Les maisons Abbeyfield en Belgique : un habitat autogéré pour personnes âgées

Habiter autrement n° 11

17 janvier 2019ContactLucile Mettetal, Olivier Mandon

Un habitat collectif et autogéré pour seniors autonomes, c'est le concept des maisons Abbeyfield en Belgique. Elles comportent en moyenne une dizaine de logements, assortis d'espaces communs. Elles sont accompagnées par une association qui réunit les habitants et quelques volontaires. L'association Abbeyfield Belgium coordonne ces associations locales, vérifie que les maisons répondent à la charte internationale de l'Abbeyfield Society et contribue à l'apparition de nouveaux projets.

L’histoire et le contexte

Les maisons Abbeyfield ont d’abord vu le jour au Royaume-Uni dans les années cinquante. Elles s’y sont fortement développées (plus de 700 aujourd’hui) avant de s’exporter. On en trouve à présent dans neuf pays, dont la Belgique. L’association Abbeyfield Belgium est née en 1995 grâce à l’impulsion de sa présidente  de l’époque, Monique Vesrtraeten. Celle-ci avait découvert le concept alors qu’elle était présidente du Centre européen du volontariat (CEV). Après avoir visité les maisons Abbeyfield anglaises et écossaises, elle décida d’importer l’idée. Plusieurs comités furent organisés dans différentes villes. Au bout de six ans, l’un deux parvint enfin à ses fins et créa une maison Abbeyfield à Villers-la-Ville, en région wallonne, devenue depuis un centre intergénérationnel. La Fondation Roi Baudouin accepta d’apporter son concours et acheta l’immeuble, une ancienne abbaye du centre-ville. Après ce premier succès, d’autres maisons virent le jour, grâce à des partenariats public-privé ou privé-privé. Il n’existe pour l’instant aucun statut spécifique pour ce genre d’habitation, ce qui nécessite de « bricoler » avec les statuts existants, et constitue un obstacle à la protection des habitants et à l’accès aux aides publiques.

Les acteurs

L’association Abbeyfield Belgium est le moteur de chaque projet. Elle est secondée par ses associations régionales (Wallonie, région bruxelloise et Flandre). Ensemble, elles organisent des comités et des réunions qui leur permettent de créer un noyau dur de futurs habitants et de bénévoles pour une maison Abbeyfield à venir. Obtenir la location d’un bâtiment sur le long terme et sa réhabilitation, est souvent l’étape qui pose le plus de difficultés : il faut bénéficier de l’aide d’un partenaire prêt à financer le projet. Il s’agit parfois d’une collectivité territoriale (la ville de Bruxelles, par exemple), d’une société immobilière de service public (comme Notre Maison à Perwez) ou de la Fondation Roi Baudouin. Le partenaire achète, réhabilite et loue le bâtiment à une association locale, dont les membres sont les futurs habitants de la maison. L’association reçoit des subventions de la part du ministère du Logement. Certains projets sont également soutenus financièrement par les régions. Le terrain est parfois concédé à titre gratuit par la commune ou son centre public d’action sociale (CPAS).

Les habitants

Les habitants qui entrent dans une maison Abbeyfield ont en moyenne entre 60 et 70 ans. Cependant, on y trouve des personnes plus jeunes ou plus âgées. D’origines sociales diverses, elles ont en commun d’être suffisamment motivées pour avoir porté le projet depuis ses débuts ou pour avoir passé une procédure d’admission exigeante (entretien, lettre de motivation, stage). Rares sont les couples, mais il ne s’agit pas nécessairement de personnes isolées. À leur arrivée, elles doivent être parfaitement indépendantes (physiquement et financièrement). En tant que membres de l’association, les habitants ne paient pas de loyer mais une participation aux frais. Elle se situe généralement entre 600 et 800 euros et comprend le loyer, les charges d’entretien des lieux partagés, les coûts des repas communs, la consommation individuelle et collective de chauffage, d’eau et d’électricité, les assurances, les cotisations annuelles à l’association et une réserve pour des travaux, par exemple. Chaque maison est gérée à prix coûtant.

