L'Ehpad de l'avenir : inclusif, participatif et ouvert

Article extrait du Cahier n° 182 « Vieillir, et alors ? »

06 mars 2025ContactOlivier Mandon

Dans les Ehpad, la gouvernance et les pratiques professionnelles évoluent en faveur d’un plus grand pouvoir d’agir des résidents. Parce qu’intégrer un Ehpad n’est pas forcément dire adieu à la participation à la vie de la société, l’Ehpad de demain devra permettre aux personnes âgées de développer leurs relations sociales dans et hors ses murs.

Associés dans l’imaginaire collectif à l’isolement des personnes âgées et à la disparition de leurs relations sociales, les Ehpad se soucient pourtant de l’inclusion et du pouvoir d’agir de leurs résidents. Depuis 2002, l’action publique y prévoit la création d’un Conseil de la Vie Sociale (CVS)1, une démarche de projet personnalisé2, et l’élaboration d’une « Charte des droits et libertés de la personne accueillie en établissement »3. La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances devait déjà permettre une amélioration des droits des publics âgés à travers le prisme du handicap4. En 2024, la loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie5 aborde la nécessité de la sociabilisation des aînés en perte d’autonomie.

La nécessité de nouvelles pratiques professionnelles

Aujourd’hui, la participation citoyenne des résidents dans la gouvernance des Ehpad s’illustre principalement au sein du CVS. Mais les possibilités de participation réelles sont minces, et restent principalement aux mains des équipes soignantes. Ingrid Fasshaueur et Cristelle Ferreira de Moura6 soulignent que « malgré un consensus autour de l’importance de temps d’échanges et d’implication sociale du résident dans sa vie quotidienne, les possibilités de participation ou d’expression sont réduites.7 » De nouveaux moyens pour partager plus équitablement le pouvoir d’agir et mobiliser la participation des résidents sont donc à construire. En témoignent les nouvelles initiatives, menées par les Ehpad eux-mêmes ou définies dans un écosystème d’acteurs locaux souhaitant développer une politique publique accueillante pour les personnes âgées. Ces nouvelles pratiques s’approprient le principe « Nothing About Us Without Us »8 (« Rien sur nous sans nous »), le fameux slogan de noirs handicapés d’Afrique du Sud à l’origine de revendications sur l’égalité des droits dans les années quatre-vingt-dix.

Le résident d'Ehpad, ce citoyen comme les autres

Encourager la participation sociale des résidents, c’est rappeler que ceux-ci demeurent des citoyens à part entière. Trois Ehpad publics de Seine-Saint-Denis9 participent à une recherche-action autour de l’innovation citoyenne. Les objectifs ? Renforcer la citoyenneté et le pouvoir d’agir des résidents, faire évoluer les cultures professionnelles, renouveler les perceptions et postures des proches vis-à-vis de leurs parents vieillissants. Pendant 30 mois, ces établissements ont réinterrogé, avec les résidents, les espaces et médias de participation collective (CVS, projet d’accompagnement personnalisé, etc.) prévus par la réglementation au prisme de la citoyenneté10. Cependant, constat a été fait que les résidents éprouvaient des difficultés à participer à ces temps, dont les formats (souvent de classiques « réunions de travail » animées par des professionnels) n’étaient pas adaptés à leurs profils ou leurs éventuels troubles cognitifs. Cela interroge le choix des outils d’animation et de gestion de réunion, pour dépasser la frustration des participants, qui pourrait fragiliser leur futur engagement.

Autre levier pour dynamiser la participation des résidents : la création de tiers-lieux. Avec son appel à projet « Un tiers-lieu dans mon Ehpad », la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) encourage les établissements à créer et animer des espaces ouverts sur la ville, pour permettre aux résidents de passer du statut d’accueillis à celui d’accueillants et d’hôtes pour les habitants, les enfants ou les associations du territoire. À Pantin, l’Ehpad public « La Seigneurie » a, par exemple, choisi de créer un café et un jardin partagé accessibles à tous.

D’autres programmes prennent en compte ce besoin d’inclusion des résidents âgés, cette nécessité d’ouverture des Ehpad sur leur environnement extérieur. Citons l’exemple de l’association Adelis, créée en 2020 par France Bénévolat, et de son programme « Maison de Retraite Inclusive » (MR+). En 2023, 62 établissements étaient labellisés et soutenaient son programme, notamment en considérant les résidents comme citoyens à part entière, vivant dans un lieu de vie normal, et ayant besoin de sentiment d’utilité sociale.

