L'attractivité des franges de l'Île-de-France confirmée bien avant la crise sanitaire

Les Franciliens - Territoires et modes de vie

04 mars 2021ContactMariette Sagot

Les liens entre l’Île-de-France et ses huit départements limitrophes se renforcent. Les Franciliens sont toujours plus nombreux à s’y installer, bien avant les effets de la crise sanitaire, et une part croissante des actifs de cette troisième couronne travaille en Île-de-France. L’influence de la région se fait surtout sentir dans les territoires attenants de l’Oise et de l’ouest. D’un côté, de meilleures conditions de logement à des prix plus accessibles. De l’autre, une offre d’emplois riche et diversifiée, située pour partie en grande couronne.

Chacun des huit départements limitrophes de la région Île-de-France (Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Yonne, Aube, Marne, Aisne, Oise), appelés la « troisième couronne », reçoit davantage d’habitants qu’il n’en voit partir au gré des migrations résidentielles avec l’Île-de-France. En 2015, 41 400 Franciliens se sont installés dans l’un de ces huit départements et 24 100 personnes ont fait le chemin inverse. Le solde de ces échanges en faveur de la troisième couronne s’accentue régulièrement depuis le début des années 1990 : passant de 12 000 habitants par an entre 1990 et 1999 à 13 900 entre 2001 et 2006, puis 15 700 par an sur la période 2012-2015. 

Chiffres clés

15 700

Solde migratoire annuel en faveur de la troisième couronne dans ses échanges avec l’Île-de-France sur les années 2012-2015.

44 %

Part des ménages migrants installés en 2015 en troisième couronne gardant un lien professionnel avec l’Île-de-France 

216 200

Nombre d’actifs des huit départements limitrophes occupant un emploi en Île-de-France en 2016.

L'Oise gagne de plus en plus d’habitants dans ses échanges avec l'Île-de-France

Les échanges sont plus développés avec le nord, l’ouest et le sud-ouest de la région. L’Oise est le département français où s’installent le plus de Franciliens, juste devant la Gironde. En 2015, 12 000 Franciliens y ont élu domicile, soit environ le double des installations dénombrées dans le Loiret, l’Eure-et-Loir ou l’Eure. Sur la période récente, l’Oise a fortement accru son attractivité résidentielle. Son excédent migratoire avec l’Île-de-France a presque augmenté de moitié (+47 %) entre les années 2001-2005 et 2012-2015.

C’est principalement la grande couronne qui est impliquée dans les mouvements résidentiels avec la troisième couronne. Elle couvre autour de 60 % des flux au départ comme à l’arrivée. Ce schéma géographique est très différent avec le reste de la province, où la grande couronne est le lieu de résidence antérieure de 41 % des partants et le lieu d’installation de seulement un tiers des arrivants. 
La proximité géographique détermine l’orientation des flux migratoires. Les échanges sont particulièrement intenses entre l’Oise et le Val-d’Oise : 68 % des départs du Val-d’Oise vers la troisième couronne sont à destination de l’Oise ; en sens inverse, le Val-d’Oise accueille 36 % des migrants venant de l’Oise. De la même façon, les flux sont plus marqués entre l’Eure, l’Eure-et-Loir et les Yvelines, entre l’Essonne et le Loiret, entre la Seine-et-Marne et ses départements attenants. On retrouve également un tropisme marqué au départ de la Seine-Saint-Denis vers l’Oise. 

Les arrivées en troisième couronne : des actifs souvent modestes accédant à la propriété

Globalement, les personnes qui arrivent en Île-de-France sont plutôt étudiantes ou en début de vie professionnelle, souvent seules, et s’installent en grande partie dans le parc locatif privé, qu’elles viennent de la troisième couronne ou du reste de l’Hexagone. À l’inverse, celles qui partent de la région sont plus souvent en couple, avec ou sans enfants, ou retraités. La singularité des ménages franciliens qui s’installent en troisième couronne tient à une plus forte fréquence des ménages comprenant au moins un actif (79 % contre 67 % ce ceux qui s’installent ailleurs en province) et des familles avec enfant(s). Sur la période 2012-2015, les échanges avec l’Île-de-France se soldent par l’arrivée nette de 6 470 actifs chaque année en troisième couronne, et de seulement 3 760 actifs dans le reste de l’Hexagone. Le profil des ménages qui s’y installent est, aussi, plus modeste (38 % des personnes de référence sont employés ou ouvriers, contre 22 % vers le reste du territoire). Enfin, la part des propriétaires de leur logement est plus importante (41 % contre 28 %).

