L'Île-de-France au prisme du vieillissement

Article extrait du Cahier n° 182 « Vieillir, et alors ? »

23 janvier 2025ContactFrançois Michelot

La Région capitale va devoir faire face à une forte croissance de sa population âgée dans les dix ans à venir, l’obligeant à relever des défis considérables, notamment en matière de logement. Quelles perspectives ?

En 2035, les générations du baby-boom, nées entre 1945 et 1970, auront entre 65 ans et 90 ans. Le vieillissement de ces générations est un phénomène inédit, tant par son ampleur que par ses répercussions sur la collectivité, notamment sur les systèmes de santé, de retraite, ou encore sur la manièr d’utiliser les services de transports, ou sur l’adéquation de l’offre de logements. En Île-de-France, le vieillissement de la population va s’accélérer, mais de manière hétérogène selon les territoires. Ces évolutions doivent être observées au prisme de la structure par âge actuelle, mais aussi en tenant compte de la structure locale du parc de logements, à savoir leur taille et la nature des statuts d’occupation : un parc occupé en propriété, synonyme d’une installation plus durable, verra davantage vieillir ses habitants que celui occupé par des locataires du parc privé.

 

Une démographie portée par les 65 ans et plus

En 2020, on comptait 12,3 millions d’habitants en Île-de-France. D’ici 2035, la population francilienne devrait s’établir à 12,7 millions, selon les dernières projections de population établies par L’Institut Paris Region. Le rythme de la croissance démographique ralentirait ainsi de moitié par rapport à la période récente, et la totalité de cette croissance serait portée par la population des 65 ans ou plus.

En 2035, l’Île-de-France resterait la Région la plus jeune de l’Hexagone, mais près de 2,3 millions de Franciliens auront 65 ans et plus, représentant 18 % de la population régionale, contre seulement un peu plus de 15 % aujourd’hui. La composition de cette classe d’âge se modifierait d’ailleurs sensiblement : jusqu’ici minoritaires, les 75 ans et plus deviendraient majoritaires dans la fraction la plus âgée de la population.

Si l’augmentation significative du nombre de personnes âgées de 75 ans et plus est indéniable, l’évolution des charges portant sur le système de santé et la réalité du maintien à domicile sont entachées d’incertitudes. C’est dans cette tranche d’âge que l’espérance de vie est la plus volatile, que l’état fonctionnel commence à se détériorer, et que la population est la plus sensible aux aléas conjoncturels, à l’instar de l’épidémie de Covid-19 en 2020.

LE MODÈLE DE PROJECTION DE POPULATION DÉVELOPPÉ PAR L'INSTITUT PARIS REGION
L’Institut Paris Region établit des projections de population à partir d’un modèle original, qui repose sur les composantes démographiques habituelles (mortalité, fécondité, solde migratoire), mais aussi sur l’évolution future du parc de logements. Le scénario dont sont issues ces projections repose sur les hypothèses suivantes : un ralentissement de l’augmentation de l’espérance de vie, une baisse de la fécondité, et un maintien du solde migratoire. Les projets d’aménagement et de construction de logements des collectivités, et l’objectif de construire 50 000 logements par an, sont également pris en compte. Ils permettent d’intégrer les interactions existantes, fortes en Île-de-France, entre évolution communale du parc de logements et de son occupation et évolution de la population. Cette démarche permet de décliner les projections démographiques régionales jusqu’à l’échelle communale.

Un vieillissement plus marqué en grande couronne

Les projections démographiques dessinent des trajectoires de vieillissement différentes dans les territoires. D’ici 2035, Paris verra sa population légèrement diminuer, mais sa part âgée de 65 ans et plus augmenter. Les départements de la petite couronne contribueront pour deux tiers à la croissance démographique totale de la région d’ici 2035, mais pour seulement un tiers à celle de la population régionale supplémentaire âgée de 65 ans et plus. Ce sont les départements de la grande couronne qui vieilliront le plus vite, puisqu’ils absorberont plus de la moitié de la population régionale de 65 ans et plus qui apparaîtra au fil du temps.

À l’heure actuelle, la part de personnes âgées est d’autant plus élevée que le niveau de revenu médian des communes s’élève. En revanche, c’est dans les territoires socialement les plus modestes que le processus de vieillissement va le plus s’accentuer. Ainsi, les communes les plus fragiles socialement observeront dans les quinze prochaines années un rythme de croissance de la population âgée de 65 ans et plus trois fois plus rapide que celui des communes les plus aisées.