Les lieux

La forme architecturale est extrêmement variable. Une seule maison a pour l’instant été construite (celle de Perwez) et toutes les autres se situent au sein d’anciens bâtiments réhabilités (dont une abbaye, un château, et des immeubles de centre-ville). Il s’agit généralement d’un immeuble de taille moyenne comportant une dizaine d’appartements et de vastes espaces communs, comprenant notamment une cuisine, une buanderie, une chambre d’amis, mais aussi très souvent une bibliothèque, une salle à manger, un salon télévisé, ainsi qu’un jardin. Certaines maisons Abbeyfield sont également dotées de grandes salles permettant d’accueillir des activités communales ou des conférences, une manière de s’ouvrir vers l’extérieur.
Les appartements ont une superficie allant de 33 à 70 m2. Ils sont équipés mais non meublés pour que les habitants puissent conserver leurs anciens meubles. À Entre-Voisins (Bruxelles), un appartement est laissé vacant afin de pouvoir accueillir des personnes en ayant besoin, comme un couple d’handicapés ou des étudiants., 

L’organisation

Chacune des associations locales signe la charte Abbeyfield et adhère à Abbeyfield Belgium. Cependant, elles ont toutes un règlement intérieur qui leur est propre, rédigé par le conseil des habitants. L’organisation est plus complexe que dans d’autres formes d’habitat groupé : les habitants et les volontaires doivent gérer une association ensemble, ce qui implique des réunions fréquentes et une gestion comptable rigoureuse. Ils participent tous à un conseil au sein duquel le règlement intérieur est actualisé. Ces séances (une à deux fois par mois) ont aussi pour vocation de résoudre les éventuels conflits et d’organiser la vie collective. Les volontaires ont un rôle crucial : ils aident les personnes à s’installer, les informent, leur apportent du soutien et font parfois office d’« housekeeper » (ménage et préparation des repas). Les volontaires peuvent également siéger au conseil d’administration de l’association. Les habitants élisent tous les trois mois un coordinateur parmi eux, qui gère la maison dans la mesure de ses moyens.
Les procédures d’admission d’un nouvel habitant sont complexes : une première sélection se fait après envoi d’une lettre de motivation. S’en suit une visite de la maison, une consultation chez un médecin, un rendez-vous avec une assistante sociale et un psychologue (qui donnent un avis informel sur la candidature), avant de réaliser un séjour de 15 jours dans le logement, qui sera suivi par un vote du conseil des habitants. Beaucoup abandonnent dès la deuxième étape, seules les personnes très motivées par un mode de vie collectif sont sélectionnées.

La vie quotidienne

Les maisons Abbeyfield ont plusieurs objectifs : lutter contre la solitude et l’insécurité des personnes âgées, et leur permettre de se rendre utiles à la collectivité. Les habitants prennent leurs repas au moins deux fois par semaine ensemble et se rassemblent fréquemment lors de rencontres informelles. Les maisons sont ouvertes à la vie de la cité et des activités y sont organisées, comme des cours de yoga, des conférences ou des rencontres intergénérationnelles. Les disputes y sont récurrentes, mais une vraie solidarité est entretenue. Par exemple lorsqu’un habitant tombe malade, ses voisins veillent sur lui à tour de rôle et lui apportent ses médicaments.

Les « moins »

Le règlement intérieur et la charte Abbeyfield sont très contraignants et prennent beaucoup de place dans la vie des habitants. Ils sont cependant jugés comme absolument nécessaires par Abbeyfield Belgium pour permettre la vie en groupe. La gestion de l’association locale incombe aux habitants de la maison, une des raisons pour laquelle cet habitat n’est pas adapté aux personnes dépendantes. En outre, la plupart des bâtiments ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite. Pour finir, la procédure d’admission peut être difficile à supporter et dissuader les candidats. Si plusieurs logements restent vacants sur une longue période, la participation financière des occupants augmente et peut nuire à leur solvabilité.

