Quand les citoyens se saisissent de la transition énergétique

20 octobre 2021Thomas Hemmerdinger, Narjis Mimouni

Communauté énergétique, projet participatif, autoconsommation collective… Autant d’initiatives qui traduisent la tendance des citoyens à s’engager comme acteurs de la transition énergétique, avec la volonté d’y inclure la notion d’intérêt commun. Zoom sur les démarches en cours.

Des collectifs citoyens, souvent soutenus par les collectivités locales, s’organisent pour participer à la transition énergétique, en reprenant à leur compte le mot d’ordre « une transition pour tous et par tous ». Si l’engagement de la société civile, marqué par le financement participatif, est dans ce domaine sans commune mesure avec ce qu’on observe en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, l’appropriation collective de l’énergie commence à prendre ses marques en France.

La montée en puissance des mouvements citoyens dans le paysage énergétique

Le paysage énergétique est en pleine mutation. Le renchérissement des énergies fossiles et fissiles, la baisse programmée du nucléaire, la pénétration croissante des énergies renouvelables décentralisées, la gestion des intempéries et les nouveaux usages énergétiques (mobilité, numérique, climatisation), nécessitent d’adapter les modèles de production et de distribution français. Ces contraintes ont pour effet de faire évoluer le système électrique actuel, au sein duquel l’équilibre est assuré en adaptant la production à la consommation ou en mobilisant le réseau électrique européen, vers un système où l’ajustement se fera par la demande et en fonction des spécificités locales. L’objectif est de s’adapter à ces changements en évitant des investissements massifs destinés à remplacer et renforcer les réseaux de distribution. La motivation citoyenne, assortie d’un contexte technique favorable, permettent aux habitants et aux collectivités de s’ancrer comme acteurs de la production et de la consommation d’énergie des territoires.

Les projets participatifs

Ils tendent à se généraliser, à l’initiative de porteurs de projets publics ou privés. Relativement simples à mettre en œuvre, car sans nécessité d’impliquer la société civile dans la gouvernance, ils permettent aux citoyens d’être consultés et d’accéder à une part (minoritaire) du capital. Le financement participatif des projets de transition énergétique connaît une progression constante depuis quelques années, comme en témoignent les chiffres donnés par le baromètre.

Les projets citoyens

Ils relèvent d’une recherche d’appropriation par les habitants et les acteurs locaux des moyens de production d’énergie renouvelable, directement et sans intermédiation, pour des raisons à la fois environnementales, économiques et sociétales. Ils associent les outils de la finance participative à des principes de gouvernance démocratique localisée, et à des démarches de concertation poussée. Le processus d’élaboration est collaboratif. Il favorise la mutualisation des forces et des compétences sur des projets qui nécessitent souvent un engagement de long terme. L’ancrage local des projets et des acteurs qui les pilotent permet de rester en phase avec les spécificités du territoire concerné, qu’il s’agisse du patrimoine bâti comme du patrimoine naturel, et d’améliorer leur acceptation sociale, limitant ainsi les oppositions à des projets éoliens ou de méthanisation.

Le soutien des politiques publiques

En soutien à cette mobilisation citoyenne, un cadre réglementaire se dessine, dans un premier temps relatif au financement participatif, destiné à protéger les investisseurs en cadrant les plateformes de financement1. Dans un second temps, la loi de transition énergétique pour la croissance verte renforce le rôle des collectivités et des autorités organisatrices de la distribution d’énergie sur les sujets de planification, de programmation et de développement de projets (cf. encadré).
Cette loi revient aussi sur le rôle des plateformes numériques et sur les plafonds de financement des projets d’EnR&R2, revus à la hausse récemment par la loi PACTE3, passant de 2,5 millions d’euros par projet sur douze mois à 8 millions d’euros. Le développement des projets participatifs et citoyens s’inscrit donc en complémentarité de la montée en compétences des collectivités locales en matière de transition énergétique. Les projets participatifs disposent également d’une bonification des tarifs d’achat dans les appels d’offre publiés par la Commission de Régulation de l’Énergie, ce qui permet de couvrir les surcoûts nécessaires à la mobilisation des citoyens et des collectivités (bonus de 2 à 3 €/MWh).

