et sa durée de vie est illimitée, et cela permet de réaffirmer le caractère désintéressé et non lucratif de notre initiative. L’OFS détient 200 000 euros de fonds propres, qui proviennent des deux partenaires fondateurs, à savoir Accession solidaire et la fédération Habitat et Humanisme.
Quels types d’opérations avez-vous prévu de mener ? Bénéficiez-vous de prix minorés pour l’acquisition des terrains ?
Pour le moment, une dizaine de projets sont à l’étude, à des degrés divers d’avancement, dont deux sur Paris, trois en petite couronne et deux en grande couronne. Nous ciblons les zones tendues et des opérations où la décote est de 20 à 30 % par rapport aux prix du marché en pleine propriété. De plus, nous privilégions la construction de logements collectifs par lots de dix au minimum et aimerions pouvoir en livrer un à deux par an d’ici à 2020-2021. C’est pourquoi, après étude, nous avons décidé d’abandonner un projet qui se situait dans une zone peu tendue de la grande couronne et peu accessible en transport en commun, dans lequel le nombre de lots était insuffisant et où il existait un risque commercial réel pour le promoteur. De manière générale, il faut savoir que chaque opération est différente, notamment en termes de mixité. L’emprise foncière du terrain n’appartient pas forcément dans sa totalité à l’OFS, car le terrain peut être divisé en volumes ou bien en lots. Les opérations peuvent alors abriter à la fois des logements relevant du bail réel solidaire (BRS), du locatif social ou encore du marché libre. Toutefois, les logements en prêt social location accession (PSLA) et en BRS cohabitent rarement ensemble au sein d’une même opération, c’est l’un ou l’autre. Enfin, nous veillons dans toutes nos opérations à ce que la redevance ne soit pas trop élevée pour nos ménages afin de préserver la vocation sociale.
Concernant l’acquisition des terrains, les opérations à l’étude ne comportent pas de prix minorés, mais nous en recherchons. Toutefois, elles font l’objet d’une garantie de la collectivité, ce qui nous permet de bénéficier de la quotité de financement la plus élevée possible de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
À quels types de profils s’adressent vos opérations ?
La décote des logements vendus en BRS par rapport à une accession sociale classique permet de s’adresser à des ménages dont les ressources sont plus faibles. Par exemple, à taux d’effort constant, cela permet de passer d’un revenu nécessaire de 2 à 1,5 smic ou de 3 à 2 smic, selon les zones et la composition familiale.
Quelle stratégie adoptez-vous pour faire face à la concurrence potentielle entre le modèle du PSLA et celui de l’OFS ?
Le bail réel solidaire et le prêt social location-accession ont en point commun une TVA au taux réduit de 5,5 %. A contrario, deux autres aspects permettent de saisir leurs différences. Le BRS est d’une plus grande complexité que le PSLA, qui lui possède un caractère social moins significatif, dans la mesure où l’accession n’est sociale qu’à la première mutation. Compte tenu de ces éléments, la taille des opérations s’avère relativement déterminante. Nous privilégions le BRS pour les opérations significatives et pour son caractère plus social, et le PSLA pour des opérations plus petites (moins de 10 ou 15 lots), afin d’éviter d’employer nos forces de montage à des opérations de plus faible impact. D’ailleurs, tout projet d’opération commence par une comparaison entre une formule d’accession sociale en pleine propriété et une formule en BRS.
Quelles sont les modalités du BRS pour les ménages titulaires notamment concernant leurs droits réels et la question de la transmission ?
Au niveau juridique, pour bénéficier de droits réels immobiliers, la durée du bail doit être au minimum de 18 ans (bail rural) et au maximum de 99 ans (bail emphytéotique). Au sein de Mouvement d’Aide au Logement, nous avions eu un débat interne sur la durée des BRS. Certains étaient partisans d’une durée de soixante ans, qui correspond à la durée du prêt contracté par l’OFS auprès de la CDC, d’autres auraient préféré une occupation de trente ans afin de permettre une certaine rotation du parc. Nous penchons plutôt pour une durée longue.
À chaque mutation, les droits réels se voient revalorisés de la manière suivante : on part du prix d’achat et on y applique un indice réglementaire, l’ICC, auquel nous pouvons apporter des corrections en fonction de l’état de revente du logement (s’il a subi des dégradations ou des améliorations significatives…). En ce qui concerne la succession, les ayants droit héritent à la fois du bâti en pleine propriété ainsi que du BRS. S’ils sont éligibles et après contrôle de l’OFS, ces derniers peuvent occuper le logement à titre de résidence principale. Ils se voient alors attribuer un nouveau BRS, d’une durée équivalant à la durée d’origine. Si les ayants droit ne sont pas éligibles, ils disposent d’un an pour vendre le logement. Si à cette échéance, le logement n’a pas trouvé de nouvel acquéreur, l’OFS doit racheter le bâti, dont il devient propriétaire, le temps de le revendre à un nouveau ménage.
Quels sont les principaux risques financiers que vous identifiez pour l’OFS d’Habitat et Humanisme ?
