Covid-19 : les acteurs de la solidarité au secours des sans-abri

16 avril 2020ContactOlivier Mandon

Comment les sans-abri peuvent-ils répondre à l’injonction du confinement pour lutter contre la pandémie du Covid-19 ? Leur mise en danger mobilise en urgence l’ensemble des acteurs de la solidarité. Cet article présente les premières réponses apportées.

Le confinement a, du jour au lendemain, remis en question les actions de veille sociale des personnes sans-abri. Les acteurs de la solidarité travaillent à la gestion des urgences et innovent dans les services proposés.

Mettre à l’abri des personnes vivant à la rue

Pour protéger les sans-abri du Covid-19, les acteurs publics, voire privés, agissent dans l’urgence depuis le début du confinement.

La mobilisation des services de l’État
Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, a annoncé la création d’une cellule opérationnelle composée d’experts, en lien avec le ministère de la Santé et des Solidarités pour « gérer, accompagner et piloter » la politique de soutien aux sans-abri. Un comité de suivi avec l’ensemble des associations gérant l’hébergement d’urgence, assurant des maraudes, s’occupant des squats et des bidonvilles est aussi a également été mis en place. Pour minimiser l’arrivée de nouvelles personnes dans la rue, leur exposition au virus étant plus risquée, l’État a tout d’abord prolongé la trêve hivernale jusqu’à fin mai 2020. Puis, pour protéger les personnes qui sont à la rue, il prévoit des places supplémentaires d’hébergement, de préférence individuelles (avec une enveloppe d’urgence de 50 millions d’euros). Plus de 7 600 places d’hébergement2 en France, surtout en hôtels, sont donc financées afin de garantir la mise à l’abri du plus grand nombre de personnes possibles, toujours sur orientation du Service intégré de l'accueil et de l'orientation.
À cela s’ajoute la mobilisation de « 2 000 places d’hôtels privés supplémentaires dans toute la France ». Dans ce cadre, des têtes de réseaux dans l’hôtellerie comme le Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et le Groupement national des chaînes hôtelières sont sollicités. Ainsi, l’ancien hôtel Kellermann (Paris 13e) réquisitionné par la préfecture d’Île-de-France comme centre d’hébergement3 met à disposition 446 places. Une autre initiative, à l’échelle nationale, s’illustre par le groupe Accor avec quarante de ses hôtels (hôtels F1, Ibis budget, Ibis, Ibis styles, Mercure et Novotel). Il propose 1 000 à 2 000 lits pour les sans-abri. Des plateformes web de location de logement, AIRBNB ou PAP, incitent aussi leurs clients à réserver des biens en direction notamment des personnes vivant à la rue.
 
La mobilisation régionale
La Région Île-de-France met à disposition de l’État 9 200 chambres dans les internats des lycées, actuellement fermés aux élèves, pour les personnels soignants et pour des populations sans-abri. Cette offre s’étend aussi aux équipements de ses douze bases de loisirs. Les chambres sont destinées à être utilisées notamment pour :

  • proposer un hébergement temporaire à des sans-abri pour réduire le risque de propagation du virus pour eux-mêmes et pour autrui ;
  • après étude de faisabilité par les autorités sanitaires, accueillir certains malades du Covid-19 ne nécessitant pas de soins lourds.

Elle a ouvert un centre d'hébergement d'urgence de 180 places pour les sans-abri dans les locaux du Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) Île-de-France à Châtenay-Malabry (92). Elle met aussi à disposition de l’Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France vingt véhicules afin d'organiser des tournées auprès des centres d’hébergement d’urgence.

La mobilisation de le Ville de Paris et des collectivités locales
La Maire de Paris propose de mettre à disposition de l’État et des associations quatorze gymnases pour mettre à l’abri les personnes en situation de rue à la rue :

  • quatre gymnases poursuivent leur activité d’accueil dans le cadre de la prolongation du plan hivernal : dans les 10e, 17e et 20e arrondissements ainsi que dans le 11e arrondissement (pour les jeunes non accompagnés en attente d’évaluation) ;
  • deux autres gymnases dans les 14e et 19e arrondissements vont ouvrir pour accueillir des migrants suite à l’opération de mise à l’abri du campement d’Aubervilliers (500 migrants).

