Un projet pionnier d’habitat coopératif : le Village vertical à Villeurbanne

Habiter autrement n° 7

06 décembre 2018ContactLucile Mettetal, Olivier Mandon

 

Avant même les décrets de la loi Alur qui ont permis l’émergence de sociétés d’habitat participatif, des habitants de Villeurbanne (région Auvergne-Rhône-Alpes) se sont regroupés en 2005 avec la ferme volonté de trouver une solution à leur problème de logement. Aidés par de nombreux acteurs (association, architecte, bailleur, ville de Villeurbanne, conseil régional), ils se sont organisés en coopérative en 2013 et vivent depuis dans un immeuble écologique et coopératif, baptisé Village vertical.

L’histoire et le contexte

Le projet démarre en 2005, lorsqu’un groupe de quatre personnes décide de trouver une solution à leur problème de logement et de concevoir une coopérative d’habitants. Parmi elles, seul un couple est resté jusqu’à la fin du projet et d’autres sont arrivés en cours de montage. Le groupe a tout d’abord tenté d’acquérir du bâti à reconvertir, comme une ancienne usine, mais a changé d’avis en constatant la tension sur le marché immobilier. Afin de devenir force de proposition, une association est constituée, et les membres du groupe décident alors de consacrer plusieurs heures par semaine à l’élaboration de leur projet (une réunion hebdomadaire, une réunion mensuelle et des commissions thématiques : architecture, financement, montage juridique). En 2006, Habicoop prend contact avec l’association et leur propose de devenir les « porte-drapeaux » de l’habitat coopératif en France. Grâce à ce soutien, ils parviennent à tisser un partenariat avec la société HLM Rhône Saône Habitat. Ce concours permet d’obtenir un terrain avec l’appui du Grand Lyon et de la ville de Villeurbanne. En 2008, le foncier est obtenu et des discussions avec les architectes sont entamées (cabinet Arbor&Sens et Détry-Lévy). Afin de concevoir un projet financièrement équilibré pour le bailleur social et acceptable dans l’environnement bancaire, il est décidé que deux tiers des logements seront en accession à la propriété et que le tiers restant sera réservé au « village ». En 2010, le permis de construire est obtenu et l’association des futurs habitants se transforme en coopérative. Un montage juridique est conçu par Habicoop pour pallier l’absence de reconnaissance légale des coopératives d’habitants, instituées par la loi Alur en 2014. Entre le démarrage du chantier en 2011 et la livraison du bâtiment en 2013,  les habitants œuvrent au respect des exigences écologiques. Les artisans et les architectes, peut habitués à devoir travailler avec un co-maître d’ouvrage, sont incités à revoir leur posture professionnelle. D’autres partenaires s’associent à l’opération, comme l’AILOJ (Association d’aide au logement des jeunes) qui accompagne les jeunes en insertion destinés à vivre dans les quatre logements très sociaux. 

Les acteurs

De nombreux acteurs ont contribué à rendre cette coopérative possible. L’association Habicoop a joué le rôle d'assistance à maîtrise d'ouvrage et a apporté son aide en matière juridique et financière. Arbor&Sens et Détry-Lévy sont les architectes du projet, co-conçu avec les habitants. La société HLM Rhône Saône Habitat s’est chargée de la construction et du portage financier. L'association AILOJ est présente pour la gestion des logements très sociaux destinés à des jeunes, accompagnés dans un parcours d'insertion sociale. La ville de Villeurbanne, associée au Grand Lyon, a vendu le terrain. La Région a également accordé une subvention de 4 000 euros par logement. 
Étant donné qu’il n’existait pas de statut pour les coopératives d’habitat en France avant 2014 (loi Alur), le Village vertical est une « société coopérative à actions simplifiées et à capital variable ». Son capital initial est de 380K €. Ses habitants sont collectivement propriétaires de l’immeuble, tout en louant leur logement à la coopérative. Lorsque le prêt sera remboursé, une rente pourra leur être reversée, ainsi qu’à leurs héritiers. La résidence sociale au sein de l’immeuble est à l’usage de la société HLM, mais reviendra au Village après 20 ans d’existence.
Le Village vertical s’inscrit dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire et s’est entouré de partenaires comme la coopérative Enercoop pour l’électricité 100 % renouvelable et locale, la coopérative  Miecyclette qui, un jour par semaine, livre son pain bio à vélo, l'association l'Arbralégumes qui livre au Village des produits bio et locaux, et la coopérative Prairial pour la livraison d’épicerie. 

