La bataille de l’attractivité résidentielle
Article extrait du Cahier n° 181 « À Distance, la révolution du télétravail »
Travail à distance et désir de nature ont modifié la donne en matière d’attractivité des territoires. Certains s’en saisissent pour attirer de nouveaux habitants, notamment dans les franges de l’Île-de-France, et demander davantage de coopération des villes-centres.
L’enracinement du travail à distance et l’exigence de nature entraînent une hausse sensible des désirs de mobilité des citadins, alimentant une petite musique sur l’exode urbain et la fin des grandes villes. On observe depuis deux ans une évolution sensible des comportements des actifs, qui, si elle ne change pas les grands flux, offre de nouvelles perspectives aux petites villes et aux territoires ruraux, notamment aux franges des métropoles. C’est particulièrement vrai dans le Bassin parisien, dont les petite et grande couronnes, mais aussi les territoires limitrophes, connaissent un regain de dynamisme, alors qu’ils étaient jusqu’ici peu visibles, et parfois oubliés des grandes politiques publiques. Certains élus s’engouffrent dans la brèche, en se lançant dans des stratégies d’attractivité résidentielle et en réclamant davantage de coopérations des villes-centres.
LA CENTRALITÉ DES GRANDS PÔLES URBAINS DEMEURE
Ces forces centrifuges ne sont pas, pour l’heure, de nature à remettre en cause la domination des grands centres urbains. Le Réseau Rural Français (RRF) et le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) pilotent une vaste étude intitulée « Exode urbain : impacts de la pandémie de Covid-19 sur les mobilités résidentielles », dont les premières conclusions (exploratoires) sont disponibles1. Elles montrent la permanence des grands flux résidentiels en France et indiquent que « la pandémie de Covid-19 n’a pas bouleversé de fond en comble les structures territoriales françaises, qui restent marquées par la centralité des grands pôles urbains […] l’exode urbain ne semble pas, pour l’instant, revêtir un caractère massif. » Selon ces travaux, l’attractivité des grands pôles urbains, en l’occurrence Marseille, Lyon, Lille, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Brest et Nice, qui concentrent, outre la population, de nombreux emplois et services, se maintient. Ces études confirment également l’attractivité des façades littorales. Ces résultats sont convergents avec ceux présentés par Jean Vannière et Max Rousseau dans cet ouvrage2. Concernant l’Île-de-France, au cours de l’année 20213, la population régionale a progressé de près de 50 000 habitants, tous les départements étant concernés sauf Paris (- 7 800 habitants). Depuis dix ans, la capitale perd régulièrement des habitants. Le déficit migratoire de l’Île-de- France4 avec le reste de la France tend à se creuser depuis 2015.
LES VILLES MOYENNES ET LES ESPACES RURAUX CAPTENT DE NOUVEAUX FLUX
Si les grands flux semblent solidement installés, la crise sanitaire a aussi révélé des comportements migratoires, quantitativement plus discrets, en provenance de grands pôles urbains et à destination de villes moyennes et de territoires ruraux. En Île-de-France, entre 2018 et 2021, selon les données de réexpéditions définitives du courrier, la province a connu un regain d’attractivité résidentielle auprès des Franciliens attirés par les maisons individuelles et les communes rurales5. Sur l’ensemble de la France, et sur la base des inscriptions scolaires et des réexpéditions définitives du courrier, Olivier Bouba-Olga6 écrit « les territoires de petite taille semblent en moyenne le mieux tirer leur épingle du jeu, qu’il s’agisse des communes hors des aires d’attraction des villes ou des communes des aires de moins de 50 000 habitants (commune-centre, communes de la couronne et autres communes du pôle principal de ces aires) ». Dans l’ensemble de ces travaux, l’Île-de-France se caractérise par une situation particulière. Si Paris a été affectée par des départs qui expliquent la diminution de sa population, les communes situées en proche et grande couronnes ont connu une situation plus favorable. Elles ont en effet accueilli des populations à la recherche d’un logement plus grand, avec un balcon pour les appartements ou un jardin pour les maisons. Le « Baromètre des Franciliens 2022 », enquête menée auprès de plus de 5 700 personnes par Ipsos pour L’Institut Paris Region, indique qu’un tiers d’entre eux expriment la volonté de déménager, soit une proportion légèrement plus élevée que celle observée avant la crise sanitaire (de l’ordre de 31 % selon l’enquête nationale Logement 2013 de l’Insee). Notons que pour 7 % des répondants ce processus est en cours ou très bien engagé. Enfin, lorsque l’on s’intéresse uniquement à la proportion des Franciliens exprimant l’envie de déménager, la moitié d’entre eux imaginent leur projet en dehors de la région.