La ville de Montreuil, avec Emmaüs Alternatives, met à disposition des lieux vacants du patrimoine communal pour participer à l’accueil provisoire de ces populations. Autre exemple, la ville de Malakoff se mobilise en ouvrant un dortoir de quinze places dans son centre sportif René-Rousseau.

Créer des centres de desserrement pour sans-abri malades du Covid-19

D’après le ministère du Logement ont été recensés,  fin mars 2020, un peu plus de 600 cas de personnes sans-abri contaminées par le Covid-19  sur l'ensemble des centres d'hébergement d'urgence en France4. Pour lutter contre la propagation de l'épidémie, l’État ouvre plusieurs centres de desserrement et médicalisés à destination des personnes atteintes du Covid-19 sans gravité de leur état, qui vivent à la rue ou pour ceux dont les conditions d’hébergement ne permettent pas la mise en œuvre de mesures de confinement. Hors parcours de prise en charge habituelle pour accéder à l’hébergement d’urgence, l'orientation vers ces structures de confinement est gérée par des professionnels de santé en lien avec l'ARS. Le gouvernement vise le déploiement de quatre-vingt centres en France5, soit près de 2 800 places.
Deux centres de desserrement sont opérationnels à Paris, et deux prévus à Nanterre et Argenteuil. À Paris, le centre Ney (18e), géré par France Horizon et la Croix-Rouge française, est destiné aux hommes isolés, tandis que le centre La Rochefoucauld (14e), géré par Aurore et les équipes santé de la Dases de la Ville de Paris, est quant à lui ouvert aux familles et aux femmes isolées. En banlieue parisienne, une cinquantaine de sans-abri malades doivent être accueillis dans des ex-locaux de Thales à Jouy-en-Josas. La Croix-Rouge est en chargé du suivi des malades qui ne nécessitent pas d’hospitalisation, à l’aide d’agents d’accueil, d’infirmières et de travailleurs sociaux.
Parallèlement, l'ARS constitue des équipes mobiles sanitaires pour venir en appui aux structures de veille sociale et d’hébergement ne disposant pas de professionnels de santé en leur sein, tant pour le diagnostic du Covid-19 chez les personnes « cas suspects » que pour le suivi médical des personnes atteintes. La Ville de Paris a aussi décidé que les centres municipaux de santé (CMS) seront au service des centres d’hébergement pour apporter les premiers diagnostics et des conseils sur les orientations. De plus, trois centres médico-sociaux de la ville (Belleville, Boursault, Ridder) sont dédiés aux personnes suspectées d'être contaminées.

« Je fais comment pour faire ma toilette et mes besoins alors que tous les WC publics sont fermés ? C’est grave car il n’y a plus la notion de dignité humaine.» un sans-abri1

Remobiliser la distribution alimentaire et l’accès à des produits de première nécessité

La désorganisation brutale des acteurs de solidarité pour les personnes à la rue a révélé l’urgence de l’aide alimentaire. Le département de Seine-Saint-Denis a redistribué des denrées alimentaires prévues pour les cantines des collèges aux Restos du cœur, à la Croix-Rouge de Drancy, et au Secours populaire. Selon la Ville de Paris, au 26 mars 2020, 53 sites de distribution alimentaire sur les 130 que compte habituellement Paris sont encore en activité. Depuis, en lien avec les services de l’État et la Ville de Paris, les grands acteurs de la solidarité, comme les Restos du cœur, le Secours catholique, Aurore, Emmaüs solidarité, La Croix-Rouge, etc., se mobilisent :

  • avec l’association Aurore, trois centres, répartis sur le territoire parisien, ouvrent 7 jours sur 7 : Le Carreau du Temple (Paris 3e), Les Grands Voisins (Paris 14e), et un bâtiment appartenant de la ville de Paris (70 boulevard de Barbès, 18e). Un autre site est à l’étude dans le 13e arrondissement; 5 000 paniers repas y sont quotidiennement distribués ;
  • les équipes de l’Armée du Salut et leurs partenaires distribuent des paniers repas auprès des personnes du nord-est parisien ;
  • le diocèse de Paris organise des distributions alimentaires dans vingt paroisses ;
  • dix restaurants solidaires du Centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) remettent chaque jour 3 200 paniers repas à leurs usagers ainsi qu’aux maraudes de la protection civile et du Samu social.