Vers des Ehpad insérés dans des territoires « amis des aînés »

Ouvrir l’Ehpad sur l’extérieur, c’est donc permettre aux résidents d’être davantage acteurs de leur vie : faire ses courses au supermarché, flâner dans le parc, discuter avec les voisins, autant de pulsions de vie ! Il ne s’agit pas de se voiler la face : les résidents présentent souvent des troubles cognitifs qui sont a priori autant d’obstacles à la liberté d’aller et venir. Mais, pour ne pas faire des Ehpad des espaces privatifs de liberté, leurs équipes doivent aussi aller vers les acteurs de la ville, pour faire de leur territoire d’implantation des espaces accueillants. Sur ce plan, le réseau « Villes Amies des Aînés » permet d’accompagner la mise en place d’actions favorables aux personnes âgées, en tenant compte des attentes des territoires et de leurs populations résidentes. L’essor de ce type de démarches représente pour les Ehpad une opportunité supplémentaire d’être un lieu du « bien-vieillir », fait de convivialité et de citoyenneté.

 

Olivier Mandon, socio-économiste à L’Institut Paris Region, maître de conférences en sociologie à l’Université Paris-Saclay
Julien Bottriaux, co-fondateur de l’agence Les Beaux Jours

1. Loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médicosociale, article 10, visant article L. 311-6 du Code de l’action sociale et des familles, afin de renforcer les droits des résidents hébergés dans des établissements médicosociaux (foyers pour personnes handicapées, Ehpad).
2. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. La bientraitance : définition et repères pour la mise en oeuvre, Anesm, juillet 2008.
3. Annexe à l’arrêté du 8 septembre 2003, citée dans article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles.
4. Désormais, constitue un handicap « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » Loi 2005-102 du 11 février 2005, Titre Ier, Article 2, I, 1°, visant l’insertion d’un article L. 114 dans le Code de l’action sociale et des familles.
5. Loi 2005-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie.
6. Ingrid Fasshaueur est maître de conférences à l’université Gustave-Eiffel, laboratoire Dicen-IdF ; Cristelle Ferreira de Moura est adjointe de direction de l’Ehpad Saint-Vincent-de-Paul.
7. « Les tiers-lieux en Ehpad, de nouveaux modes de participation et de socialisation des personnes âgées dépendantes », Revue Actualité et dossier en santé publique (ADSP), n° 121, mars 2023, p. 44 et suivantes.
8. Dupont H., « La condition handicapée, Henri-Jacques Stiker. Presses universitaires de Grenoble, coll. Handicap Vieillissement Société, 2017 », Revue française des affaires sociales, p. 219-223. DOI : 10.3917/rfas.181.0219.
9. Un projet retenu au titre de l’appel à projet « Culture et Santé » de la DRAC et de l’ARS Île-de-France.
10. La Seigneurie, à Pantin, Les Lumières d’Automne, à Saint-Ouen, et Constance-Mazier, à Aubervilliers.

LE PARCOURS « ANCÊTRES »

Regards croisés sur une démarche artistique au service de la participation des résidents

Dans l’Ehpad Constance-Mazier d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, un parcours culturel et artistique, baptisé « Ancêtres »*, a été mis en place, porté par la compagnie « Les Grandes Personnes ». La trentaine d’ateliers hebdomadaires du parcours a permis à six résidents de l’Ehpad, accompagnés d’artistes, de créer une statuette « Ancêtre ». Des restitutions, au sein de l’Ehpad et lors d’événements publics, leur ont permis de mettre en scène leur statuette. Les personnes âgées impliquées n’ont cessé d’exprimer leur appétence à se nourrir de relations sociales et à rester acteurs de leur vie.

*Avec le soutien financier de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’accompagnement de l’agence d’innovation sociale Les Beaux Jours.

Philippe, 73 ans, résident à Constance-Mazier depuis un an

Philippe a participé au projet « Ancêtres ». Son ancêtre à lui, c’était son papa. « J’ai participé à bloc au projet “ Ancêtres ”. Je n’ai jamais raté un cours. Ça m’a plu de participer à ce projet : j’ai pu parler de mon papa, le voir, le sentir. Le visage de la statuette, c’est comme si je le voyais. Les yeux, la bouche, le nez, c’était lui… Les artistes des Grandes Personnes m’ont bien entouré et ont travaillé avec beaucoup d’intégrité. Nous avons reconstruit ensemble le souvenir de mon père. Chaque semaine, ce projet m’a procuré de la joie : j’avais l’impression d’être avec lui une petite heure tous les vendredis. J’ai aimé toutes les étapes de ce projet, de A à Z. Y’a que du bon… Ça restera gravé. Je n’oublierai jamais et je partirai avec… Pourquoi ? Parce que ça m’a rendu fier. J’étais fier de faire écouter notre histoire commune, à mon papa et à moi, à toutes les personnes qui sont venues nous voir jouer. Il y avait, de leur part, de l’intérêt pour nous, en tant qu’individus. On a raconté ma petite vie à moi. Depuis gosse jusqu’au décès de mon papa. Y’a des choses positives qui ont surgi du passé. Ça me touche énormément de participer à ce type de choses. Vous avez eu une idée de génie de monter ça ! »