DES OPPORTUNITÉS POUR DES TERRITOIRES AUTREFOIS PEU VISIBLES
De nouvelles dynamiques de territoires se mettent en place, pour la plus grande joie de nombreux élus, heureux d’accueillir des familles et des activités économiques alors qu’ils étaient précédemment peu visibles et souvent délaissés par les grandes politiques publiques. Les collectivités territoriales et agences d’attractivité multiplient les campagnes de marketing. Elles ont recours à des cabinets d’aide à la relocalisation, ou à des outils spécifiques, comme des sites Internet qui accompagnent les personnes à la recherche d’une mobilité géographique. Citons, à titre d’illustration, Grand Paris Sud, qui promet aux Parisiens une chambre en plus tout en gardant leur emploi7, la Manche8, qui s’appuie sur ses entreprises pour attirer d’anciens Manchois ayant effectué leurs premières années professionnelles en Île-de-France, l’Aveyron, qui s’est doté d’une agence d’attractivité, dont les missions intègrent désormais l’attractivité résidentielle9, ou encore le Pays Charolais-Brionnais, qui cherche à attirer les Lyonnais par des actions coordonnées10. L’analyse de ces stratégies permet d’identifier quatre grands profils d’actifs que les territoires cherchent à attirer, en sélectionnant souvent en plus des bassins émetteurs particuliers.
DE NÉCESSAIRES COOPÉRATIONS ENTRE GRANDES MÉTROPOLES ET PÉRIPHÉRIES
La volonté croissante des Français de migrer vers d’autres destinations périurbaines ou plus lointaines peut progressivement corriger certains des déséquilibres géographiques existants, et l’arrivée de ces populations générer des retombées positives grâce à l’injection de nouveaux revenus dans l’économie locale. Néanmoins, cette situation n’est pas sans danger pour les territoires accueillants. Trois risques majeurs existent. Le premier d’entre eux tient aux possibles pressions immobilières et foncières liées à l’arrivée rapide de populations qui, en déséquilibrant les marchés locaux, provoquent une envolée des prix immobiliers et fonciers peu acceptable localement, et ce y compris dans des destinations de petite taille. Le deuxième risque tient au profil urbain des nouveaux arrivants, qui viennent avec des attentes fortes en matière de services publics, alors que certaines collectivités n’ont pas toujours les moyens financiers de les satisfaire. Enfin, les télétravailleurs accueillis vont garder un lien important avec leurs lieux d’emploi ou la géographie de leurs clients, et vont donc être exigeants en matière de conditions de mobilité. Ce qui s’apparente à une métropolisation de nouveaux territoires constitue une opportunité pour parvenir à de meilleurs équilibres territoriaux, mais pose la question des liens entre les grandes métropoles et leurs grandes périphéries. Des liens qui sont souvent faibles ou inexistants aujourd’hui. Il semble donc essentiel de veiller à renforcer les champs de coopération entre ces territoires, que ce soit pour organiser les mobilités ou faciliter les échanges économiques11.
L’ÎLE-DE-FRANCE ET LES RÉGIONS VOISINES, UNE COMMUNAUTÉ DE DESTIN(S) SANS DESSEIN COMMUN ?
L’Île-de-France offre sur le plan de la coopération territoriale un exemple particulièrement éclairant. Selon une étude publiée en 2021 par L’Institut Paris Region12, « les liens entre l’Île-de- France et ses huit départements limitrophes se renforcent. Les Franciliens sont toujours plus nombreux à s’y installer, bien avant les effets de la crise sanitaire, et une part croissante des actifs de cette troisième couronne travaille en Île-de-France. L’influence de la Région se fait surtout sentir dans les territoires attenants de l’Oise et de l’Ouest. D’un côté, de meilleures conditions de logement à des prix plus accessibles. De l’autre, une offre d’emplois riche et diversifiée, située pour partie en grande couronne ». Dans ce contexte, certains territoires de la troisième couronne se sont placés dans une logique d’anticipation, pour y trouver un nouveau souffle, voire engager leur territoire dans une nouvelle trajectoire, comme le Grand Soissons. Cette intensification des échanges pose la question des enjeux de l’articulation de l’Îlede- France avec les départements limitrophes. Au moment où elle a engagé la révision de son Schéma Directeur, et en s’inspirant de l’exemple de la Vallée de Seine, ne serait-il pas opportun d’engager un projet fédérateur pour améliorer les synergies possibles à l’échelle de grands faisceaux plutôt que de laisser libre cours uniquement aux concurrences territoriales ?■
1. POPSU Territoires, « L’exode urbain ? Petits flux, grands effets : les mobilités résidentielles à l’ère (post-)Covid », 2022. popsu.archi.fr/actualite/lexode-urbainpetits- flux-grands-effets
2. Voir sur ce sujet les articles « “ Parisiens à temps partiel ” : enquête sur un mode de vie » par Jean Vannière, et « Le mirage de l’“ exode urbain ” » par Max Rousseau, p. 98 et p. 119 de ces Cahiers.