Les habitants

Quatorze ménages habitent l’immeuble, neuf d’entre eux sont éligibles au logement social et quatre au logement très social (originaires d’une résidence pour jeunes en insertion). Il peut s’agir de couples mais aussi de personnes seules, ayant entre 30 et 60 ans. Beaucoup sont des familles avec enfant(s). Tous sont attachés à des valeurs d’écologie et de solidarité.
Les habitants paient une redevance mensuelle, qui est composée d’un loyer à verser à la coopérative (pour rembourser le prêt), du coût des charges, d’une provision en cas de travaux et d’une épargne. En 2013, ce montant était de 10.42 €/m2 pour les habitants en prêt locatif social, et de 13.24 €/m2 pour les habitants au-dessus des plafonds. Les quatre ménages en PLAI (prêt locatif aidé d’intégration) ont un loyer variable selon leur revenu. 

Les lieux

Le bâtiment comporte 34 logements, dont 14 logements pour le Village vertical : deux T1 réservés aux PLAI (pour les jeunes en insertion), cinq T2 (deux PLAI, deux PLS et un secteur libre), deux T3, deux T4 et trois T5 (tous en PLS). On y trouve également une buanderie et une salle commune avec une cuisine, ainsi qu’un potager partagé. 
Le Village vertical est un bâtiment basse consommation avec des façades en bois, un toit photovoltaïque et une chaufferie au bois.  La distribution des lieux a réservé une place généreuse aux espaces communs (buanderie, chambres d’amis, salle commune) qui permettent notamment de mutualiser les équipements, et d'organiser des échanges de services ou des achats groupés. 

L'organisation

Chacun des habitants (coopérateur ou non) est signataire de la charte du Village, qui met l’accent sur quatre points : la coopération, l’écologie, la démocratie et l’équilibre entre espaces individuels et espaces collectifs. 
Les habitants sont collectivement propriétaires. Toutes les décisions concernant son entretien ou la vie en communauté sont prises de manière consensuelle, selon le principe de « une personne est égale à une voix ». Des « jeudis verticaux » ont été mis en place. Chaque semaine, une réunion et un repas partagé sont préparés pour discuter des problèmes et s’organiser. Ces réunions ne sont pas obligatoires, contrairement aux réunions mensuelles, où l’on affecte chacun à des tâches précises. Une soixantaine de tâches ont été identifiées et sont réparties entre les habitants. Pour les plus gros postes (la comptabilité, le ménage…), plusieurs personnes peuvent être mandatées.
Les villageois verticaux partagent le matériel d’électroménager et leur parc de véhicules. Ils s’organisent ensemble pour les livraisons de nourriture, en partenariat avec l’association Arbralégume et les coopératives Miecyclette et Prairial.  En cas de départ, l’habitant doit revendre ses parts sans réaliser de bénéfice financier. Les villageois cooptent alors l’un des candidats de la liste d’attente. Celui-ci doit être choisi à l’unanimité.

La vie quotidienne

Les « villageois verticaux » vivent ensemble depuis 2013, selon un mode de vie qu’ils ont souhaité : écologique et solidaire. L’investissement des habitants dans la conception de l’immeuble a été important. La gestion de la coopérative demande une forte implication, nécessitant à chacun de trouver un équilibre entre le travail, la vie de famille et la communauté. Les jeunes en insertion sont moins impliqués mais bénéficient néanmoins de l’attention de ces « voisins bienveillants ». Les habitants ont conçu le village comme un laboratoire des modes de vie écologique : le partage du matériel et des véhicules, la gestion des déchets, le potager ou encore la récupération des eaux de pluie font partie du quotidien, tout comme les discussions et les prises de décisions démocratiques. Au fil du temps, des projets destinés à s’ouvrir au voisinage ont vu le jour (compost d’immeuble, jardin partagé, livraison de paniers alimentaires...) et suite aux démarches des villageois, le service d'autopartage Citiz a mis en place une station pour le quartier.

