Ce qu'en dit la loi

Dossier colocation, article n° 4   Sommaire

17 novembre 2022ContactIsabelle Barazza

Si la colocation est pratiquée de longue date de manière souvent informelle, son développement récent a conduit le législateur à proposer aux propriétaires et aux colocataires un cadre plus adapté. Mais au motif d’ajuster certaines normes de façon à prendre en considération la singularité de ce mode d’habiter, ces nouvelles dispositions ouvrent la voie à des détournements et des abus dont profitent les marchands de sommeil. 

Comme introduit dans les chroniques précédentes, la colocation repose sur un gradient allant des espaces communs, lieux de sociabilité et de mutualisation d’équipements, jusqu’aux sphères privées et intimes. Si elle constitue un mode d’habiter à part entière, la colocation n’a jamais bénéficié d’un cadre juridique propre. Les baux permettant ces mises en location et les normes de décence appliquées à ces logements partagés se calquent en définitive sur celles des logements « classiques ».

La naissance d’un cadre légal de la colocation

La colocation est une pratique locative relativement ancienne, régie dès ses débuts par les dispositions générales du code civil, impliquant une totale solidarité entre les locataires dans le paiement du loyer. Dans une colocation « traditionnelle », tous les locataires du logement signent le même bail. On parle alors de colocation « à bail unique ». Dans ce cas, les locataires s’entendent sur la jouissance des espaces et des équipements de façon autonome. Ils engagent leur solidarité et celle de leur caution, ce qui garantit au bailleur le paiement des loyers. En cas de défaillance d’un colocataire, les autres signataires du bail sont tenus de régler la part de loyer manquante ; y compris jusqu’à six mois après le départ de l’un d’entre eux avant la fin du bail ou jusqu’à ce qu’un nouveau locataire intègre la colocation.  En 2014, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a reconnu les deux types de baux : « contrat unique ou plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur », mais a surtout statué sur la colocation à bail unique (respect du contrat type, clause de solidarité, caution solidaire). Celle-ci tend pourtant à disparaître au profit de la colocation à baux multiples, qui reste insuffisamment encadrée.

La colocation à baux séparés : un changement de paradigme

La loi Alur ouvre donc la possibilité pour chaque colocataire de signer un bail individuel correspondant à la location d’une seule pièce. Cette contractualisation individuelle apporte une certaine souplesse permettant la rotation des locataires et garantissant au bailleur un taux d’occupation et un rendement locatif performants. Côté locataire, elle lève les contraintes financières et juridiques imposées par la clause de solidarité entre colocataires, entraînant souvent celle des parents qui se portaient caution. Autant d’évolutions qui traduisent un changement dans la nature de la colocation : elle n’est plus le fruit d’une entente « entre amis » réunis pour partager un logement, mais une pratique locative gérée par un tiers. Afin d’optimiser l’occupation du bien et les loyers perçus, chaque colocataire est géré individuellement.
Dans un contexte marqué par les difficultés d’accès à un logement indépendant, ce nouveau type de bail rencontre un vif succès. Au-delà des avantages qu’il présente pour les bailleurs, il permet à chaque locataire de s’adresser directement au bailleur plutôt qu’à la communauté des colocataires. Mais ce développement s’accompagne de pratiques parfois abusives, traduisant une surexploitation du parc par des divisions de logement, notamment dans les tissus pavillonnaires. 
Avec la loi Alur de 2014, le législateur propose une esquisse de régime légal pour prévenir ces dérives1. La colocation à baux séparés est dès lors explicitement désignée comme une division du logement puisque chaque colocataire est signataire d’un bail individuel correspondant généralement à la location d’une seule pièce, considérée comme une « mono-habitation ». La loi se fonde sur ce motif pour définir des surfaces et volumes minimaux habitables, applicables à chaque « création » de logement par un nouveau bail. Elle s’appuie en cela sur les dispositions du code de la construction et de l’habitation qui définissent des seuils pour les créations de logements par division, à savoir une surface de 14 m2 et un volume de 33 m3, sachant que les installations ou pièces communes ne pouvaient être prises en compte dans ces calculs2.