Les « plus »

Malgré ses aspects parfois contraignants, la plupart des habitants s’épanouissent dans les maisons Abbeyfield. On y emménage pour plusieurs raisons : certains parce qu’ils ne peuvent plus vivre seuls et qu’ils sont incapables de conduire par exemple, d’autres parce qu’ils ne supportent plus la solitude ou l’insécurité, d’autres encore parce que l’association est un moyen de rester actifs. Les maisons Abbeyfield parviennent à répondre à ces motivations diverses. L’autogestion, si elle peut être un inconvénient, reste un excellent moyen de permettre aux personnes âgées de gérer leur propre vie ; les bénévoles sont là pour accompagner mais en aucun cas prendre le contrôle des lieux. 

Les conditions de réussite

Constituer dès le début un noyau dur de futurs habitants est très important. C’est non seulement une garantie que les logements seront habités (au moins en partie) mais également une méthode pour que les habitants apprennent à se connaître, à vivre ensemble et à gérer l’association. Le système repose également sur une forte implication des bénévoles. De nombreuses réunions préalables à la création de la maison sont nécessaires, afin de recruter et de motiver les riverains du projet. 
Un autre élément de réussite est de mixer les générations au sein de la maison (entre 50 et 80 ans). Cela permet une plus grande ouverture du lieu sur son quartier et empêche une « ghettoïsation » de la population vieillissante.  
Le lieu lui-même et sa situation sont également importants : l’abbaye de Villiers-la-Ville était un endroit symbolique dans la commune et cela a incité la population à s’intéresser et à participer au projet, à tel point qu’il est devenu un centre intergénérationnel. Il en va de même pour l’ancien manoir de Lixhe-Visé. À l’exception de Perwez, les autres maisons sont en centre-ville et bénéficient de l’activité urbaine bruxelloise. 

Propos d’Alexandra de Theux, travaillant actuellement pour Abbeyfield Belgium

Sur le rôle des bénévoles dans l’association 

Abbeyfield fonctionne grâce aux bénévoles. On a quelques subsides qui permettent d’avoir des personnes à mi-temps dont moi-même, mais sinon ce ne sont que des bénévoles, sans eux on ne pourrait pas tout faire. Ce sont eux qui vont transmettre l’information sur le concept Abbeyfield pour essayer d’attirer des personnes âgées qui seraient intéressées. Une fois qu’il y a un petit noyau qui commence à se former, c’est eux aussi qui font tout le travail de préparation, c’est eux qui guident le groupe si l’on peut dire .

Sur les difficultés à trouver des candidats pour habiter une maison

Chaque maison a un peu son mode d’emploi. C’est vrai que j’ai en mémoire une maison pour laquelle ça a été compliqué et la vacance a duré trois ou quatre mois. Et puis finalement ça s’est débloqué. Comme il y a le système de cooptation, il faut que les habitants ne soient pas trop difficiles, parce que la perle rare n’existe pas.

Sur les raisons pour laquelle une place se libère dans une maison

Il y en a pas beaucoup qui partent mais ça arrive. Un homme a quitté les lieux parce qu’il se sentait seul, mal intégré au groupe, mais c’est une situation plutôt rare. En général, quand un logement se libère, c’est qu’il y a eu un décès. Et ça veut dire qu’on peut vivre jusqu’à la fin dans une maison Abbeyfield.

Sur le rôle d’Abbeyfield Belgium dans les maisons

Les habitants sont très indépendants, ils n’ont pas vraiment besoin de nous. Nous sommes là pour gérer les maisons qui s’ouvrent et la communication entre les maisons, mais nous ne sommes pas là pour leur tenir la main.

Sur la vie dans un logement Abbeyfield

Je crois qu’en règle général les habitants y sont bien. Comme dans toute structure il y a des conflits, mais je pense qu’ils sont heureux. Bien sûr cela correspond à un profil particulier, tout le monde ne peut pas vivre dans un habitat partagé.

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