3. www.insee.fr/fr/statistiques/6442047
4. Il serait passé de - 75 000 à - 105 000 personnes par an entre 2015 et 2019 du fait d’une hausse des départs (+ 8 % entre 2013 et 2019), notamment des familles d’actifs de plus de 30 ans, et d’une baisse des arrivées (- 10 %), en raison d’une moindre attractivité de la région auprès des jeunes.
5. Voir sur ce sujet l’article « Francilien recherche maison individuelle » par Florian Tedeschi et Philippe Louchart, p.129 de ces Cahiers.
6. Bouba-Olga, Olivier. « Un “ exode métropolitain ” ? Une comparaison des inscriptions scolaires et des réexpéditions définitives du courrier ». Université de Poitiers, 18 février 2022.
7. www.marketing-territorial.org/2021/02/ attractivite-residentielle-grand-paris-sud-entre-dansla- course.html
8. www.maviedanslamanche.fr
9. www.laveyronrecrute.com
10. www.marketing-territorial.org/2021/01/ la-strategie-d-attractivite-rurale-du-pays-charolaisbrionnais- partie-2.html
11. Voir l’émission de l’Institut Paris Region « Les métropoles et leurs périphéries : comment renforcer les coopérations au bénéfice de tous ? » : youtu.be/QQ57YVeNmyA
12. Sagot, Mariette. Les Franciliens : Territoires et modes de vie, L’Institut Paris Region, 2021, p. 16-21 : « Sur la période 2012-2016, le déficit migratoire annuel de l’Île-de-France avec les huit départements mitoyens du Bassin parisien est proche de 16 000 personnes, contre 14 000 entre 2001 et 2006 ».
LE GRAND SOISSONS JOUE L’ARTICULATION AVEC LE GRAND PARIS
Doté d’une situation géographique favorable, à seulement 1 heure de Paris en TER et 45 minutes de Roissy Charles-de-Gaulle en voiture, l’agglomération du Grand Soissons (Aisne) affirme depuis quelques années son positionnement de territoire intégré au Grand Paris. De nombreux actifs y vivent en effet en lien avec les dynamiques du Grand Roissy et du Grand Paris. En outre, depuis une dizaine d’années, la ville et son agglomération (soit près de 55 000 habitants) ont oeuvré conjointement à la création d’un cadre de vie agréable, avec notamment l’inauguration de grands équipements : construction du complexe aquatique Les Bains du Lac, mise en service de la Cité de la Musique et de la Danse, ouverture du Parc Gouraud, un parc d’activités pensé pour répondre aux évolutions des usages en regroupant dans un même espace services et équipements publics, entreprises et logements, réhabilitation de l’avenue de Jeanne-d’Arc, etc. Au total, avec 200 millions d’euros d’investissements publics depuis plus de dix ans et 60 millions d’euros supplémentaires dans les six ans à venir, le territoire de GrandSoissons Agglomération est en pleine métamorphose. Pour son président, Alain Crémont, « Nous accélérerons la transition de notre modèle pour créer le territoire de demain. » Pour construire une relation fructueuse avec l’Île-de-France, GrandSoissons Agglomération a mis en place une stratégie d’attractivité fondée sur la valorisation d’atouts complémentaires, permettant ainsi aux entreprises de s’appuyer sur les différentiels d’avantages comparatifs entre ces deux territoires. Avec une dynamique de création et de rénovation de logements, et la transformation du quartier de la gare, l’agglomération et la ville ciblent également des télétravailleurs souhaitant améliorer leur qualité de vie tout en restant connectés avec le Grand Paris et le Grand Roissy. La présence d’un tiers-lieu dans le coeur du Parc Gouraud permet également à des indépendants de s’y installer dans d’excellentes conditions tout en gardant le lien avec leurs clients parisiens. La mise en oeuvre de cette stratégie d’attractivité en 2022 permet d’ores et déjà d’obtenir des résultats positifs en matière de notoriété, mais aussi d’intérêts marqués d’entreprises et de particuliers pour le Grand Soissons. « En choisissant de jouer l’articulation entre les Hauts-de-France et l’Île-de-France, nous renforçons l’attractivité des deux régions, ce qui nécessite que leurs stratégies d’aménagement et de transports soient mieux coordonnées, pour améliorer les conditions de vie et de travail des salariés et des entreprises, explique Alain Crémont. C’est un enjeu majeur pour la résilience du Bassin parisien, du fait des grandes transformations qui s’annoncent. »
Vincent Gollain, avec le concours de GrandSoissons Agglomération
Pour aller plus loin
Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Économie
|
Attractivité et convivialité
|
Territoires économiques
|
Société et habitat
|
Mobilité résidentielle