Des angles morts juridiques qui ouvrent la porte à des dérives locatives 

Ces évolutions ont introduit une différence de traitement entre les surfaces et volumes applicables à des logements « classiques » et ceux exigés pour des colocations à baux séparés. Un différentiel qui entrave la mise en colocation de grands logements appartenant à des bailleurs attentifs à la réglementation. En 2018, la loi Élan revient donc sur les évolutions introduites par la loi Alur et aligne les normes d’habitabilité applicables à la colocation à baux séparés sur les normes générales des logements « classiques ». En s’appuyant sur le décret « décence » du 30 janvier 2002, la loi Élan procède ainsi à un abaissement des seuils minimaux d’habitabilité à une surface de 9 m2 et un volume de 20 m3
La colocation à baux séparés se heurte également à une difficulté liée aux critères de décence du logement3 comprenant un certain nombre d’équipements à prévoir : outre l’alimentation en eau potable, les évacuations et l’alimentation électrique, déjà citées dans le code de la construction et de l’habitat, il y est question de chauffage suffisant, de sanitaires ou d’espace cuisine. Des exigences qui ne peuvent évidemment être attendues pour chacune des pièces faisant l’objet d’un bail. La loi Élan pare à cette difficulté en indiquant que les normes de décence seront appréciées pour l’ensemble des éléments, équipements et pièces du logement, indépendamment du nombre de chambres ou du nombre d’occupants. Une telle disposition revient à faire abstraction de la singularité des colocations, où la frontière entre optimisation de l’occupation et surexploitation d’un logement est ténue. Alors qu’un décret était attendu par le secteur afin d’établir des seuils maximaux pour l’utilisation des équipements communs tels que la cuisine et les sanitaires, la loi Élan renonce à faire la part des choses et à fournir un fondement juridique permettant de distinguer colocation décente pour ses occupants et pratiques délictueuses. En dépit des efforts antérieurs pour construire un cadre adapté à la colocation, au bénéfice des propriétaires et des locataires, les règles qui lui sont aujourd’hui appliquées sont donc celles de contrats de location classiques. 

La colocation : l’argument clé des marchands de sommeil
Nancy Bouché4 voit dans ces évolutions récentes « un boulevard pour les marchands de sommeil ». La diminution de la surface habitable légale, le recours aux baux séparés qui se généralise, l’absence de référence précise à la décence du logement loué en colocation, mettent en place les conditions « idéales » pour diviser les surfaces en micro-logements et favoriser leur suroccupation. Les marchands de sommeil se sont engouffrés dans cette faille juridique pour défendre des divisions illicites de logements, notamment pavillonnaires, en invoquant la « colocation » par pièces de 9 m2, la loi n’apportant aucune précision quant aux modalités de partage des espaces communs. 
« De fait et en droit, la notion de décence du logement, qui constitue pourtant une valeur constitutionnelle, disparaît par cette disposition inopposable. En effet, cela prive de tout recours et de toute protection les occupants : sur quels éléments vont-ils pouvoir se fonder pour contester les conditions d’habitation qui leur sont imposées par le bailleur ? Contester le partage des sanitaires et de la cuisine à quatre familles, chacune étant colocataire d’une pièce du pavillon ? Quel accès à l’eau, au chauffage, à l’alimentation électrique, quelle individualisation des consommations d’énergie ? Plus grave encore, sur quels éléments de manque à la décence va pouvoir se fonder la caisse d’allocations familiales pour délivrer l’allocation logement, ou la suspendre en cas de situation locative abusive ? », alerte Nancy Bouché.

