La solitude des sans-abri à l'heure du confinement

16 avril 2020ContactOlivier Mandon

La crise sanitaire du Covid-19 bouleverse aussi la vie des personnes sans-abri. En Île-de-France, quelque 42 000 personnes sont sans domicile fixe et 10 000 autres sont logées dans des abris de fortune au sein de campements1. Cet article interroge les fragilités apparues chez les sans-logis qui vivent des difficultés accrues depuis l’instauration du confinement.

Depuis le confinement, les personnes sans-abri peinent à s’alimenter. Les associations de veille sociale doivent répondre à cette interrogation : « je n’ai pas mangé depuis deux jours, sais-tu où je peux trouver à manger ? » selon des échanges quotidiens entre un responsable de l’association Depaul France (Paris 15e).

Les sans-abri encore plus socialement isolés

Le confinement a vidé les rues de ses habitants et passants, la solitude des sans-abri est encore plus visible. L’isolement est renforcé par une impossibilité d’accéder aux parcs et jardins, aux lieux de repos dédiés. La fermeture des équipements culturels gratuits comme les médiathèques, bibliothèques ou certains musées renforcent aussi cet isolement social. Ces espaces sont souvent fréquentés par les sans-abri pour leur accès à des services culturels, d’information ou à internet. Ne plus avoir accès à internet pour s’informer, communiquer ou instruire des suivis administratifs ou d’aides sociales peut compliquer très fortement leurs connexions sociales. Ces lieux permettent aussi de recharger son téléphone portable, outil de communication indispensable pour joindre le 115, le numéro d’appel pour l’hébergement d’urgence en lien avec le Service intégré de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et accéder à un hébergement.

« Ce sont les solitaires sans téléphone ni télé, et surtout les non-confinés, c’est-à-dire les sans-abri, si souvent oubliés du pouvoir et des médias, qui sont les victimes absolues du confinement. » Edgar Morin, sociologue.

Le respect de son hygiène et de sa santé remis en cause

La cessation ou la forte réduction des activités des centres d’accueil de jour ou de bains-douches publics rendent très difficile l’accès à des services de première nécessité : accéder à l’eau, à des toilettes, aux douches, aux laveries, etc., tout devient plus compliqué. Dans un contexte de pandémie, les conséquences en matière de dégradation de la santé, du bien-être et de la dignité de la personne, sont aggravées. Donner aux sans-abri les moyens d’accéder à l’hygiène devient un enjeu sanitaire individuel, pour protéger chacun d’entre eux, et collectif, pour prévenir la diffusion de la maladie.
La vulnérabilité des sans-abri s’accroît aussi à l’heure où les services de santé, monopolisés par la crise sanitaire, se révèlent moins accessibles. Pourtant, cette population est particulièrement exposée aux problèmes de santé et nombreuses sont les personnes à suivre des traitements lourds. La fermeture des centres d’accueil de jour qui, d’ordinaire, mettent en sécurité les médicaments de ces personnes, particulièrement exposées aux vols, met à mal leur suivi médical et une organisation quotidienne déjà fragile. Leur suivi est d’autant plus compliqué que l’état psychologique des personnes à la rue se fragilise fortement. Dans ces conditions, comment gérer ses journées vides et l’absence de lien social ? Comment se déplacer à des rendez-vous médicaux ? Comment gérer les ruptures de traitement ?

La difficile application du confinement dans les centres d’hébergement

Les centres d’hébergement d’urgence accueillent le plus souvent des personnes dans des chambres collectives, d’au moins deux personnes par chambre. Le confinement n’a pas entraîné leur fermeture mais accentue la promiscuité des personnes temporairement hébergées. Elle est d’autant plus difficile à supporter que cette population connaît des difficultés plus élevées que la moyenne à rester enfermée ou restreindre ses déplacements. Déjà saturés, les centres d’hébergement manquent d’espace pour gérer les personnes accueillies affectées par le Covid-19 ou en présentant les symptômes. Il leur est difficile d’isoler ces personnes. Le quotidien des accueillis devient encore plus anxiogène, et le risque de propagation de la maladie en est plus élevé.

Selon la Fédération des acteurs de la solidarité Île-de-France (FAS), les centres d’hébergement, les accueils de jour ou les maraudes ne peuvent pas se protéger d’un point de vue sanitaire. Les stocks passés de masques disponibles sont aujourd’hui consommés. Ils commencent seulement à en recevoir de nouveaux en quantité réduite, notamment par la mobilisation de la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) de la Ville de Paris. Il est quasiment impossible de protéger les aidants et encore moins les personnes sans-abri. Le gel hydroalcoolique est tout aussi rare. La FAS exprime son inquiétude sur la prise de risque des professionnels et bénévoles : « Ce sont des équipes qui voient beaucoup de monde, des personnes qui ne sont pas hébergées et qui viennent solliciter un service en journée et pour lesquelles il y a des risques. Il y a une inquiétude sur la capacité des associations à pouvoir maintenir dans le temps ces activités. Elles n’ont pas de masque. Quand elles sont en contact avec une personne qui présente des symptômes, elles ne savent pas toujours quoi faire : l’accès au 115 est très difficile, ces structures n’ont pas accès aux tests. On demande un accès privilégié au 15 du Samu ».

1. Selon des données Insee de 2012.
2. Libération, 27 Mars 2020.
3.Le Parisien du 30 mars 2020.

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