Au 1er avril, l’État déploie un dispositif exceptionnel de distribution de « chèques services » pour un accès aux besoins de première nécessité des personnes à la rue. Les chèques d'un montant de sept euros par jour et utilisables durant la période de crise sanitaire, seront distribués par des associations aux personnes et aux ménages sans domicile « en fonction de leurs besoins et dédiés à l'achat de denrées alimentaires, de produits d'hygiène et de produits à destination des enfants en bas âge »6. Les préfets sont chargés de l'organisation et de la coordination de ce dispositif pour un montant total de 15 millions d'euros.
 

Soutenir les réseaux associatifs et faire appel à la mobilisation citoyenne

Il s’agit de pallier le manque de salariés et de bénévoles empêchés par le confinement. De nouvelles formes de solidarité se mettent en place.
L’État appelle aux bénévoles (Jeveuxaider.gouv.fr) selon quatre domaines d’actions :

  • aide alimentaire et d’urgence,
  • garde exceptionnelle d’enfants (via l’Aide sociale à l’enfance),
  • lien avec les personnes fragiles isolées,
  • solidarité de proximité.

La Région Île-de-France souhaite soutenir le tissu associatif avec l’objectif d’être à l’écoute des besoins opérationnels selon les axes suivants :

  • mise en place d’un seul numéro ou email pour recueillir les demandes d’aides financières des associations franciliennes (01 53 85 53 85 - covid-19-solidarites@iledefrance.fr) ;
  • mise à disposition des associations caritatives de plusieurs tonnes de denrées non utilisées dans les lycées ;
  • mise en place d’un fonds d’urgence de 10 millions d’euros pour les associations humanitaires : paiement sur facture ;
  • suspension des procédures de caducité, maintien voire accélération des mesures de paiement même en cas de service non fait ;
  • distribution à Aurore, Emmaüs, Secours populaire, la Croix-Rouge, etc. de 100 000 masques chirurgicaux offerts par un collectif de commerçants chinois de Seine-Saint-Denis solidaires ;
  • accompagnement des associations dans leur recherche de bénévoles.

La Ville de Paris, via la Fabrique de la Solidarité et le diocèse de Paris lancent un appel à volontaires pour soutenir le bénévolat dans les associations. Plus de 800 personnes sont déjà recensées.

Mobiliser le lien de solidarité de proximité pour nourrir la sociabilité des sans-abri

Le confinement produit de nouvelles formes de relations sociales où les échanges de proximité, même distanciés, sont redécouverts. Pour lutter contre l’isolement social des sans-abri, chaque individu, dans son environnement de proximité, peut interagir avec des personnes vulnérables. Un lien social peut alors perdurer. C’est notamment une des préoccupations de l’association Entourage : « La lutte contre l’exclusion n’est pas seulement l’affaire des pouvoirs publics et des associations : chacun de nous, au quotidien, par notre attention, pouvons être une partie de la solution ».
En construisant un réseau solidaire de citoyens, elle développe les possibilités d’échanges entre les sans-abri et leurs voisins de quartier. Son application smartphone « Entourage » implique l’ensemble des voisins d’un quartier qui proposent des actions solidaires et aide à lutter contre les fragilités exacerbées des sans-abri face au confinement et à la crise sanitaire du Covid-19 : faire des courses, orienter vers des structures professionnelles, échanger et écouter, entretenir la dignité de chacun.

1. Médiapart, 26 mars 2020.
2. Selon un communiqué de presse du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales en date du 2 avril 2020 : soit, en France, 170 000 personnes hébergées dans des structures d’hébergement d’urgence généraliste.
3. Le centre est géré par l’association Coallia.<
4. « La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui rassemble l’immense majorité des associations gestionnaires de ces centres, recense elle “environ 900 personnes malades”, selon son directeur général Florent Guéguen, Le Monde, 31 mars 2020.
5. Dont 60 sont déjà ouverts fin mars 2020 selon le ministère de la Cohésion des territoires.
6. Selon la Banque des territoires et le ministère de la Cohésion des territoires, 1er avril 2020.

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