Alors même que la loi Élan a renforcé les mesures coercitives (fiscales, administratives) et les sanctions à l’encontre des marchands de sommeil5, les modifications apportées au régime encadrant les colocations facilitent certaines pratiques abusives. En Île-de-France, région particulièrement exposée au phénomène, l’encadrement juridique de la colocation à baux séparés devient urgent. Récemment, la loi 3DS a apporté une lueur d’espoir à ceux craignant que le développement des colocations soit synonyme d’une exploitation toujours plus mercantile et intense du parc, au détriment des conditions de logement des habitants. Dorénavant, dans les zones tendues identifiées par décret (agglomérations de Paris et de Meaux en Île-de-France), le montant total des loyers versés par les colocataires d’un logement ne pourra pas être supérieur au montant du loyer applicable au logement, et ce quel que soit le bail régissant la colocation. 

1. Izac Laurent, « La pratique de la colocation revisitée par la loi Alur », dans Droit et Ville, 2014/2, n°78, p. 257-266.
2. Article L. 111-6-1. Règles générales applicables à la construction et la rénovation de bâtiments (articles L111-1 à L113-20).
3. Ce critère est défini par plusieurs références juridiques dont : l’article 1719 du code civil, modifié par la loi SRU ; l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et son décret d’application du 30 janvier 2002.
4. Inspectrice générale de l’équipement honoraire, présidente honoraire du Pôle national de lutte contre l’habitat indigne.
5. Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), Loi Élan. Lutte contre les marchands de sommeil : les mesures, ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales, novembre 2019.

Encadrement de la colocation : les grandes étapes législatives

2014 Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur)

La loi Alur introduit l’article 8-1 relatif à la colocation dans la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, texte de référence du droit immobilier locatif.

La colocation formalisée par la conclusion de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur constitue une division du logement tenue au respect des articles L. 111-6-1 et L. 111-6-1-1 du code de la construction et de l’habitation (dispositions générales applicables aux bâtiments d’habitation et règles générales de division) :

  • L’article L. 111-6-1 précise les règles générales de division et l’interdiction touchant toute division d’immeuble en vue de mettre à disposition des locaux à usage d’habitation d’une superficie et d’un volume habitables inférieurs respectivement de 14 m2 et 33 m3.

Les mesures visant à endiguer l’activité des marchands de sommeil sont énoncées au Titre II de la loi : lutter contre l’habitat indigne et les copropriétés dégradées (articles 52 à 95).

2015 Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron 

La loi Macron vient modifier certaines dispositions de la loi du 6 juillet 1989 qui concernent les colocations « classiques » à bail unique. Afin de « flexibiliser » la pratique et faciliter la rotation des résidents, la loi précise certaines mesures relatives à la solidarité des colocataires et de leur garant.

L’article 82 apporte une nouvelle définition de la colocation introduite par la loi Alur, et exclut désormais de ce régime les époux et partenaires liés par un Pacs, s’ils en sont les seuls locataires, leur situation relevant déjà du régime de solidarité légale prévu par l’article 1751 du code civil.

2018 Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan)
La loi Élan vient remanier l’article 8-1 introduit par la loi Alur dans la loi du 6 juillet 1989 : 

  • Par dérogation aux règles applicables en matière de division du logement, la surface d’habitation minimale de 14 m2 et le volume minimal de 33 m3 pour chaque logement issu d’une division par location, considérant qu’il s’agissait d’une création de logement, sont désormais réduits à 9 m2 et 20 m3, par assimilation à une location de logement constitué d’une seule pièce.
  • La même loi a supprimé la possibilité de préciser par décret l’adaptation des normes de décence à ces colocations-divisions, en renvoyant simplement à une disposition générale ainsi libellée : « Pour l’application de l’article 6 de la présente loi, il est tenu compte de l’ensemble des éléments, équipements et pièces du logement. »

 

2022 Loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS
L’article 85 de la loi 3DS modifie l’article 140 de la loi Élan. Un nouvel alinéa vient compléter l’article 8-1 de la loi du 6 juillet 1989 concernant les colocations de logement : dans les zones tendues, le montant de la somme des loyers perçus de l’ensemble des colocataires ne doit pas excéder la valeur du loyer applicable au logement.


Remerciements à : Nancy Bouché, inspectrice générale de l’équipement honoraire, présidente honoraire du Pôle national de lutte contre l’habitat indigne.

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