Jean-Baptiste Evette, auteur

« Ce que l’atelier “ Ancêtres ” a communiqué est à la fois inoubliable et inestimable. En plus de la richesse humaine des rencontres et du travail en commun, des récits, des témoignages, sont sortis du silence, pour faire revivre la lutte contre Salazar au Portugal, le souvenir des maraîchers de la Plaine des Vertus, ou une figure de père taciturne mais aimant. Et les actrices et acteurs amateurs ont réussi à surmonter les difficultés et transmettre ces souvenirs à tous. »

Pascale Oudot, comédienne

« L’espace de quelques mois, faire connaissance doucement, découvrir des visages, apprendre les noms et les prénoms, s’apprivoiser, se saluer et se reconnaître, rire ensemble et s’émouvoir d’un souvenir, s’immerger dans les récits, s’émerveiller des parcours, des courages, guetter l’humeur, le sourire d’une anecdote, être subjugué(e) par une voix, un regard, écouter et encore écouter, tendre l’oreille au minuscule et à l’intime, accompagner jusqu’à faire théâtre ensemble des récits de vies. »

© Ehpad public Constance Mazier

Propos recueillis par Claire Zambaux, chargée de communication-partenariats culturels à l’Ehpad Constance-Mazier d’Aubervilliers.

LES FOSSOYEURS, DU CHOC DES CONSCIENCES
À LA REPRISE EN MAIN

S’il s’est défendu de faire de « l’Ehpad bashing » et de mettre en cause « l’ensemble d’un secteur », l’auteur des Fossoyeurs*, Victor Castanet, a bel et bien ébranlé tout le système de prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Au-delà du groupe Orpea, mis en cause dans son livreenquête et toujours sous le choc du scandale deux ans plus tard (la Caisse des Dépôts a volé à son secours fin 2023, et le groupe vient de changer de nom pour devenir Emeis), les révélations sur la maltraitance des résidents d’Ehpad ont obligé les pouvoirs publics à réagir vite et fort. À peine l’ouvrage sorti, le gouvernement lançait un vaste plan de contrôle sur deux ans des 7 500 établissements français – quel que soit leur statut – par les Agences Régionales de Santé (ARS), alors qu’ils n’étaient auparavant contrôlés que tous les vingt ans en moyenne. Des contrôles manifestement salutaires, puisque sur les 1 400 premiers Ehpad contrôlés en 2022, 1 800 prescriptions-injonctions et 2 211 recommandations ont été adressées, concernant à la fois la gouvernance, le personnel, et la prise en charge des résidents. Plus grave, 21 sanctions administratives ont été prononcées, et la justice a été saisie de onze cas de maltraitance ou de mise en danger de la sécurité des résidents.
Ce « choc des consciences », selon l’expression de Jean-Christophe Combe, alors ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes Handicapées, a par ailleurs débouché dès avril 2022 sur un décret obligeant les établissements d’hébergement, largement financés par l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) et l’Assurance Maladie, à rendre précisément des comptes sur l’utilisation de ces fonds publics. Une transparence encore renforcée par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023. Mais il faudra encore sans doute des années – et bien des contrôles – pour que le système de prise en charge des personnes âgées dépendantes de notre pays se mette au niveau de nos voisins européens, notamment de l’Allemagne et des pays nordiques. Et qu’il devienne attractif, pour les résidents comme pour les personnels.

S.R.

* Castanet V. , Les Fossoyeurs, Paris, 2022, Fayard, 400 p.

Anticiper la société de la longévité, l'autre transition

Nos sociétés vieillissent : c'était prévu et nous y sommes. L'Institut Paris Region publie aux PUF un Cahier proposant des analyses prospectives et nuancées pour bâtir ensemble une société de la longévité. Hélène Joinet, urbaniste à L'Institut Paris Region et Caroline Laborde, socio-épidémiologiste à l'Observatoire régional de la santé d’Île-de-France, ont réuni 70 auteurs autour d'articles et d’interviews pour décrypter la pluralité des enjeux liés à la transition démographique.

L’intention est de contribuer à la construction d’un projet permettant d’anticiper le vieillissement de nos sociétés, et à sa déclinaison dans l’ensemble des domaines des politiques publiques. En s’attachant aux chiffres et aux faits. En donnant la parole aux experts, aux élus, aux institutions, aux associations, aux personnes âgées et aux soignants.

Nicolas BauquetDirecteur général de L'Institut Paris Region

Cet article est extrait de l'ouvrage collectif Vieillir, et alors ? Bâtir une société de la longévité coédité avec les Presses universitaires de France (PUF), sous la direction d’Hélène Joinet et Caroline Laborde.

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Pour aller plus loin

Dans le Cahier « Vieillir, et alors ? » :

  • Article de Delphine Roy : « Peut-on se passer des Ehpad» (p. 190)
  • Article de Fabrice Gzil : « Troubles cognitifs, le pouvoir de la parole» (p. 183)

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