Les retours à la région de naissance sont, par ailleurs, moins fréquents pour les départs vers la troisième couronne : 28 % des ménages sont constitués d’au moins un conjoint retournant dans sa région de naissance, contre 35 % pour les départs plus lointains. De même, les ménages dont au moins un conjoint est né en Île-de-France sont plus fréquents à destination de la troisième couronne (56 % contre 47 %). Ces caractéristiques témoignent de déménagements plus souvent motivés par l’accession à la propriété à des conditions moins onéreuses qu’en Île-de-France pour des surfaces plus importantes. 

44 % des ménages migrants gardent un lien professionnel avec l'Île-de-France

Parmi les 18 480 ménages partis s’installer en troisième couronne en 2016, 8 060 poursuivent une activité professionnelle en Île-de-France, soit plus de quatre sur dix. C’est trois points de plus qu’il y a dix ans. Ce sont surtout des couples (sept fois sur dix) : 31 % des ménages qui gardent un lien professionnel avec l’Île-de-France sont des couples dont les deux conjoints travaillent dans la région ; 17 %, des couples biactifs dont un seul conjoint y travaille ; et 21 %, des couples où un seul conjoint est actif. 

Les ménages modestes sont surreprésentés, avec près de la moitié d’ouvriers ou employés comme personne de référence (49 %). Comparativement, cette proportion est de 43 % parmi les personnes de référence actives de grande couronne. La part des cadres est, inversement, nettement plus faible au sein de ces ménages actifs (18 % contre 24 % en grande couronne). Ces ménages en activité trouvent de meilleures conditions de logement en troisième couronne : 57 % accèdent à la propriété, 70 % vivent en maison individuelle. Comparativement, à même profil socioprofessionnel, 40 % des ménages franciliens sont propriétaires et 25 % vivent en maison individuelle. La biactivité facilite l’accession à la propriété puisque 68 % des ménages biactifs partis sont propriétaires et 81 % vivent en maison individuelle. Enfin, 38 % des ménages, dont au moins un des membres poursuit une activité professionnelle dans la région, sont des couples avec enfant(s) et 17 % des couples avec enfant(s) dont les deux conjoints travaillent en Île-de-France. Pour ces derniers, les temps de déplacement importants peuvent fortement peser sur la vie familiale. 

Ces déménagements se traduisent, en effet, par un allongement des distances pour se rendre au travail. Dans le cas des couples biactifs dont un seul conjoint travaille dans la région, c’est deux fois sur trois la personne de référence qui y travaille. Globalement, la distance domicile-travail de ces actifs (personnes de référence et conjoints) est en moyenne de 49 km, quand l’emploi est en Île-de-France, mais de seulement 18 km quand il se situe ailleurs. Quand les deux actifs occupent un emploi dans la région, l’éloignement est similaire pour la personne de référence et son conjoint, respectivement 43 km et 41 km. Au sein des couples biactifs, ce sont les hommes qui sont les plus éloignés à vol d’oiseau de leur lieu de travail (43 km contre 36 km chez les femmes). Enfin, au sein de ces ménages qui ont gardé un lien avec l’Île-de-France, les cadres sont les plus éloignés de leur lieu de travail (58 km). Les artisans-commerçants (43 km) et les ouvriers (44 km) sont les plus près.

La majorité des ménages migrants ne travaille pas en Île-de-France

La majorité des ménages partis en troisième couronne n’ont pas gardé de lien professionnel avec l’Île-de-France (56 %). Peu sont originaires de la région capitale : 20 % de ces ménages ont au moins un conjoint né en Île-de-France, contre 47 % de ceux qui continuent à y travailler.  Ce sont près de six fois sur dix des ménages sans actif occupé (étudiants, jeunes chômeurs, retraités). Deux fois sur trois, les personnes vivent sans conjoint. Ces personnes sans conjoint sont jeunes – plus de quatre sur dix ont moins de 30 ans – et sont en majorité locataires. Dans l’ensemble, ces ménages sont moins souvent propriétaires que ceux qui ont gardé un lien avec l’Île-de-France, sauf les couples d’inactifs qui sont souvent retraités.  