Les collectivités locales favorisent les projets d'énergie renouvelable

Au-delà de la logique de subvention, la loi permet la participation directe des collectivités locales dans les projets d’EnR&R de leur territoire, en capital et en compte courant d’associés.
Elle offre la possibilité aux sociétés par actions et aux sociétés coopératives, constituées en vue de porter un projet de production d’EnR&R, de proposer aux habitants et aux collectivités de prendre une part de leur capital, ou de participer au financement du projet.
Les mouvements participatifs et citoyens tracent la route d’une dynamique territoriale de l’énergie où les collectivités, coordinatrices de la transition énergétique de leur territoire, animent un ensemble d’acteurs de plus en plus large. Ce rôle d’animation doit prendre en compte les facteurs de réussite, mais aussi d’échec, des projets de transition énergétique du fait de la dimension multi-acteurs de ceux-ci.
À ce sujet, l’Agence régionale énergie climat (Arec) a réalisé une étude sur les facteurs sociologiques des projets de transition énergétique4, qui a montré que, si les mouvements citoyens pouvaient en faciliter l’émergence, à l’inverse, d’autres mouvements de type NIMBY5 pouvaient les ralentir ou les empêcher. Les Plans climat air énergie territoriaux (Pcaet), démarches de planification concourant à la transition énergétique, inscrivent bien souvent l’implication citoyenne comme un axe stratégique. Ainsi, le Pcaet de l’établissement public territorial (EPT) Est Ensemble dédie spécifiquement une de ses orientations à la promotion de l’implication des citoyens dans la transition énergétique du territoire.
L’EPT a soutenu la coopérative Électrons Solaires 93 en mettant à sa disposition, avec la mairie des Lilas, la toiture d’une école pour développer une centrale solaire, inaugurée en 2019.

Des mouvements citoyens aux communautés d'énergie

La règlementation européenne pose les bases d’un soutien aux communautés énergétiques à travers sa directive relative aux énergies renouvelables, qui définit la notion de « communauté d’énergie renouvelable », et celle relative au marché de l’électricité, qui définit la notion de « communauté énergétique citoyenne ». Ces directives reconnaissent dans un premier temps le rôle de catalyseur de cet élan pour la transition énergétique.
Par ailleurs, la règlementation européenne ouvre la voie vers une plus grande équité dans les procédures règlementaires et encourage les stratégies nationales à favoriser le développement des communautés d’énergies renouvelables et des communautés énergétiques citoyennes.
En France, la récente loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019, consolidée le 24 juin 2020, transpose la règlementation européenne en introduisant la notion de « communautés d’énergies renouvelables ». Celles-ci sont autorisées à produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, partager cette énergie et accéder à tous les marchés de l’énergie pertinents. Ainsi, la règlementation définie à l’échelle européenne s’applique désormais dans le droit français. Cette transposition soulève des questions, car elle pourrait remettre en cause le principe de monopole de la distribution.

En effet, les communautés d’énergies renouvelables pourraient être autorisées à devenir gestionnaires de réseau de distribution, soit dans le cadre du régime général, soit en qualité de « gestionnaires de réseau fermé de distribution ». Elles devraient alors être soumises aux mêmes obligations que les gestionnaires de réseau de distribution, avec un accès au réseau défini selon des conditions équitables et reflétant les coûts. Par exemple, pour le réseau de distribution fermé d’Aéroports de Paris (ADP), la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourrait théoriquement émettre un tarif de distribution différent.
Le développement des communautés énergétiques ouvre des perspectives en matière de solidarité énergétique, notamment à travers l’autoconsommation collective, qui contribue à lutter contre la précarité énergétique en réduisant la consommation et en faisant baisser les tarifs de fourniture. On observe également d’autres actions de la part des mouvements citoyens, comme des actions de sensibilisation à la maîtrise de la demande en énergie auprès du grand public, ou des actions d’achat groupé (électricité, bois de chauffage, gaz).
Ces évolutions participent à la structuration de nouveaux acteurs dans le paysage énergétique et à une meilleure redistribution des retombées économiques sur les territoires. Une récente étude d’Énergie Partagée sur un panel de projets citoyens6 démontre que ceux-ci sont économiquement plus rentables pour le territoire que les projets privés, les deux tiers des retombées locales étant composés de revenus d’investissement et de recours à des prestataires locaux.
Le développement des sociétés d’économie mixte et des coopératives d’énergie citoyennes montrent les prémices d’un changement important dans la gouvernance de l’énergie en France.
Les coopératives cherchent à maximiser les retombées économiques locales en exploitant un gisement d’énergie renouvelable et en redistribuant les bénéfices collectivement. Le taux moyen de rentabilité des projets de transition énergétique (de 4 %, pour les projets d’énergie renouvelable à 6,5 % pour les projets d’efficacité énergétique, selon le baromètre du financement participatif) est d’ailleurs plus attractif pour les ménages français sur le plan financier que les livrets règlementés, même si les montants investis ne sont pas assurés. Les projets d’énergie renouvelable cherchent également à soutenir, voire à créer, des filières locales.

