Se sentir en sécurité pour mieux vieillir

Article extrait du Cahier n° 182 « Vieillir, et alors ? »

06 février 2025ContactHélène Heurtel

Les personnes âgées ont un sentiment d’insécurité plus prononcé, même si elles sont moins exposées à la violence : tel est l’enseignement marquant de l’enquête 2023 « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France ». D’où l’importance d’un espace public accueillant pour lutter contre l’isolement et contribuer au « bien-vieillir ».

Les personnes âgées ne sont pas « par nature » plus exposées à l’insécurité. C’est l’un des enseignements majeurs de la dernière enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France », dont il ressort que les aînés sont bien moins exposés aux agressions : 3 % des 65 ans et plus ont été victimes de violence au cours des trois années précédant l’enquête, tous types de violence confondus, contre 12 % pour le reste de la population. Ils sont aussi un peu moins confrontés aux vols sans violence : 9 %, contre 11 %. Les vols à leur encontre ciblent avant tout l’argent, les montres ou les bijoux (59 % des faits), plutôt que les téléphones ou les ordinateurs portables, biens les plus dérobés auprès des jeunes. Les cartes de crédit et chéquiers concernent 45 % des vols chez les aînés.

En dépit d’une moindre exposition, les personnes âgées franciliennes sont davantage préoccupées par la délinquance. Début 2023, 31 % la placent en tête des priorités d’action assignées au gouvernement, contre 20 % des moins de 65 ans. Un constat qui illustre la complexité des déterminants du sentiment d’insécurité, qui ne repose pas seulement sur l’expérience de victimation. Le déclin des capacités physiques et cognitives avec l’avancée en âge peut jouer un rôle important dans la peur de ne pas pouvoir se protéger et/ou se remettre physiquement d’un vol ou d’une agression. Une inquiétude à laquelle les femmes âgées sont un peu plus sensibles (33 %, contre 29 % des hommes de la même tranche d’âge).

L’ENQUÊTE « VICTIMATION ET SENTIMENT D’INSÉCURITÉ EN ÎLE-DE-FRANCE »

Environ 9 000 Franciliens, âgés de 15 ans et plus, représentatifs de la population régionale par département, se sont exprimés par téléphone entre janvier et mars 2023 sur leurs conditions de vie, et plus particulièrement leur sécurité, qu’il s’agisse de faits subis ou du sentiment d’insécurité (peurs personnelles, mais aussi préoccupations sécuritaires). Reconduite tous les deux ans depuis 2001, cette enquête est une source précieuse d’informations sur les caractéristiques et les évolutions de l’insécurité à laquelle sont confrontés les habitants.

Quelles craintes au domicile et dans les transports ?

Comme pour le reste des Franciliens, l’essentiel des violences envers les aînés se déroule dans l’espace public (environ deux faits sur cinq). Le domicile au sens large, intégrant les parties communes des immeubles, s’avère également propice aux violences subies par les 65 ans et quatre). Mais force est de constater que cela ne génère pas un sentiment d’insécurité au domicile, puisque la peur chez soi touche 6 % des personnes âgées, contre 8 % du reste de la population. Quant aux transports en commun, les personnes âgées franciliennes continuent à les fréquenter, même si c’est dans une proportion moindre que le reste de la population (25 % y ont recours pour leurs déplacements domicile/lieux de loisirs, contre 30 % des moins de 65 ans). Les causes de ce moindre recours semblent davantage venir de problèmes d’accessibilité que d’un sentiment d’insécurité. Les aînés ont moins tendance que leurs cadets à déclarer y redouter l’agression ou le vol. En revanche, dès lors que la crainte est là, ils seront plus nombreux à y renoncer.

La peur des femmes seules la nuit, une cause de repli

La peur d’être seul le soir dans son quartier est légèrement plus répandue chez les aînés (24 %, contre 20 % chez les moins de 65 ans). Des craintes plus fréquentes chez les femmes âgées, notamment lorsqu’elles habitent seules (39 %, contre 33 % chez celles qui vivent avec quelqu’un). Cette crainte engendre un repli dans l’espace privé : 17 % des femmes âgées qui vivent seules avouent renoncer à sortir seules le soir dans leur quartier par peur, un taux réduit de moitié chez celles qui habitent avec quelqu’un (8 %), et à 2 % chez les hommes de 65 et plus qui vivent seuls. La fréquence des sorties, tout du moins en soirée, diminue fortement avec l’âge : 62 % des Franciliens interrogés de moins de 65 ans déclarent sortir plusieurs fois par mois le soir pour leurs loisirs, contre 39 % chez leurs aînés. Là encore, la peur de sortir seul le soir apparaît comme un frein à une sociabilité nocturne (déclarent sortir le soir 18 % de ceux qui ont peur, contre 45 % de ceux qui n’ont pas peur).