Les ménages qui comptent au moins un actif et dont aucun ne travaille en Île-de-France représentent 36 % des ménages encore en activité partis de la région. Ils vivent nettement moins en couple (44 %) que ceux qui ont gardé un lien professionnel avec la région (68 %). Ce qui explique qu’ils soient moins souvent propriétaires (23 %) ou en maison individuelle (44 %). Ils sont aussi beaucoup plus près de leur lieu de travail (17 km). 

L’attrait économique de l’Île-de-France sur les actifs de la troisième couronne ne faiblit pas 

Les installations continues de Franciliens aux franges de la région alimentent la hausse du nombre d’actifs de la troisième couronne travaillant dans la région. Toutefois, cette progression s’atténue : en 2016, 216 200 actifs des huit départements limitrophes occupent un emploi dans la région, soit une hausse de 1,5 % l’an depuis dix ans, contre 2,0 % l’an entre 1990 et 2006, et 5,9 % entre 1982 et 1990 au plus fort de la périurbanisation. L’installation des ménages aux franges de la région a tiré la croissance des navetteurs non franciliens jusqu’au début des années 2000. À cette date, six actifs sur dix, non franciliens, travaillant en Île-de-France, résident dans la troisième couronne. Depuis, cette proportion stagne, voire baisse légèrement. Cette progression des navetteurs est aussi liée au fort développement de zones d’emploi en grande couronne, autour de Roissy et Cergy. Leur accessibilité par les voies rapides et les voies ferrées a facilité l’installation d’actifs aux franges nord de la région. En effet, ce sont avant tout des actifs de l’Oise qui viennent travailler en Île-de-France. Les trois quarts des navetteurs résident dans l’Oise (41 %), l’Eure-et-Loir (19 %) et l’Eure (14 %).

L’attractivité économique de la région peut se mesurer à l’aune de la part des actifs occupés d’un territoire travaillant en Île-de-France. Elle avoisine le quart dans l’Oise (26 %) et l’Eure-et-Loir (23 %). Elle est plus faible dans les départements situés à l’est et au sud, avec des parts en deçà de 10 %. Sur les dix dernières années, l’attrait de la région s’est renforcé davantage dans les départements où il était déjà le plus marqué.
La proximité géographique joue à plein, puisque les navetteurs travaillant dans la région résident surtout dans les cantons limitrophes (carte ci-après). Aux limites de l’Oise et de l’Eure-et-Loir, près de la moitié des actifs occupés travaillent dans la région. Si les plus fortes évolutions en volume concernent surtout les cantons de l’Oise et de l’Eure, elles sont aussi notables aux limites de l’Eure-et-Loir, l’Yonne, du Loiret et de l’Aisne (carte ci-après). La part des actifs travaillant en Île-de-France s’intensifie nettement aux franges de la Seine-et-Marne dans les secteurs limitrophes de l’Yonne et l’Aisne, au sud de l’Essonne dans le canton de Pithiviers, et aux limites de l’Eure (Saint-André-de-l’Eure, Vernon, Gisors).

Les actifs de troisième couronne travaillant en Île-de-France privilégient la grande couronne

Les actifs de troisième couronne qui viennent travailler en Île-de-France exercent plus souvent une activité de cadre (21 %) ou de profession intermédiaire (30 %) que ceux qui travaillent ailleurs (respectivement 12 % et 25 %). Les moins qualifiés résident dans l’Aisne, l’Aube et l’Yonne. La Marne se distingue par l’importance des cadres travaillant dans la région (33 %).
Ces actifs  travaillent majoritairement en grande couronne (54 %), à peine plus qu’en 2006 (53 %). Aussi les distances parcourues pour se rendre à leur travail se sont-elles stabilisées : 55 km en moyenne en 2016 et 2006, contre 56 km en 1999 et 61 km en 1990. Le desserrement des emplois franciliens a marqué le pas. Comme le note l’Insee, après la crise de 2008, la croissance de l’emploi a été plus forte à Paris et en proche couronne, grâce à une spécialisation dans le tertiaire et les activités à haute valeur ajoutée, que dans le reste de la région et du bassin parisien. 
Il existe, par ailleurs, un fort tropisme de l’Eure et l’Eure-et-Loir vers les Yvelines, de l’Oise vers le Val- d’Oise et des quatre départements de l’est vers la Seine-et-Marne. Plus de la moitié des navetteurs de l’Eure-et-Loir travaille dans les Yvelines (54 %), et notamment à Rambouillet, Houdan, dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines ou dans la vallée de la Seine. En 2016, quatre navetteurs de l’Oise sur dix travaillent dans le Val-d’Oise : 20 % sur la plate-forme Roissy Paris-Nord 2, 7 % dans le secteur de l’ancienne ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Le nombre d’emplois occupés sur la plate-forme de Roissy Paris-Nord 2 par les actifs de l’Oise est passé de 15 000 à 17 600 entre 2006 et 2016. Ils occupent un peu plus de 12 % des emplois de la plate-forme en 2016 (un peu moins de 11 % en 2006). 