Des circuits courts énergétiques aux smart grids

La dynamique d’efficacité énergétique, l’utilisation des énergies renouvelables et de récupération, et le déploiement de nouvelles technologies, permettent de s’adapter aux spécificités et aux opportunités des territoires et de créer une forme de circuit court énergétique. Les smart grids y participent à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’un département. Ils facilitent les échanges d’information entre les différents acteurs. L’information collectée permet de mettre en place des solutions décentralisées de production, d’effacement des consommations, de stockage, d’îlotage des réseaux ou d’autoconsommation. Précisons, par ailleurs, qu’au dynamisme des collectifs citoyens pour la transition énergétique s’ajoute de nombreux mouvements locaux ou nationaux en opposition aux systèmes d’information permettant ces smart grids, comme les compteurs communicants Linky ou Gaspar.
Les mutations engagées devront néanmoins faire en sorte de maintenir certaines bases, comme la solidarité énergétique entre les territoires, ainsi que la péréquation tarifaire et le principe du timbre-poste (qui veut que le prix du transport soit indépendant de la distance parcourue) pour le transport et la distribution de l’électricité.

1. Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif.
2. Énergies renouvelables et de récupération.
3. La loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE, promulguée en mai 2019.
4. www.arec-idf.fr/nos-travaux/publications/les-facteurs-sociologiques-de-reussite-des-projets-de-transition-energetique.html
5. NIMBY : « Not in my backyard » : « Pas dans mon jardin ».
6. energie-partagee.org/etude-retombees-eco

Thomas Hemmerdinger, environnementaliste, chargé de projet transition énergétique et économie circulaire, AREC ÎdF, L’Institut Paris Region 

Narjis Mimouni, ingénieure en énergie conventionnelle et durable, AREC ÎdF, L’Institut Paris Region

UNE ÎLE-DE-FRANCE LUMINEUSE

L’Île-de-France compte aujourd’hui des collectifs citoyens fortement mobilisés en faveur des centrales solaires photovoltaïques. De nouveaux projet participatifs apparaissent, notamment sur la chaleur renouvelable, permettant de remplacer des énergies fossiles comme le gaz. Le récent succès du projet participatif de rénovation et de verdissement du réseau de chaleur et de froid de Courbevoie témoigne de l’élargissement au mix énergétique global. L’objectif initial de collecte de 500 000 euros en 60 jours a été dépassé pour atteindre 700 000 euros*. Le verdissement du projet vise un taux d’EnR&R dans le réseau de 55 %, avec une pompe à chaleur utilisant les eaux de la Seine, une centrale biomasse et la récupération de chaleur des eaux usées. La Région Île-de-France, consciente de l’importance de la dynamique, a dédié une partie de son budget au soutien des initiatives citoyennes à travers un appel à projets citoyens d’énergies renouvelables. Cet appel à projet permet aux lauréats de bénéficier d’une aide financière pour les études (juridiques, économiques ou techniques) et/ou d’une aide à l’investissement. L’aide au financement des études permet de soutenir l’émergence de projets participatifs et citoyens en amont de leur réalisation, en offrant aux porteurs le recours à des prestataires qui contribueront à définir et sécuriser leurs projets.

* www.lendosphere.com/les-projets/reseau-de-chaleur-et-de-froid-seinergie-de-la-ville

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