79 % DES PERSONNES ÂGÉES SONT FAVORABLES À DAVANTAGE DE VIDÉOSURVEILLANCE

Une quête de protection

L’appréhension du danger chez les personnes âgées se traduit par le souhait d’être, ou tout du moins de se sentir, protégées aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé. Ce désir explique une demande plus forte du recours aux caméras de surveillance : 79 % des personnes âgées se disent favorables à leur installation dans les lieux publics pour lutter contre la délinquance (10 points de plus que chez les moins de 65 ans), et 74 % se déclarent rassurées par leur installation dans les transports en commun (12 points de plus que chez les plus jeunes). Les aînés sont par ailleurs plus enclins à trouver la présence policière dans leur quartier insuffisante, voire inexistante (38 %, contre 33 % pour les moins de 65 ans).
Cette quête de protection se traduit par le recours renforcé (70 % contre 65 %) à des équipements de sécurité dans le logement (barreaux, porte blindée, alarme), une tendance à laisser une lumière allumée quand il n’y a personne le soir (19, contre 14 %), et la sollicitation des voisins ou du concierge pour une surveillance « informelle » en cas d’absence d’un ou deux jours (46 % contre 36 %).
Pour autant, toujours selon l’enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de- France », la plupart des Franciliens de 65 ans et plus sont satisfaits de leur quartier, qu’ils considèrent « pas loin de tout » (87%), « agréable à vivre » (93 %), et « sûr ou plutôt sûr » (92 %), ces deux derniers scores étant même supérieurs à ce qui est observé dans le reste de la population. Les aînés s’impliquent d’ailleurs dans les associations de quartier (23 %, contre 13 % chez les moins de 65 ans), et dans celles de propriétaires ou de locataires (29 % contre 16 %), ce qui relativise la notion de repli sur soi des aînés.

En mettant l’accent sur les spécificités de l’insécurité à laquelle sont confrontées les personnes âgées, ces résultats permettent de mieux comprendre l’importance de les rassurer. Car si le sentiment d’insécurité relève davantage du ressenti, il peut impacter leur quotidien (renoncement aux sorties, perte de mobilité, isolement social). Reste à identifier les leviers d’action. Promouvoir des espaces et aménagements rassurants en associant les aînés à leur conception et à leur gestion en est un. À ce titre, l’éclairage, la signalisation, l’entretien, sont autant d’éléments qui favorisent la pratique de l’espace public par les aînés. Pour des raisons de sécurité, et afin d’éviter des regroupements abusifs, de nombreux bancs ont été supprimés. Or ils contribuaient au confort de tous et renforçaient l’intensité de la vie sociale des espaces urbains, principe primordial pour lutter contre le sentiment d’insécurité.

Hélène Heurtel, statisticienne, Mission Prévention Sécurité, L’Institut Paris Region

Anticiper la société de la longévité, l'autre transition

Nos sociétés vieillissent : c'était prévu et nous y sommes. L'Institut Paris Region publie aux PUF un Cahier proposant des analyses prospectives et nuancées pour bâtir ensemble une société de la longévité. Hélène Joinet, urbaniste à L'Institut Paris Region et Caroline Laborde, socio-épidémiologiste à l'Observatoire régional de la santé d’Île-de-France, ont réuni 70 auteurs autour d'articles et d’interviews pour décrypter la pluralité des enjeux liés à la transition démographique.

L’intention est de contribuer à la construction d’un projet permettant d’anticiper le vieillissement de nos sociétés, et à sa déclinaison dans l’ensemble des domaines des politiques publiques. En s’attachant aux chiffres et aux faits. En donnant la parole aux experts, aux élus, aux institutions, aux associations, aux personnes âgées et aux soignants.

Nicolas BauquetDirecteur général de L'Institut Paris Region

Cet article est extrait de l'ouvrage collectif Vieillir, et alors ? Bâtir une société de la longévité coédité avec les Presses universitaires de France (PUF), sous la direction d’Hélène Joinet et Caroline Laborde.

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Pour aller plus loin

Dans le Cahier « Vieillir, et alors ? » :

  • Article d'Isabelle Mallon : De l'importance des relations de voisinage (p. 131)

Dans la littérature : 

  • Le sentiment d’insécurité dans les transports en commun, Vanier C., D’Arbois De Jubainville H., 30 janvier 2018, ONDRP, Grand Angle, n° 46, 27 p.
  • Retraite et société, 2015/2 (n° 71) Riom L ., Hummel C., Kimber L. et al., « “ Plus on est vieux, plus on se protège ” : le sentiment de sécurité chez les personnes âgées », p. 57-74.
  • Matériaux pour une sociologie de l’individu, Caradec V., « Les “ supports ” de l’individu vieillissant. Retour sur la notion de “ déprise ” », Presses universitaires du Septentrion, 2005.
  • Gérontologie et société, 2011/1 (VOL. 34 / N° 136) Le Goff Tanguy, « Peurs et victimations des personnes âgées. Au-delà des discours, quelle réalité chiffrée ? », p. 175-188.

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