Les moyens de transport diffèrent nettement selon le lieu de travail. Sept actifs sur dix privilégient les transports en commun pour venir à Paris, mais à l’inverse, neuf sur dix se rendent à leur travail en voiture en grande couronne, et près de six sur dix en petite couronne. La proximité d’une ligne de transport en commun favorise le travail au cœur de la région. 
Comparativement, les actifs venant du reste de l’Hexagone travaillent beaucoup plus souvent à Paris ou en proche couronne et utilisent plus souvent les transports en commun, TER ou TGV (44 % contre 31 %).

Dans les années à venir, le développement du travail à distance pourrait contribuer à renforcer les installations de ménages d’actifs hors des limites régionales, et au-delà même de ses franges immédiates, si les temps de transport deviennent moins décisifs dans les arbitrages résidentiels.

Mariette Sagot

Mariette est démographe à L’Institut Paris Region au sein du département Habitat et Société. Ses travaux ont évolué des cadrages démographiques pour la révision du schéma directeur de 1994 vers des questions sociales touchant la vie des Franciliens : le vieillissement de la population, les inégalités socio-territoriales, la pauvreté et l’immigration. Elle coordonne cet ouvrage sur les Franciliens avec François Michelot.

Méthode et définitions

La formulation de la question sur le lieu de la résidence antérieure dans l’enquête annuelle de recensement (EAR) de l’Insee se réfère à la résidence cinq ans auparavant lors des enquêtes de 2004 à 2010. Depuis 2011, elle porte sur le lieu de résidence un an auparavant. Chaque recensement est une agrégation de cinq EAR. Son millésime est celui de l’année centrale. Aussi, les recensements de 2006, 2007 et 2008 renseignent le lieu de résidence cinq ans auparavant. Cette information n’est pas fournie de 2009 à 2012. Depuis 2013, c’est le lieu de résidence un an auparavant qui est renseigné. 
Aussi, pour rendre comparable les évolutions, le champ des migrants a été restreint à celui de 2006, en ne prenant pour le recensement de 1999, comme pour ceux de 2013 à 2016, que le solde des migrations des personnes de cinq ans ou plus. 
En ce qui concerne le nombre de ménages « migrants », c’est la migration de la personne de référence qui a été privilégiée. En 2015, ce sont ainsi 18 484 ménages qui ont quitté l’Île-de-France pour la troisième couronne, c’est-à-dire l’ensemble des départements limitrophes de la région. En revanche n’ont pas été retenus les ménages dont seul le conjoint a migré de l’Île-de-France vers la troisième couronne. Cette configuration ne concerne que 1 758 ménages en 2016.

Glossaire

Un ménage au sens du recensement désigne l’ensemble des personnes qui partagent le même logement de façon habituelle et à titre principal, sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté.
La personne de référence du ménage est déterminée à partir de la structure familiale du ménage et des caractéristiques des individus qui le composent. Seuls importent le fait d'apporter ou non des ressources au ménage, le fait d'être actif ou non, et l'âge. Il s'agit le plus souvent de la personne de référence de la famille quand il y en a une, ou de l'homme le plus âgé, en donnant priorité à l'actif le plus âgé.
Un migrant est une personne recensée dans une résidence différente de celle qu’elle occupait un an auparavant depuis le recensement de 2013, cinq ans auparavant pour les recensements de 2006 à 2008. Ne sont pas comptabilisées les personnes parties à l’étranger, celles décédées ou celles ayant fini par revenir dans la zone de départ au cours de la période couverte.
Une migration est un déplacement conduisant à un changement de résidence. Le trajet origine-destination identifié par le recensement est la résultante de l’ensemble des migrations effectuées. Pour les échanges avec l’étranger, seuls les entrants sont connus.
Une navette domicile-travail correspond  au déplacement d’un actif entre son lieu de résidence et son lieu de travail. On appelle ces actifs des navetteurs. 

Références