Le risque principal réside dans la non-congruence entre la redevance, dont s’acquittent les ménages, et le taux du prêt Gaïa, contracté par l’OFS auprès de la CDC, notamment au moment d’une revalorisation foncière. La redevance des ménages est revalorisée sur le taux de l’indice de référence des loyers (IRL). Le prêt Gaïa dont le taux est indexé sur le Livret A (0.75 %) est un prêt qui s’étale sur soixante ans. Il s’agit d’un taux variable, révisé chaque année, auquel s’ajoute une marge de 0,6 %. Or, la réglementation française empêche que l’indexation de la redevance s’aligne sur celle du prêt. En effet, il faut que l’indexation de la redevance s’effectue sur un indice correspondant à l’activité menée, dans notre cas il s’agit de l’IRL, prévu par l’article R 255-3 du Code de la construction et de l’habitat. Toutefois, dans cette configuration, le taux de l’IRL, bien qu’il ne suive pas l’évolution du marché des prix fonciers, augmente plus rapidement que le taux du Livret A, dont il est de surcroît difficile de prévoir l’évolution sur le long terme. Pour l’association Accession solidaire, la congruence est très importante. Elle permettrait à la fois à l’OFS de rembourser son prêt, sans que celui-ci ne fasse de profit et aux ménages de s’acquitter d’une redevance dont le montant serait le plus juste possible et donc raisonnable.
Le deuxième risque porte sur la quotité de financement accordé par la CDC, qui théoriquement peut représenter jusqu’à 100 % de l’opération. Mais dans les faits, elle se situe davantage entre 95 et 100%. Or, cet écart nécessite de mobiliser nos fonds propres qui constituent une ressource que nous souhaitons préserver. Ce point fait l’objet d’une négociation entre nous et la CDC dans laquelle cette dernière détermine la quotité de l’emprunt, au vu de son estimation du risque financier.
Le troisième risque est celui d’avoir des redevances impayées. Il est correctement couvert par nos fonds propres sur les douze premières années.
Enfin, l’obligation de rachat, représente un risque moins probable et plus massif. Lorsqu’un ménage ne parvient pas à revendre son bâti, l’OFS est dans l’obligation de le racheter pour ensuite le revendre en BRS ou sur le marché libre. La réglementation est relativement floue sur ce point d’ailleurs. Notre politique consiste à privilégier la revente du bien en BRS chaque fois que cela est possible, sinon de revendre à Habitat et Humanisme qui l’utilisera pour des opérations de locatif social. La vocation sociale se voit alors préservée dans tous les cas. Or ce rachat représente un effort financier important, effort qui est d’autant plus lourd lorsque la durée du portage s’avère longue et la quantité de lots rachetés importante. Toutefois, nous relativisons ce point dans la mesure où le risque de ne pas réussir à revendre un bien en zones tendues, où les prix de l’immobilier ne devraient pas baisser, reste relativement faible.
Au vu des interactions avec les différents acteurs que l’OFS mobilise, diriez-vous que c’est un modèle attractif ?
Certaines collectivités, notamment de l’Ouest francilien, cherchant à produire du logement social, ont été séduites par le modèle OFS-BRS et notamment par la clause introduite par la loi Elan permettant de comptabiliser les logements en BRS dans le cadre de la loi SRU. En revanche, pour les communes carencées, qui sont astreintes à produire du logement social dans toutes ses variantes (PLAI, PLUS, PLS…), on ne sait pas où se situe le BRS. Il sera donc nécessaire que les pouvoirs publics précisent la position de ce produit dans la typologie des logements sociaux.
En ce qui concerne les promoteurs, et plus particulièrement, les monteurs d’opérations, la présentation de nos programmes BRS suscite bien souvent leur enthousiasme car ils voient au travers de cette formule le moyen de diversifier leurs offres et de cibler une clientèle plus sociale. En revanche, les forces commerciales, rattachées au métier de la promotion, peuvent se montrer plus réservées face à la complexité du produit.
Que pensez-vous de limiter la durée de versement de la redevance des ménages, notamment après qu’ils aient remboursé leur prêt ?
La question porte sur ce qui se passera dans soixante-et-un ans. Nous sommes plutôt partisans de maintenir la redevance après la fin de la durée de financement, d’une part, parce que le terrain est toujours loué et, d’autre part, dans un souci de cohérence dans le traitement de nos différents accédants. L’incertitude du modèle économique se pose à très long terme. Si celui-ci se révèle meilleur que ce que nous avions anticipé, il sera possible de réduire, voire de supprimer les frais de gestion associés à la redevance. Ces frais seront alors couverts par la perception des redevances sans financement.
Comment expliquez-vous les difficultés de transposition du modèle des Community Land Trust en France ?
Outre les points techniques évoqués, la transposition du modèle CLT en France se heurte à une difficulté psychologique : celle de ne pas être pleinement propriétaire ! Être seulement propriétaire du bâti, peut freiner certains acquéreurs.
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