Les « moins »

Les habitants ont dû faire face à une résistance des institutions pour mettre en place leur habitat coopératif, et ce n’est qu’avec l’aide d’acteurs solides qu’ils ont pu atteindre leur objectif. Ce fut un travail de longue haleine et certains villageois ont quitté le groupe devant l’ampleur des difficultés. En conséquence, seules des personnes très motivées, volontaires et ayant un idéal bien précis, mais aussi capables de s’adapter et d’apprendre très rapidement, ont pu mener à bien un tel projet. Aujourd’hui, et même si le montage reste ambitieux, la loi Alur reconnaît une existence juridique aux coopératives d’habitants. 

Les « plus »

La coopérative est une société sans but lucratif, toute spéculation immobilière est ainsi impossible. Elle permet à des personnes n’ayant pas les moyens d’accéder à la propriété. Inscrite dans le mouvement de l’habitat participatif, elle donne la possibilité aux habitants de s’approprier leur habitat en s’impliquant dans sa conception et sa gestion. En facilitant la mutualisation des lieux, ce système promeut également la solidarité et la réciprocité au sein d’un collectif.

Les conditions de la réussite

L’aide des partenaires du Village a été nécessaire, notamment celle d’Habicoop et du bailleur social Rhône Saône Habitat. La détermination des habitants a joué un rôle essentiel, car sans leur ténacité le projet aurait perdu une bonne partie de sa dimension écologique.
L’écoute et les discussions entre les différents acteurs sont également cruciales : la plupart des professionnels de la construction accordaient une attention bienveillante aux villageois sans toutefois comprendre leur démarche.  Apprendre à cogérer le chantier fut essentiel pour les deux parties. Enfin, l’instauration d’une démocratie entre les habitants et le maintien d’un équilibre entre vie collective et vie privée permet à la coopérative de se pérenniser et de fonctionner.

Propos d’habitants 

Antoine, habitant du Village, présent dès l’origine du projet : 

L’idée d’initier, de financer et de concevoir un immeuble écologique pour le gérer de manière démocratique dans le cadre de la propriété collective est née il y a une dizaine d’années, quand nous attendions notre premier enfant. Plutôt que de se retrouver en concurrence sur le marché de l’immobilier, nous avons regroupé différents ménages dans nos réseaux. L’habitat écologique ne peut pas être réservé aux plus aisés.

Cécile, habitante ayant fait partie de la « commission travaux » lors de la conception de l’immeuble : 

Nous avons servi d’intermédiaire entre les Villageois et le maître d’œuvre. Les entreprises travaillent sur la quantité en tirant les prix vers le bas, alors que nous avions des exigences de qualité. On a ainsi obtenu des peintures écologiques, du parquet et du Fermacell® sur les cloisons. On a également pris beaucoup de photos. On sait où passent les gaines et comment fonctionne la VMC. C’est important en cas de problème. On a aussi dû faire des concessions. Quand une entreprise pose une question, il faut réagir en 24 heures. Le groupe d’habitants prenant ses décisions au consensus, certaines ont été tranchées sans nous. Mais dans l’ensemble, l’immeuble correspond à nos souhaits. Ceux qui ont participé au montage du Village vertical comptent des centaines de réunions derrière eux. Ils ont appris à se discipliner pour ne pas perdre du temps et de l’énergie.  

Stéphane, un des premiers coopérateurs : 

Vivre dans une coopérative d’habitants est passionnant, mais entraîne des responsabilités. Il n’y a pas de régie extérieure, nous gérons seuls les aspects techniques de l’immeuble, les appels de charges, les lieux partagés : salle commune, laverie, chambres d’amis... Par rapport à un immeuble lambda s’ajoute toute une vie collective à planifier : des repas partagés, des séances de jardinage, des sessions bricolage… C’est une des raisons qui nous amènent ici. Mais c’est aussi très chronophage. Toute décision se prend au consensus.

Ximena, une villageoise arrivée sur le tard : 

Si je reste plusieurs jours sans lire mes mails, je suis larguée. Même si c’est très prenant, on ne regrette pas notre choix. Vivre ici est un vrai bonheur ! Surtout quand on a des enfants. Quand ils jouent dehors, il y a toujours un adulte pour garder un œil sur eux.

Pour en savoir plus

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Chronique & dossier | Habitat et logement