Le parc de logements francilien, un facteur-clé du vieillissement

La croissance de la population âgée de 65 ans et plus s’explique en partie par un effet de génération (les « baby-boomers »), combiné à une hausse continue de l’espérance de vie aux âges élevés. Elle dépend aussi de la propension des Franciliens à vieillir sur leur lieu de résidence. Ceux âgés de 65 ans et plus occupent un parc de logements spécifique. Les deux tiers d’entre eux vivent dans un logement dont ils sont propriétaires (contre 46 % des Franciliens âgés de moins de 65 ans), et 18 % dans le parc locatif social (contre 25 % chez les moins de 65 ans). Un peu plus de la moitié occupent de grands logements, or c’est dans les logements de quatre pièces et plus que l’on observe la mobilité résidentielle la plus faible.

La population âgée de 65 ans et plus occupe donc un parc de logements invitant peu à la mobilité résidentielle1. En effet, une fois les enfants partis, les parents n’ont bien souvent guère l’envie, ou la possibilité financière, de quitter leur logement. Dans les faits, seuls 3 % des Franciliens âgés de 65 ans et plus résidaient dans un autre logement un an auparavant, et 0,5 % résidaient dans un autre logement situé en dehors de l’Île-de-France (contre respectivement 11,1 % et 2,1 % pour la population francilienne tous âges confondus).

Le vieillissement de la population francilienne va continuer son accélération dans les prochaines années. Les plus jeunes baby-boomers fêteront leur 65e anniversaire en 2040. D’ici là, une partie des grands logements initialement conçus pour accueillir les familles avec enfants seront toujours immobilisés, alors même que la crise immobilière s’aggrave. Là où le rythme de construction faiblit et où la taille des logements mis sur le marché diminue, la mobilité résidentielle est freinée. Certes, une fraction des grands logements se libérera avec l’extinction progressive de cette génération.

Pour autant, face au maintien à domicile des personnes âgées dans des logements souvent sous-occupés et situés dans un environnement peu adapté à leur autonomie, il semble dès à présent indispensable de favoriser des solutions telles que l’habitat intergénérationnel, les résidences autonomies, ou la colocation entre seniors, afin de renforcer la mobilité au sein du parc, social comme privé, et de répondre ainsi simultanément aux impératifs liés à la demande de logement et au maintien de la cohésion sociale.

 

1. À l’inverse, certains types de logement vont freiner les effets immobiliers du vieillissement des générations, comme ceux du parc locatif privé (à mobilité forte, avec des biens de petite taille), ou plus généralement le parc des petites surfaces, qu’elles soient situées dans le parc social ou en propriété.

François Michelot, démographe à L’Institut Paris Region

Anticiper la société de la longévité, l'autre transition

Nos sociétés vieillissent : c'était prévu et nous y sommes. L'Institut Paris Region publie aux PUF un Cahier proposant des analyses prospectives et nuancées pour bâtir ensemble une société de la longévité. Hélène Joinet, urbaniste à L'Institut Paris Region et Caroline Laborde, socio-épidémiologiste à l'Observatoire régional de la santé d’Île-de-France, ont réuni 70 auteurs autour d'articles et d’interviews pour décrypter la pluralité des enjeux liés à la transition démographique.

L’intention est de contribuer à la construction d’un projet permettant d’anticiper le vieillissement de nos sociétés, et à sa déclinaison dans l’ensemble des domaines des politiques publiques. En s’attachant aux chiffres et aux faits. En donnant la parole aux experts, aux élus, aux institutions, aux associations, aux personnes âgées et aux soignants.

Nicolas BauquetDirecteur général de L'Institut Paris Region

Cet article est extrait de l'ouvrage collectif Vieillir, et alors ? Bâtir une société de la longévité coédité avec les Presses universitaires de France (PUF), sous la direction d’Hélène Joinet et Caroline Laborde.

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Pour aller plus loin

Dans le Cahier « Vieillir, et alors ? » :

  • Interview de Victor G. Rodwin et de Michael K. Gusmano qui ont codirigé le World Cities Project (WCP) pour étudier les stratégies de New York, Paris, Londres et Tokyo face au vieillissement de leur population.
  • Article du géographe Anton Paumelle sur les bourgs ruraux dynamisés par la présence de retraités.

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